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Ouvrage tout à fait étonnant, le Coutumier Henri ou Nouveau coutumier de

Neuchâtel est plus connu aujourd’hui sous l’appellation de Coutumier Hory, du

nom de son rédacteur. Synthétisant le droit neuchâtelois en 59 articles (parfois 58), il se distingue de tous les autres coutumiers par sa structure novatrice, voire révolutionnaire. L’entreprise évoquée sous Jeanne de Hochberg abandonnée et le coutumier de la Ville n’ayant pas de visée normative, ce projet constitue la première véritable entreprise de codification à Neuchâtel. Malgré sa grande qua- lité, ce code rencontre une forte résistance129. Ces réactions mèneront non seu- lement l’introduction de ce texte à l’échec, mais marqueront également tous les historiens des XIXe et XXe siècles.

Âgé de 11 ans à l’origine de cette entreprise, le comte de Neuchâtel Henri II d’Orléans-Longueville130 y est naturellement étranger. Sa mère, Catherine de Gonzague, assure la régence jusqu’en 1617131. C’est elle l’instigatrice de ce tra- vail. À la fin de la régence, trop occupé par ses affaires en France, Henri II lui délègue en partie la gestion des affaires du comté, devenu principauté132 ; elle dirige donc probablement le projet dans son ensemble.

129 HURNY 1910, voir aussi :CHABLOZ 1876-1877. 130 VIAL–BERGON 2009 DHS, Henri II.

131 SCHALLER–JEANNERET 2007 DHS, Catherine.

132 Henri II prend le titre « par la grâce de Dieu prince et seigneur souverain des comtez de Neuf-

Les prémisses de la codification

59 En 1606 le gouverneur Pierre Vallier expose aux Trois-États de Neuchâtel que le prince :

« […] desir que bonne et briefve justice soit administrée, et le droict rendu a celuy qu’il appartient, verroit vollontiers qu’il se dressat ung libvre coustumier contenant au vraÿ l’ancien ordre et police qui s’est gardée tant es basses que haultes justices de ce Comté, afin que tous les subiets de son Excellences sceussent où prendre, se fonder et asseurer d’une coustume ferme stable et non variable […] »133.

Il demande l’avis des membres des Trois-États qui qualifient le projet de : « […]

tres juste et equitable, tres necessaire et expedient […] »134. En 1608 déjà, ils examinent un brouillon complet rédigé par le chancelier Hory. Les Quatre-Mi- nistraux s’y opposent, prétextant que ce coutumier supprimerait un privilège du Conseil de ville de délivrer les points de coutume. Ils affirment également que toute modification de la coutume appartient aux Audiences et en aucun cas aux Trois-États qui n’ont pas de pouvoir législatif. Le gouverneur leur répond qu’ils ont tort de s’opposer à un tel projet, car celui-ci est bon pour tout le monde. Il rappelle aux membres des Audiences qu’ils ont accepté cette entreprise il y a longtemps135. Bien plus intéressant, il affirme que « […] donner la loy a ses

subiects, c’est la premiere e plus haulte preheminance du Prince souverain

[…] »136. Cette prérogative du souverain, le gouverneur la tient de Jean Bodin137 dont la réception chez les conseillers d’Henri II d’Orléans-Longueville est at- testée138. Elle marque une volonté absolutiste du pouvoir princier à Neuchâtel, mais ce n’est pas la première « vray marque de la souveraineté » de Bodin dont les Orléans-Longueville entendent à nouveau user. En 1588 déjà, Marie de Bourbon avait recommencé à battre monnaie, restaurant les ateliers moné- taires139 et affirmant ainsi la souveraineté du comte.

133 AEN EN-6, fol. 227v (18 septembre 1606). 134 AEN EN-6, fol. 228r (18 septembre 1606). 135 AEN EN-6, fol. 239v-240r(27 avril 1608). 136 AEN EN-6, fol. 240r (27 avril 1608). 137 BODIN 1576,p. 197.

138 TRIBOLET 1987,Conception, p. 194 ; BARTOLINI/TRIBOLET 2008, p. 162-163. 139 WAVRE/DEMOLE 1912.

Aperçu historique d’un modèle

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La résistance des Quatre-Ministraux porte aussi bien sur la forme que sur le fond de la codification. Ils s’opposent d’une part au fait que la supervision du coutumier est confiée aux Trois-États alors que le pouvoir législatif appartient aux Audiences. Ils dénoncent d’autre part la perte de leur privilège de dire le droit, de passer d’un droit coutumier à un droit écrit.

