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125 Metternich quitte Neuchâtel, laissant le Conseil d’État administrer seul. Ce der- nier n’évoque même pas la rédaction de la coutume. Seul le Conseil de ville se préoccupe de l’élaboration du coutumier et l’exige. Frédéric Ier s’en soucie alors, mais décède trop tôt pour faire aboutir ce projet qui est abandonné par Frédéric- Guillaume Ier. Quant à Frédéric II, s’il veut absolument que le droit de ses États soit codifié, il confie pourtant cette tâche aux autorités de la principauté et s’en dessaisit. Il se réserve uniquement la sanction finale, laissant une grande auto- nomie aux Neuchâtelois. La volonté politique concernant la codification n’anime donc pas Berlin, mais bien Neuchâtel.

Déléguer le pouvoir

En théorie, le roi de Prusse règne sur la principauté de Neuchâtel qui lui appar- tient à titre personnel. Le gouverneur le représente sur place, l’informe des af- faires importantes et préside le Tribunal des Trois-États et le Conseil d’État. Nommé par le prince, il défend les intérêts du souverain et règle les affaires de la principauté377. Le Conseil de ville, composé de membres cooptés, dirige les affaires communales et exerce un droit de police sur la ville378. Le Conseil Étroit, frange du précédent, délivre les points de coutume. Le pouvoir législatif appartient au Trois-États qui jugent également les affaires civiles en appel et dernière instance379. Le Tribunal des Trois-États de Valangin, simple cour d’ap- pel, n’est pas impliqué dans le processus législatif380. La bourgeoisie de Valan- gin s’occupe principalement de la préservation de ses franchises, mais ne joue aucun rôle d’un point de vue législatif. Elle ne donne pas son consentement à propos des lois établies par les Trois-États de Neuchâtel, mais peut lui soumettre

377 FAVARGER 1972,Lois, p. 186-187. 378 FAVARGER 1972,Lois, p. 187-188. 379 FAVARGER 1972,Lois, p. 188-189.

380 GStA PK, I. HA Rep. 64 Nr. 780, n. f., deuxième acta « de ad 1750 bis 1753 », lettre du Conseil

Une volonté peu affirmée

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des demandes381. Cette prédominance de Neuchâtel est contestée et la bourgeoi- sie, ainsi que les Trois-États de Valangin, aspirent à plus de pouvoir. Une lettre de Brun d’Oleyres382 et Le Chambrier de Travanet383 adressée à Berlin met en lumière les velléités de ces corps et les craintes de certains à les voir participer au processus législatif :

« Il est indubitable que depuis que les Trois Etats du Comté de Neufchatel ont étés su- brogés aux Audiances generales, ils ont eu seuls le pouvoir de projetter & de présenter a nos souverains des Loix a faire, pour en obtenir l’approbation & la sanction. C’est par l’effect de ce pouvoir que ces mêmes Trois Etats ont prononcé sur les droits a la souve- raineté ce qui a eu lieu en differentes occasions et en particulier en 1707 : tems auquel ils firent passer cette Souveraineté sous la Domination de l’Auguste Maison de Prusse, et cela sans aucun Concours des Trois Etats de Valangin.

En donnant a ces derniers quelque part au pouvoir de législation ce seroit l’affoiblir, non seulement en ce qu’on otteroit ce privilege exclusif aux Etat de Neuchâtel, mais aussy en ce qu’en le communiquant a divers Corps, cela apporteroit des obstacles presques conti- nuels a l’établissement de nouvelles Loix, par la difficulté de concilier tant de Têtes. Enfin tel cas pourroit êcheoir que la Domination présente en souffriroit.

Les personnes qui voudroient que Sa Majesté differat de donner son approbation & sa Sanction au troisiéme article des Loix quon desire d’êtablir, ne peuvent se proposer d’autre motif, que celuy de donner le tems au Conseil de la Bourgeoisie de Valangin d’y donner son consentement ou d’y apporter des obstacles efficaces ; cependant cela donne- roit indirrectement a la ditte Bourgeoisie et aux Trois Etats dudit Comté, le droit de pou- voir rejetter les Loix qu’il n’approuveroit pas.

