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Coutumier ou code, entre distinctions lexicale et juridique Connaissant une très large acceptation, le terme de coutumier définit des re-

cueils allant de la simple compilation de points de coutume à de véritables ou- vrages de doctrine, organisés de manière thématique, commentés et comportant une dimension comparative avec d’autres droits. Dans un premier temps pure- ment privés, certains coutumiers acquièrent un caractère normatif lorsque l’autorité les sanctionne. Si la distinction entre ouvrage privé et officiel nous paraît essentielle, ce terme est utilisé indifféremment pour désigner l’un ou l’autre au XVIIIe siècle. Ce n’est que durant la seconde moitié de ce siècle que le terme de code tend à s’imposer et que la distinction entre le coutumier, comme ouvrage privé, et le code, comme texte normatif, apparaît. Dans une perspective historique, les coutumiers doivent-ils être considérés comme des codes et, par conséquent, leur rédaction constitue-t-elle une codification, ou faut-il les exclure ? Il convient de se pencher sur la définition à donner à ces

62 AVN B 101.14.001, fol. 356r (4 janvier 1574), mais aussi : fol. 360r (28 février 1578) ; fol. 403r

(27 avril 1604) ; fol. 377v (16 janvier 1618) ; fol. 382r (8 janvier 1621) ; fol. 394v (17 juin 1629).

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termes, leur limite et les conséquences que ces choix entrainent pour une étude sur la codification.

Des ouvrages privés, entre approbation officielle et reconnaissance publique

À priori, le terme de coutumier désigne un : « Recueil des règles de coutume

régissant une province, une région, une juridiction, un pays ; recueil qui est rédigé à titre privé par un jurisconsulte. »63 Ces rédactions débutent en 1199 avec la mise par écrit de la coutume de Normandie par un clerc d’Évreux64. La pratique se généralise ensuite dans toutes les régions coutumières. Originelle- ment manuscrits, les coutumiers imprimés se multiplient avec l’émergence de l’imprimerie. Leur diffusion en devient plus aisée, mais l’ouvrage doit alors ob- tenir une approbation et donc être soumis à la censure.

Le caractère privé semble ici prépondérant et les coutumiers ne constitue- raient pas des tentatives de codification. Certains coutumiers privés acquièrent pourtant force de loi par une reconnaissance officieuse, mais généralisée, aussi bien de la part des tribunaux que des justiciables. C’est notamment le cas du Grand Coutumier en Normandie65, accepté par les Normands comme loi dès le XIIIe siècle66, quand la rédaction officielle de la coutume normande n’intervient qu’en 158367. Malgré le rôle primordial acquis par ces ouvrages, ils demeurent des entreprises purement privées. Dans son Essai sur la notion de source du

droit Favarger affirme ainsi : « Les coutumes rédigées n’entrent dans la catégo- rie des sources directes que si elles ont été officiellement sanctionnées par

63 Tlf définition de « coutumier, subst. masc. ». 64 NEVEUX 2011, p. 15.

65 Traduction de la fin du XVIIIe siècle de la Summa de legibus (1235-1258) qui fait suite aux

premiers coutumiers de Normandie. Voir : NEVEUX 2011.

66 NEVEUX 2011, p. 21. 67 Voir : YVER 1986.

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l’autorité comme ce fut le cas en France après l’ordonnance de Montilz-les- Tours. »68 Après de premières reconnaissances précoces, telles que les cou- tumes de Toulouse ratifiées par Philippe le Hardi en 128669, de nombreux cou- tumiers revêtent cette sanction au XVe siècle70. La majorité des coutumiers res- tent pourtant privés, bien que largement diffusés, jusqu’au XIXe siècle.

Les coutumiers privés sanctionnés par l’autorité peuvent l’être directement après leur rédaction ou à moyen terme ; ils acquièrent ainsi force de loi. Plus rarement, des coutumiers sont directement commandés par l’autorité avec l’in- tention de les sanctionner. Leur élaboration les rapproche donc de codes, bien que leur contenu se limite à celui d’un coutumier, car, comme le fait justement remarquer Zenati-Castaing : « La codification […] n’est pas une simple unifi-

cation, mais aussi une systématisation. »71 La limite entre code et coutumier reste pourtant floue puisque certains coutumiers, même purement privés, ne se limitent pas à de simples compilations, mais organisent la coutume en sys- tème72.

La question se complique encore lorsque l’on s’intéresse, non pas au code, mais à la codification. Certains coutumiers n’obtenant aucune sanction offi- cielle sont élaborés dans ce but. Parfois même, ils le sont à la demande de l’auto- rité qui renonce finalement à reconnaître ce code potentiel, le reléguant au rang de coutumier. Ces ouvrages, bien que simples coutumiers privés, résultent bien d’une entreprise de codification. Avant de chercher à distinguer code et coutu- mier et d’établir s’il s’agit ou non de codification, il convient de se pencher sur la notion de code et de la définir clairement.