La critique sur la forme met en lumière la rivalité ou la confusion qui règne au début du XVIIe siècle entre les Audiences et le Tribunal des Trois-États, qui tend à les suppléer140. L’enjeu est considérable puisqu’il s’agit de confirmer l’attribution du pouvoir législatif aux Trois-États ou de maintenir celui-ci dans les mains des Audiences. Il est difficile de savoir si cette critique des compé- tences accordées aux Trois-États constitue un réel soutien aux Audiences ou si elle constitue simplement un argument affirmant leur opposition sur le principe même de la mise par écrit du droit. Un fait semble toutefois certain, cette attaque est dirigée directement contre Catherine de Gonzague qui a commandé ce projet au chancelier Hory de son propre chef. L’opposition des Quatre-Ministraux re- présente en ce sens une résistance directe au pouvoir souverain, s’efforçant de s’approprier le pouvoir législatif. Cette résistance constitue donc non seulement une tentative pour un groupe de conserver ses privilèges, mais également une défense de la répartition des pouvoirs de l’État. En s’opposant au principe de la codification, le Conseil de ville préserve simplement sa prérogative de dire le droit. Par contre, en critiquant la manière dont cette codification est entreprise, il s’oppose à l’élargissement du pouvoir princier, à un glissement vers l’abso- lutisme.

Une première version du coutumier Hory, en 58 chapitres, paraît en 1610141, et une seconde ne contenant qu’un chapitre de plus, en 1618142. Le souverain

140 JELMINI 1991, Procès p. 58-59. 141 AEN 51CB-9.

Les prémisses de la codification

61 souhaite son entrée en vigueur le plus tôt possible, mais les Quatre-Ministraux s’y opposent toujours. Ils dénoncent l’atteinte à certains de leurs privilèges et demandent un exemplaire du coutumier afin de pouvoir le commenter. Cette requête leur est accordée143 et, en 1619, le gouverneur Vallier soumet le texte au jurisconsulte bisontin Claude Antoine Buson qui se montre circonspect à son sujet144. Le 5 février 1623, contre l’avis des Quatre-Ministraux, le gouverneur et le Conseil d’État approuvent une version revue et corrigée, avant de la révo- quer145. Il ne semble pas que le coutumier Hory ait été utilisé dans les cours de justices neuchâteloises146, si ce n’est « auprès des cours de justice nouvellement

créées de La Chaux-de-Fonds (1624) et de La Brévine (1625). »147 Si le coutu- mier Hory ne semble pas avoir eu d’impact majeur sur la coutume neuchâte- loise, des copies en sont réalisées jusqu’au XVIIIe siècle. Portant le titre : « Cous-

tumes loix et statuts praticquées Et observées au Conté d Neufchastel »148 une copie du milieu du XVIIe a été réalisée sur un papier portant les armes bernoises en filigrane. Elle témoigne de la diffusion du coutumier hors de la principauté.

En 1667, un projet de réforme de la coutume, rédigé par le procureur général Jean-Frédéric Brun, est présenté au prince. Il n’en reste aucune trace, si ce n’est une mention dans un inventaire149. Le règne des Orléans-Longueville reste donc marqué par l’échec d’une première tentative de codification, dont il faut retenir les observations suivantes. Premièrement, cette tentative de codification à Neu- châtel constitue une volonté comtale de s’approprier le pouvoir législatif et d’as- seoir son pouvoir. Deuxièmement, la résistance du Conseil de ville à ce projet est dirigée contre la manière de réaliser ce projet et contre le principe même de codification. Troisièmement, malgré ses qualités indéniables, la résistance des

143 AEN EN-4A,fol. 87r/v (5 février 1618).

144 AEN AS-B14.28 (26 juillet 1619). Voir à ce sujet FAVARGER 1970, Hory, p. 70-71. 145 BPUN MSA.506.

146 FAVARGER 1970, Hory, voir aussi :GUIBERT 1972. 147 TRIBOLET 2008, Crise, p. 14.

148 Burgerbibliothek Bern, Mss.Mül.399. 149 10CHAMBRIER-37, p. 73.

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bourgeois de Neuchâtel empêche l’introduction du coutumier. Quatrièmement, cet épisode a marqué les esprits ; aussi bien au XVIIIe que chez les historiens du XIXe et XXe siècles, ces faits ont été généralisés à l’ensemble de l’Ancien Ré- gime.