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195 codification et de résistances à ces entreprises. Il est indéniable que la mise par écrit des coutumes forme la première phase de la codification puisque, pour réformer un droit, il est nécessaire de le connaître. En revanche, il serait réduc- teur de limiter le rôle des coutumiers à celui de simple passerelle entre la cou- tume orale et le code civil. Les coutumiers constituent non seulement une étape de la codification, mais également un outil juridique à part entière, utilisable tel quel.

La naissance des Lumières de la pensée juridique

Considérer certaines réalisations juridiques de l’Antiquité et du Moyen Âge comme des codes conduit à s’interroger sur la particularité de la codification durant les Lumières. Que se passe-t-il au XVIIIe siècle pour qu’émergent d’im- portantes entreprises de codification et en quoi se différencient-elles des précé- dentes ? Les rédactions et les tentatives d’unification des coutumes constituent un terreau fertile, sur lequel ces codifications modernes germent après une longue gestation. Le fait d’utiliser le terme de code témoigne d’un changement sensible dans la manière de le percevoir et de le concevoir. L’élément déclen- cheur de ce tournant n’est pas unique, il s’agit d’une conjonction de facteurs techniques, économiques et politiques rendant la réalisation d’un code envisa- geable. Dans ce climat propice aux réformes, des juristes et, avant eux, des théo- riciens politiques, renouvellent la pensée juridique. Ils rendent ainsi possible une codification appelant inévitablement une résistance.

A.

L’apparition des codes nommés

Vanderlinden différencie idée nommée et innommée pour le code. Si l’idée nommée du « codex » apparaît à la fin de l’Empire romain, elle est absente aux XIII, XIV et XVes siècles. Elle réapparaît en 1547 à Alexandrie (Italie) : « La pré-

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équivoque du désir de procéder à la codification du droit urbain. »611 Cette pra- tique reste toutefois rare et ce n’est qu’au XVIIe siècle que l’on observe « […] la

multiplication des idées nommées qui restent pourtant moins nombreuses que les idées innommées et ne se manifestent d’ailleurs que dans quelques pays. »612 Enfin, Vanderlinden relève que le XVIIIe siècle connaît « […] les exemples les

plus abondants, et cela surtout dans le domaine des idées nommées ; au cours de ce siècle, en effet, le mot de code et ses dérivés acquièrent droit de cité, même dans les langues germaniques qui jusqu’alors, à quelques rares exceptions près, semblaient les ignorer ; seuls restent à l’écart les pays scandinaves. »613

Durant le XVIIIe siècle, la généralisation du terme de code devient telle que de simples recueils d’ordonnances sont alors qualifiés de codes. Le dictionnaire de l’Académie Française ouvre la définition du terme « code » aux recueils ju- ridiques modernes, dans sa première édition déjà, en 1694. Il définit le code de la manière suivante :

« Recueil, compilation des Loix, Constitutions, Rescrits, &c. des Empereurs Romains.

Le Code Theodosien, ou de Theodose, le Code de Justinien. On l’appelle aussi absolu-

ment, le Code, dans un tel titre du Code, le Code et le Digeste.

On appelle aussi, Code Hermoginien, Gregorien. Les compilations de Loix faites par d’anciens Jurisconsultes.

Il se dit aussi de quelques compilations des Ordonnances de nos Rois. Le Code Henry, le

Code Louis, le Code Civil, le Code Criminel, le nouveau Code, le Code de la Marine. »614

L’Académie reste toutefois prudente, se référant principalement aux codes ro- mains. Cette définition est très peu modifiée dans la deuxième édition de 1718615 ; quant aux troisième616, quatrième617 et cinquième618 éditions, elles ne font qu’ajouter le Code Noir à cette courte liste de codes français. De même, 611 VANDERLINDEN 1967,Concept, p. 28. 612 VANDERLINDEN 1967,Concept, p. 33. 613 VANDERLINDEN 1967,Concept, p. 37. 614 Dictionnaire de l’Académie 1694,p. 203. 615 Dictionnaire de l’Académie 1718. p. 279. 616 Dictionnaire de l’Académie 1740. p. 297. 617 Dictionnaire de l’Académie 1762. p. 342. 618 Dictionnaire de l’Académie 1798. p. 256.

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197 Furetière, dans son dictionnaire universel de 1690, fait d’abord référence aux codes romains, puis ajoute :

« CODE, se dit aussi de plusieurs Recueils des Ordonnances des Rois de France, comme le Code Henry, le Code Neron.

On a appellé le Code Michault, une Ordonnance du Roy Louis XIII, parce qu’elle avoit été faite par Michel de Marillac, laquelle n’a point eu d’execution, quoy qu’elle fût tres sage.

On appelle aussi par excellence, Code Louïs, les Ordonnances faites par Louis XIV, sur la Reformation de la Justice civile & criminelle, ont été verifiez en 1667, & c’est ce qu’on appelle encore la Nouvelle Ordonnance. Il y a encore le Code Marchand qui regle la marchandise. Le Code ou les Ordonnances de la Marine. Le Code des Eaux & Forests, &c. »619