C’est en vain que pour détourner Sa Majesté de donner sa Sanction a ce 3e article des

Loix qu’on désir d’etablir on auroit prétexté que les modifications apportées audit troi- siéme article, n’ont pas encore été consenties par les Trois Etats de Neufchatel, puisque Sa Majesté peut naccorder sa Sanction a laditte 3e Loy qu’au moyen de la modification

dont le Conseil fait mention dans sa trés humble Relation. Par cette voye Sa Majesté déployera son authorité d’une maniére plus êtendue & plus conforme à sa puissance. »384

Les craintes exprimées ici de reconnaître à Valangin ne serait-ce qu’un droit de consentement aux nouvelles lois de la principauté sont pourtant également

381 GStA PK, I. HA Rep. 64 Nr. 780, n. f., deuxième acta « de ad 1750 bis 1753 », lettre du Conseil

d’État au roi (10 août 1750) ainsi que la lettre de Brun d’Oleyres et Le Chambrier de Travanet au roi (21 août 1750).

382 Maire de Neuchâtel et conseiller d’État. 383 Trésorier général et conseiller d’État.

384 GStA PK, I. HA Rep. 64 Nr. 780, n. f., deuxième acta « de ad 1750 bis 1753 », lettre de Brun

Déléguer le pouvoir

127 exprimées par le Conseil d’État385. Si la difficulté évoquée de composer avec de nouveaux opposants potentiels aux réformes fait sens, les privilèges des Trois-États de Neuchâtel demeurent au centre de cette lettre. Les deux conseil- lers d’États n’écrivent pas à titre officiel, mais en leur nom propre. Néanmoins, dix jours plus tôt, le Conseil d’État dans son entier précisait déjà, évoquant la bourgeoisie de Valangin, « […] qu’ils n’ont aucune part au pouvoir législatif ; […] », ajoutant encore : « […] cette diversité d’opinions entre les Trois Etats de

Neufchâtel et ceux de Valangin, fait une dissonance peu convenable dans un petit Etat, qui pour le bon ordre doit avoir des Loix uniformes […] »386. Les Trois-États restent muets à ce sujet, seul le Conseil d’État s’inquiète. Pourtant Berlin ne semble à aucun moment envisager d’accorder à Valangin le droit d’in- tervenir dans le processus législatif. Les échanges épistolaires de l’été 1750 à ce sujet demeurent une exception, déclenchée par la bourgeoisie de Valangin387. Il paraît évident pour Berlin que le pouvoir législatif est l’affaire exclusive des Trois-États de Neuchâtel, du Conseil d’État et du prince. Dernier corps influent dans la principauté, la Vénérable Classe ou compagnie des pasteurs, respon- sable de la foi réformée, intervient en matière législative lorsqu’elle estime les intérêts de la religion ou des bonnes mœurs compromis388. Ces ecclésiastiques sont par contre entièrement écartés des opérations de codification.

Trois groupes principaux se partagent le pouvoir à Neuchâtel sous l’autorité du prince : le Conseil d’État, le Conseil de ville et le Tribunal souverain des Trois-États, parfois appelé Audiences389. Le fonctionnement des institutions

385 GStA PK, I. HA Rep. 64 Nr. 780, n. f., deuxième acta « de ad 1750 bis 1753 », lettre du Conseil

d’État au roi (10 août 1750).

386 GStA PK, I. HA Rep. 64 Nr. 780 n. f., deuxième acta « de ad 1750 bis 1753 ». Lettre du Conseil

d’État au roi (10 août 1750).

387 GStA PK, I. HA Rep. 64 Nr. 780 n. f., deuxième acta, dossier à propos d’une loi sur les traités

notariés (1750-1753).

388 FAVARGER 1972,Lois, p. 188.

389 Une confusion existe entre les anciennes Audiences et les Trois-États qui les remplacent et,

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neuchâteloises, et en particulier leurs interactions, d’apparence simple, se révèle souvent complexe. Pour des raisons historiques, le Conseil de ville possède des pouvoirs étendus, dont celui de « dire le droit ». Il est généralement pointé du doigt comme le principal opposant à la codification. Sa position mérite pourtant d’être réévaluée. Le Tribunal des Trois-États regroupe le pouvoir législatif et judiciaire en un seul corps. Sa structure composite le place à l’intersection du Conseil de ville et du Conseil d’État. À la fois chargé d’une tâche judiciaire, en tant que tribunal d’appel, et législative, en tant que suppléant des Audiences, le Tribunal des Trois-États émet plusieurs demandes pour la rédaction d’un code civil. Le Conseil d’État enfin se charge de toutes les affaires concernant la prin- cipauté et constitue la première autorité en dessous du prince. Lors de l’acces- sion au trône des Hohenzollern, le Conseil d’État augmente considérablement son pouvoir face au Conseil de ville, mais également son indépendance face au prince.