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Révolution politique et « réveil catholique » : le débat sur la liberté religieuse

GENÈSE D’UN RÉSEAU

Chapitre 2. Dupanloup et la Révolution de Juillet : le combat pour les libertés de l’Église catholique

B. Révolution politique et « réveil catholique » : le débat sur la liberté religieuse

Si Dupanloup est bien intégré aux réseaux légitimistes parisiens, il s’oppose grandement au groupe émergent des catholiques libéraux qui cherchent à mettre en place une possible alliance avec les libéraux majoritaires dans la monarchie de Juillet, dans le but d’une « réconciliation » entre l'Église de France et la société post-révolutionnaire. Dans ce contexte, Dupanloup qui s’oppose à Louis-Philippe et aux orléanistes par fidélité aux Bourbons, lutte encore plus activement contre les catholiques libéraux. À l’avant-garde de ces catholiques se placent Lamennais et son école.

Pendant longtemps, l’étude des catholiques libéraux a été un peu mise de côté. En minorité et désavoués par leur propre hiérarchie en 1832 et en 1864 suite à la publication de deux encycliques, les catholiques libéraux n’ont pas suscité beaucoup de travaux de recherche. La synthèse de l’historien Georges Weill, sur le « réveil catholique » incarné par les catholiques libéraux, a permis de mieux se pencher, dès le début du XXe siècle, sur les problématiques révélées par ce mouvement198. Vers 1970, Marcel Prélot et Françoise Gallouedec Genuys rassemblent dans un recueil les textes fondateurs de ce courant de pensée199. Les auteurs préfèrent l'appellation « libéralisme catholique » à celle de « catholicisme libéral » qui pourrait laisser entendre que des libertés sont prises avec les dogmes religieux, comme c’est le cas pour le « protestantisme libéral ». Ils parlent alors de « libéraux catholiques » pour bien signifier que le libéralisme de ces catholiques n’est pas d’ordre religieux ou moral mais d’ordre politique. Néanmoins cette expression n’a pas prévalu et la majorité des travaux maintiennent la terminologie de « catholiques libéraux ».

Ceux-ci ont été davantage étudiés sous la Révolution de 1848 et sous la Seconde République, car le mouvement se scinde alors en plusieurs tendances très différentes voire opposées entre elles. L’historien de l’époque contemporaine, Jean-Baptiste Duroselle, montre notamment la distinction progressive entre les catholiques libéraux et les « catholiques sociaux » qui émergent surtout dans les années 1840 autour des figures d’Armand de Melun, d’Arnaud de l’Ariège ou de Frédéric Ozanam. Ces catholiques se sont engagés pour une prise en charge publique des conditions de vie jugées déplorables de la population ouvrière. D’autres études

198 Georges Weill, Histoire du catholicisme libéral (1828-1908), op. cit.

199 Marcel Prélot et Françoise Gallouedec Genuys (dir.), Le libéralisme catholique, Paris, Armand Colin, 1969, pp. 5-48.

soulignent l’émergence des « catholiques démocrates » qui plaident pour que la souveraineté populaire constitue le fondement des nouvelles institutions politiques. Ainsi, derrière l’expression « catholicisme libéral » se révèle une multitude de réalités complexes et distinctes.

En 1971, le Centre d’histoire du Catholicisme de l’Université de Lyon organise un colloque sur le thème des Catholiques libéraux au XIXème siècle200. Le colloque met en valeur l’existence de réseaux internationaux et dresse « une géographie du mouvement » qui nous guide de la Belgique, berceau du catholicisme libéral, à l’Angleterre, l’Italie, en passant par la France, où le mouvement s’est bien implanté. Le caractère international du catholicisme libéral explique pourquoi les catholiques libéraux n’ont pas intéressé que les spécialistes français mais également les chercheurs anglo-saxons, notamment Patrick Harrigan, historien américain spécialiste de l’enseignement français201, ou encore Anita Rasi May qui s’est interrogée sur la crise de l’autorité des ecclésiastiques français dans les années 1850 au moment du vote de la loi Falloux202.

Des travaux plus récents montrent toute l’actualité des catholiques libéraux dans leurs tentatives de rallier le clergé au régime républicain vers lequel s’achemine la France afin de ménager une place pour la religion dans l’espace public. En attestent les articles de Sylvain Milbach, sur « Les catholiques libéraux et la presse entre 1831 et 1855 », sur « Les catholiques libéraux et la Révolution française autour de 1848 » ou encore sur « Lamennais, “une vie qui sera donc à refaire plus d’une fois”. Parcours posthumes » paru en 2014203.

Les prémices du « catholicisme libéral »

Toutes les synthèses sur le catholicisme libéral se rejoignent sur la complexité de ce courant de pensée, la difficulté de le définir et d’en fixer un commencement précis. L’historien Georges Weill date le début « officiel » du catholicisme libéral aux ordonnances de 1828, même si, à cette époque, le terme n’existe pas encore. En réponse à ces ordonnances, on voit en effet

200 Centre d’histoire du Catholicisme de l’Université de Lyon II, Les Catholiques libéraux au XIXème siècle : Acte du colloque international d’histoire religieuse de Grenoble des 30 septembre - 3 octobre 1971, Grenoble, Presses

Universitaires de Grenoble, 1974, 595 p.

