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Frédéric II règne sur Neuchâtel en souverain paternaliste. Des expressions telles que « bienveillance Royalle », « domination paternelle »268, reviennent réguliè- rement dans les documents de la seconde moitié du XVIIIe siècle. On doit cette appellation, à un exercice du pouvoir particulier et étonnant à cette époque. Fré- déric II s’inscrit toutefois dans la continuité de son père et de son grand-père. En effet, les rois de Prusse doivent leur notoriété dans la principauté à une ges- tion peu invasive, mais affirmée. À l’exception de l’affaire Gaudot, les prélève- ments financiers sont acceptables et une grande liberté de gestion est donnée au Conseil d’État, le souverain se contentant d’agir en arbitre en cas de conflit. Il pare aux besoins de ses sujets sans imposer de décisions impopulaires, gagnant ainsi leur confiance et leur respect. Dans son Essai sur les formes de gouverne-

ment et sur les devoirs des souverains269 de 1777, le roi philosophe évoque cette idée du souverain « père de ses peuples »270. Cette conception de la figure royale rappelle celle décrite par deux auteurs français admirés par Frédéric II. Bossuet intitule l’article III du troisième livre de la politique tirée des propres paroles

de l’écriture sainte publiée à titre posthume en 1709, « L’autorité royale est paternelle, & son propre caractere c’est la bonté […] »271. L’idée d’un pouvoir paternel est également exprimée par Fénelon dans son Essai philosophique sur

le gouvernement civil272, publié lui aussi à titre posthume en 1721. Cette gestion paternaliste relève peut-être plus de l’obligation que d’un idéal philosophique. Le recours à la force étant quasiment impossible à Neuchâtel, l’autorité de Fré- déric II dépend principalement d’une gestion intelligente de la principauté et du

268 À titre d’exemples : GStA PK, I. HA Rep. 64 Nr. 824, fol. 590v (7 août 1755) ; GStA PK, I. HA

Rep. 64 Nr. 851, n. f., premier acta « 19 mars 1787-7 sept. 1788 » (19 mars 1787, 15a).

269 FRÉDÉRICII 1848, t. IX, Œuvres, p. 221-240. 270 FRÉDÉRICII 1848, t. IX, Œuvres, p. 239. 271 BOSSUET 1709,p. 89.

Assujettir sans la force

93 charisme du souverain. Le risque de voir ses sujets appeler le secours de la France ou tenter de rejoindre les Confédérés en cas de conflit majeur est réel. La domination des princes prussiens sur Neuchâtel reste donc fragile. En 1741, Frédéric II s’inquiète au sujet de « […] discours seditieux tres irreguliers, et tres

prejudiciables à [s]on autorité, et à [s]es droits, […] »273. Il les qualifie même d’« […] attentat contre [s]on autorité […] »274. En 1758, des Neuchâtelois tien- nent de nouveaux « […] discours despecteux […] »275 contre lui. Keith écrit au prince pour l’en informer, précisant qu’il les a fait « […] réprimer […] »276. Frédéric II approuve cette mesure dans une note marginale et fait la réponse suivante à son gouverneur :

« Quoique à la verité j’ai lieu de mepriser fortement tout ce qu’on en dise ou ecrit de désavantageux contre moi, il est cependant indecent et meme trés punissable, que mes propres sujets et surtout ceux de ma Principauté de Neufchatel et Valangin, auxquels j’ai toujours donné autant de preuves signalées de ma bienveillance Royale s’emancipent d’une pareille facon ; C’est pourquoi J’approuve aussi entièrement les demarches, que vous avez fait à cette fin. »277

La crainte de Frédéric II de voir son autorité bafouée est ici évidente et il sur- veille les moindres signes d’insoumission, même mineurs et ponctuels. L’af- faire Gaudot en revanche constitue une crise politique majeure à Neuchâtel. Les événements liés à ces troubles et leur résolution attestent des difficultés aux- quelles le souverain est confronté et la fragilité de son autorité. Ils confirment la légitimité des craintes du souverain. Il ne peut se permettre d’imposer sa vo- lonté, mais doit composer avec l’oligarchie neuchâteloise.

Conscients de leur situation, les souverains prussiens cherchent un moyen d’affermir leur autorité. Juste après la succession, Frédéric Ier envisage la pos- sibilité d’un rapprochement entre Neuchâtel et la Confédération afin que sa principauté soit incluse dans les traités d’alliance des Confédérés. Cette solution

273 GStA PK, I. HA Rep. 64 Nr. 775, fol. 249r (28 mars 1741). 274 GStA PK, I. HA Rep. 64 Nr. 775, fol. 248r (28 mars 1741). 275 GStA PK, I. HA Rep. 64 Nr. 827, fol. 321r-323r (janvier 1758). 276 GStA PK, I. HA Rep. 64 Nr. 827, fol. 322r (2 janvier 1758). 277 GStA PK, I. HA Rep. 64 Nr. 827, fol. 321r (21 janvier 1758).

Une volonté peu affirmée

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n’aboutit pas et les souverains prussiens se concentrent alors sur les renouvel- lements de combourgeoisies avec Berne, Soleure, Fribourg et Lucerne durant tout le XVIIIe siècle. Ces traités assurent au prince une certaine sécurité. En effet, les combourgeois sont liés avant tout à la plus haute autorité de l’État et non à des corps inférieurs tels que le Conseil d’État ou le Conseil de ville. Néanmoins, le traité de combourgeoisie de 1406 place la République de Berne en qualité d’arbitre en cas de dissensions entre le prince et ses sujets278.

L’autorité de Frédéric II sur Neuchâtel n’est donc pas illimitée. Qualifié d’union personnelle, le régime qui lie cette principauté et le roi de Prusse n’est pas comparable à une monarchie classique réunissant deux États souverains sous une même autorité. Les Neuchâtelois disposent non seulement de la garan- tie bernoise, mais également d’une certaine autonomie grâce à un système po- litique dominé par une poignée de familles.

Cette oligarchie, Frédéric II s’en méfie et il cherche le moyen de la dominer. S’il tend principalement à asseoir son autorité par sa bienveillance, il veille à ce que son attitude ne soit pas assimilée à de la faiblesse. Il l’affirme avec une annotation dans un rapport sur les articles de pacification :

« […] j’ai lû tout ceci ce n’est point le moment de manquér De l’Indulgeance au neucha- telois, c’est plustot celuy de les Encouragér a entreprendre De nouvelles ceditions, Len- tulus si fie trop legerement, ces tetes seront misses en efervessences par Le premiér po- lisson qui leur aportera des nouveautés et ces gens meprisseront un gouvernement faible qui Cede ses Drois sans raisson, ainsi il faut que tout reste pour le pressent sur le pied ou sont les chosses.

Frederic »279

Contrairement à ses prédécesseurs qui se contentaient d’approuver les matri- cules proposés par le Conseil d’État pour attribuer les places laissées vacantes, Frédéric II envisage de mieux contrôler ces nominations. Sur une feuille volante intitulée De quelques Idées sur les affaires de Neufchatel, ne portant pas de date, mais vraisemblablement rédigée peu après l’assassinat de Gaudot, il écrit :

278 BAUER 1956.