68 FAVARGER 1970, Essai, p. 351. 69 À ce sujet, voir : GILLES 1969. 70 GAZZANIGA 1997, p. 73.

71 ZENATI–CASTAING 2011, p. 356-357.

72 Le terme de système, parfois associé à l’école du droit naturel moderne, est utilisé dans ce travail

selon sa définition étymologique première définissant simplement un ensemble constitué de parties.

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Une définition pour le « code »

Désignant initialement une tablette en bois ou en peau pour écrire, le codex latin détermine également un registre écrit et, dès le IIIe siècle, sert à qualifier un recueil de lois et constitutions73. Employé en français dès 1236, le terme de code revêt le sens de « recueil de lois et règlements »74. En histoire du droit, la ques- tion de savoir ce que l’on peut qualifier de code ou non s’avère délicate. Il s’agit notamment de déterminer si ce terme est réservé à un ouvrage contenant l’en- semble d’un droit ou d’un domaine du droit ou s’il peut s’appliquer à des re- cueils plus modestes. Le statut du code pose également problème : faut-il obli- gatoirement qu’il s’agisse d’un recueil officiel ou peut-on étendre la définition à des recueils privés ? De plus, il faut définir si la publicité du code est néces- saire ou si un document interne à une administration peut être considéré comme tel. Selon l’acceptation faite de ce terme, l’importance du phénomène de codi- fication varie fortement. La question est sensible et faisant rarement l’unanimité lorsque l’on se penche sur des cas limites.

Dans sa thèse de doctorat, Jacques Vanderlinden a tenté de définir ce con- cept75 sans proposer de définition. Ce n’est que quarante ans plus tard qu’il est revenu sur cette question pour donner une définition du code qui nous semble pleinement satisfaisante. Il le qualifie de la manière suivante, répondant à toutes les questions soulevées plus haut : « le code est un ensemble formel dont le con-

tenu est constitué de la totalité ou d’une partie importante d’un droit, revêtu directement ou indirectement de la force obligatoire de la loi et possédant les attributs susceptibles d’en permettre une meilleure connaissance. »76

Cette définition fait donc appel à quatre critères permettant d’identifier un code comme tel. Il doit s’agir d’une réunion d’éléments dont la formulation,

73 GAUDEMET 1996, p. 4-5, voir aussi :DUNAND 2008, Code.

74 Tlf étymologie « code, subst, masc. ». Tlf définition de « code, subst. masc. ». 75 VANDERLINDEN 1967,Concept.

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41 précise et claire, exclut toute ambiguïté. Cet ensemble ne doit pas nécessaire- ment être constitué de l’intégralité d’un droit ; une partie importante de celui-ci suffit à former un code. Il n’est donc pas nécessairement exclusif comme l’a souhaité Justinien. L’ouvrage doit avoir force de loi, il doit donc être sanctionné par l’autorité. Néanmoins, il peut également avoir acquis cette force obligatoire indirectement, c’est-à-dire par une observation généralisée des règles qu’il con- tient, sans pour autant avoir été officialisé. Enfin, le code doit améliorer la con- naissance du droit. Cela suppose donc la publicité d’une part, mais également un contenu compréhensible, accessible.

Aussi aboutie soit-elle, cette définition laisse la place à de nombreuses dis- cussions et à une importante marge d’interprétation. Ainsi, des points de cou- tume consignés de manière chronologique dans un coutumier peuvent-ils être considérés comme possédant une formulation claire et précise ? Où se situe la limite nécessaire pour qualifier « une partie importante » ? Pour permettre une meilleure connaissance du droit, un ouvrage doit-il être rédigé dans une langue vernaculaire ou l’emploi d’un vocabulaire savant est-il acceptable ? Lorsque nous parlerons de code dans la suite de ce travail, nous nous rapporterons à cette définition, interprétée de manière large. Le contraire exclurait de nombreuses réalisations constituant vraisemblablement des codes, ce qui serait regrettable.

Utilisé une première fois en 1710 pour le code des lods77 voulu par Berlin, le terme de code n’est employé couramment à Neuchâtel qu’à partir du milieu du XVIIIe siècle. Dès 1758, il se généralise et remplace dans les actes officiels celui de coutumier, utilisé jusque-là pour définir tous les projets de recueil de droit. Aux dires de Gaudemet, cela n’a rien de propre à Neuchâtel : « Le mot de Code (Codex), mis à l’honneur par Grégorius et utilisé au Bas-Empire, dispa-

rut par la suite. On ne le retrouve guère avec le XVIe siècle. Il est rare au XVIIe

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(employé surtout en France et en Italie). Il ne deviendra d’usage courant qu’au

XVIIIe avec les progrès de l’idée de “codification”. »78

Les coutumiers sont-ils des codes et leur rédaction constitue-t- elle une codification ?