Là encore, la prudence est de mise et si Furetière relève l’emploi du terme de

« Code » pour définir certaines ordonnances, il ne fait aucun doute qu’il ne men-

tionne ici qu’un usage finalement abusif. L’encyclopédie de Diderot fournit en revanche un parfait exemple de la généralisation du terme de code. Il n’est plus réservé aux textes romains et est mentionné comme un emploi par analogie pour désigner des textes modernes. Tous les recueils de droit peuvent, d’après les encyclopédistes, être qualifiés de code. Ils commencent ainsi leur définition par ces mots : « […] signifie en général recueil de droit ; mais on donne ce nom à

plusieurs sortes de recueils fort différens les uns des autres. »620 Les premiers évoqués sont naturellement les textes antiques auxquels sont rapidement ratta- chés des textes modernes : « […] on a même appellé & intitulé code, le texte

détaché de certaines ordonnances, comme le code civil, le code criminel, le code marchand, & plusieurs autres semblables : enfin on a encore intitulé code certains traités de droit qui rassemblent les maximes & les réglemens sur une certaine matiere, tels que le code des curés, le code des chasses, & plusieurs autres. »621 Pas moins de 15 pages passent ensuite en revue de nombreux ou- vrages portant le nom de code, à titre officiel ou non. La plupart sont amplement

619 FURETIÈRE 1690, Dictionnaire Universel, t. 1, n. p. entrée CODE. 620 DIDEROT 1753, Encyclopédie, t. 3, p. 570.

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commentés. Pour certains, l’auteur ajoute cette remarque : « Code […], on en-

tend sous ce nom l’ordonnance […] »622, précise qu’il s’agit d’un « surnom »623 ou encore que d’un titre mis « ordinairement », « quelques fois » ou, « par les

Libraires »624. L’encyclopédie de Felice reprend telle quelle l’entrée de l’Ency- clopédie de Diderot, en se montrant moins exhaustif dans l’énumération des codes, allégeant la liste recopiée625. Même pour les encyclopédistes la prudence reste donc de mise. Dans la pratique, pourtant, le terme de code est entré dans l’usage, il est vraisemblablement employé de manière étendue.

Cette prudence quant à l’emploi du terme de code pour désigner certains édits, ordonnances ou règlements n’est pas de mise partout. À titre d’exemple, on peut citer, en 1587 déjà, Barnabé Brisson626 qui n’hésite pas à intituler le recueil d’ordonnances qu’il rédige : Code du Roy Henry III, roy de France et de

Pologne627. Jacques Corbin en fait de même en 1628 avec sa compilation d’or- donnances et d’arrêts intitulée : Code Louis XIII, roy de France et de Navarre628.

Au XVIIIe siècle, de nombreux autres exemples pourraient être évoqués, tel que l’emblématique Code de la librairie et imprimerie de Paris629. Mais le plus cé- lèbre et le plus important pour la généralisation de terme de « code » reste sans aucun doute le Code noir. Intitulé initialement Ordonnance royale ou Édit royal

de mars 1685 touchant la police des îles de l’Amerique française, ce texte prend

le titre de Code Noir630 dès l’édition Saugrain de 1718. Jean-François Niort in- siste toutefois sur le fait que : « […] l’expression “Code noir” n’est pas origi-

nale, n’apparaissant dans la pratique qu’au début du XVIIIe siècle semble-t-il,

622 DIDEROT 1753, Encyclopédie, t. 3, p. 571-572. 623 DIDEROT 1753, Encyclopédie, t. 3, p. 570, 575, 579-581, 584. 624 DIDEROT 1753, Encyclopédie, t. 3, p. 570, 575, 580, 583. 625 FELICE 1772, Encyclopédie, t. 10, p. 197-219. 626 Voir : SUEL 1996.

627 BRISSON 1587,Code du roy Henry III. 628 CORBIN 1628, Code Louis XIII.

629 Code de la librairie et imprimerie de Paris 1744. 630 Code Noir 1718(édition Saugrain).

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tout en revêtant une amplitude sémantique variable suivant les éditeurs

[…] »631.

La terminologie employée pour définir la codification dévoile un tournant capital dans l’histoire de cette pratique. Elle révèle une prise de conscience de l’importance d’un phénomène, jusque-là négligé. Le code, défini précisément, acquiert une existence réelle dans les esprits. L’utilisation du terme employé jusque-là pour définir le CIC632 n’est pas innocente. La volonté d’associer ces codifications à l’œuvre prestigieuse et pérenne de Justinien ne fait aucun doute. D’autre part, comme le fait remarquer Vanderlinden : « Ce rôle de l’héritage

romain se remarque notamment au XVIe siècle : les premières idées nommées,

celles des auteurs du Codex d’Alexandrie (Italie) ou du Code Henry III se rap-

prochent beaucoup de leurs homologues romaines. »633 L’idée nommée de code, analysé par Vanderlinden, marque la renaissance de la conception ro- maine tardive de la codification, aussi bien au niveau de sa symbolisation que de sa réalisation.

La différence entre les codes du Moyen Âge et ceux des Lumières réside dans la conceptualisation de l’acte de codifier et le code lui-même, mais aussi la manière de l’exprimer. Ce changement débute timidement au milieu du XVIe siècle, croît, se généralise et explose durant la seconde moitié du XVIIIe siècle. À Neuchâtel, ce phénomène est un peu plus tardif, puisque le terme de code apparaît en 1710 avec le code des lods634 et ne se généralise qu’au milieu du XVIIIe siècle. Il remplace progressivement ceux de « coutumier », « recueil » ou

« système » utilisés jusque-là.

631 NIORT/RICHARD 2009, p. 119.Voir aussi : NIORT 2008. 632 VANDERLINDEN 1967,Concept, p. 47.

633 VANDERLINDEN 1967,Concept, p. 230.

634 AEN 53CB-1 ; 53CB-3 ; 53CB-4 et 53CB-5. Une cinquième copie (53CB-2) n’est pas intitulée

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