Peut-on considérer les coutumiers, ces recueils de coutume, comme des codes et faut-il nécessairement un code pour qu’il existe une entreprise de codifica- tion ? Ne faut-il pas, particulièrement lorsque l’on s’intéresse aux résistances à la codification, prendre en compte ces ouvrages apparemment destinés à un usage privé ? Les coutumiers demeurant strictement informatifs ne sont pas as- similables à des codes, car ils n’ont pas force de loi. Leur rédaction peut et doit toutefois être considérée comme une codification, si leur auteur l’a rédigé dans le dessein qu’il acquière un jour ce caractère officiel. En ce qui concerne les coutumiers ayant finalement obtenu cette sanction de l’autorité, ils peuvent par- faitement être considérés comme des codes, à condition qu’ils répondent aux autres critères évoqués par Vanderlinden. Quant aux rédactions officielles, même s’il ne s’agit pas d’un avis unanime, il est clairement possible de les con- sidérer comme des codes, comme le démontre Gazzaniga79. Halpérin, compa- rant le contenu des coutumiers français au Code civil de 1804, fait remarquer :

« quelques dizaines d’articles pour certains, 362 pour la coutume réformée de Paris (1580), moins de 700 articles pour les coutumes les plus volumineuses de Bretagne et de Normandie. On est loin des 2 281 articles du Code civil de 1804. Il y a là toute la distance qui sépare les codes systématiques et rationalistes des compilations ou collections d’usages. »80 La distinction est indéniable, mais l’exhaustivité est-elle bien nécessaire pour attribuer à un ouvrage le statut de

78 GAUDEMET 1996, p. 15. Pour un résumé de la diffusion du terme de code, voir aussi : VANDER-

LINDEN 1967,Concept, p. 229-234.

79 GAZZANIGA 1997, p. 80.

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43 code ? D’une part, la définition que nous avons retenue du code n’exige pas l’exhaustivité, le code peut ainsi se limiter à une partie d’un droit ; d’autre part, le nombre d’articles ne suffit pas à exclure une production de la famille des codes. Il faudrait, le cas échéant, priver de ce dénominatif le Code civil suisse avec ses 977 articles.

Il s’agit donc de distinguer quatre situations. Premièrement, le coutumier élaboré à titre privé et restant descriptif, que ce soit dans un cadre privé ou pu- blic. Il n’y a lieu de parler ici ni de code ni de codification. Deuxièmement, les coutumiers rédigés dans le dessein d’être sanctionnés, que ce soit à la demande d’une autorité ou d’une initiative privée, mais sans y parvenir. Il s’agit ici d’en- treprise de codification n’aboutissant pas à un code. Troisièmement, les coutu- miers rédigés à titre privé, sans dessein de les voir sanctionnés et tout de même reconnus par une autorité. Ces ouvrages, bien que constituant des codes, n’éma- nent pas d’une entreprise de codification à proprement dit. Quatrièmement, les ouvrages rédigés à la demande d’une autorité ou à titre privé dans le but d’être sanctionnés par le pouvoir et effectivement reconnus par ce dernier. Il s’agit alors d’entreprises de codification débouchant sur un code. En somme, il con- vient de se poser trois questions : s’agit-il d’une entreprise privée ou publique ? Y-a-t-il un dessein de voir le travail sanctionné par l’autorité ? Et enfin, l’ou- vrage a-t-il ou non été officialisé ?

Si les coutumiers privés ont pour seul effet de faciliter la connaissance de la coutume, les coutumiers officiels fixent cette dernière. Cet enregistrement de la coutume la dénature, comme nous l’avons défini plus haut. Sans constituer un droit écrit, cet état intermédiaire peut être considéré comme une étape de tran- sition entre le droit oral et le droit écrit et unifié. C’est notamment l’avis de jurisconsultes du XVIe siècle tels que Charles Dumoulin, Antoine Hotman, Guy

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Coquille ou Antoine Loysel81. Toutefois ces rédactions représentaient généra- lement pour leur auteur un but en soi et bien qu’elles aient finalement constitué les travaux préparatoires pour certains codes82, elles n’ont pas été rédigées dans ce dessein. Les coutumiers doivent donc être considérés comme des œuvres ju- ridiques à part entière et non comme une étape intermédiaire, ou de simples travaux préparatoires.