201 Patrick Harrigan, “French Catholics and Classical Education after the Falloux Law”, French Historical Studies, vol. 8, n° 12, 1973, pp. 255-278.

202 Anita Rasi May, “The Falloux Law, The Catholic Press, and the Bishops: Crisis of Authority in the French Church”, French Historical Studies, Vol. 8, n°1, 1973, pp. 77-94.

203 Sylvain Milbach, « Les catholiques libéraux et la presse entre 1831 et 1855 », Le Mouvement Social, n° 215, avril-juin 2006, pp.9-34 ; « Les catholiques libéraux et la Révolution française autour de 1848 », Annales historiques de la Révolution française, n° 4, 2010, pp. 55-77 ; « Lamennais, “une vie qui sera donc à refaire plus d’une fois”. Parcours posthumes », Le Mouvement social, janvier-mars 2014, n°246, pp. 75-96.

apparaître dans le bas clergé et chez certains laïcs la revendication du principe de « liberté » pour l'Église. Ces ordonnances visaient les jésuites et les petits séminaires, objets d’âpres luttes entre le clergé et les parlementaires. Déjà en 1811, Napoléon Ier avait décidé d’incorporer les petits séminaires à l’Université. Mais avec le retour des Bourbons en 1814, ces établissements tenus par des religieux avaient retrouvé leur indépendance, sous l’appellation « d’écoles secondaires ecclésiastiques ».

Désormais exemptés du monopole de l’Université, les petits séminaires étaient placés sous la surveillance des évêques chargés du recrutement du clergé. Les élèves n’étaient pas obligés de suivre les cours de l’État. Ils devaient porter l’habit ecclésiastique après deux ans d’études et être tous internes, comme l’explique le chanoine Ernest Sevrin dans un article de la Revue d’histoire

de l'Église de France paru en 1830204. En droit, les petits séminaires n’étaient ouverts qu’aux futurs prêtres ; dans les faits, ils recevaient beaucoup d’enfants du monde. Au centre du système scolaire sous l’Ancien Régime, les jésuites, qui étaient toujours bannis officiellement par la loi, rentraient progressivement en France et reconstituaient leurs noviciats. Certains jésuites sont devenus des prêtres diocésains. Rapidement on dénombre huit collèges ecclésiastiques, c’est-à-dire des petits séminaires, dirigés par des jésuites et comptant de nombreux élèves laïques, y compris une bonne partie de la noblesse. Comme l’a résumé Georges Weill, « les catholiques ne demandaient pas encore la liberté d’enseignement, ils l’avaient en fait »205.

Le ministre Martignac, modéré et favorable aux Doctrinaires, fait signer à Charles X les ordonnances du 16 juin 1828 qui ont pour intention première d’interdire aux jésuites tout enseignement et plus largement de réglementer l’existence des petits séminaires. Ainsi tout directeur ou professeur d’une école secondaire ecclésiastique était tenu d’affirmer par écrit qu’il n’appartenait pas à une congrégation non autorisée. Les petits séminaires devaient revenir à leur but primitif, c’est-à-dire le recrutement du clergé. Ces écoles ne pouvaient plus recevoir plus de 20 000 élèves, ni d’externes. Les candidats au baccalauréat ne recevaient leur diplôme qu’après leur entrée dans les ordres. Les élèves d’au moins quatorze ans et inscrits dans les petits séminaires depuis deux ans devaient porter l’habit ecclésiastique. Certes, ces ordonnances ont également permis la création de 8 000 bourses pour aider les évêques à former de futurs prêtres dans leurs écoles. Néanmoins, elles mettaient fin au régime de faveur qui annulait de fait le monopole de l’Université.

204 Ernest Sevrin, « Les ordonnances de 1828 et Mgr Clausel de Montals, évêque de Chartres », Revue d’histoire de l’Eglise de France, 1930, volume 16, n°70, pp. 5-22.

Indignés par ces mesures, les évêques français restent néanmoins silencieux. C’est à la chambre des députés que les protestations se font les plus vives. Elles sont le fait d’orateurs catholiques qui n’hésitent pas à haranguer le gouvernement, à l’instar du vicomte de Conny ou de Sainte-Marie, un autre député de droite. Pour la première fois, commente Georges Weill, la « liberté » est invoquée pour revendiquer des droits pour l'Église catholique et surtout pour instaurer son indépendance par rapport au gouvernement. Comme le souligne l’historien, « cet amour de la liberté, que bien des orateurs de la droite ne partageaient pas encore, était de si fraîche date qu’il souleva les railleries des hommes de gauche »206. Le bas clergé se mobilise également. Au début de l’année 1828, Lamennais écrivait à Laurentie, ancien inspecteur général de l’Université : « voilà notre état véritable, et, de part et d’autre, le problème qu’on essaie de résoudre est celui-ci : Constituer une société sans Dieu.J’ose assurer qu’on ne peut rien au présent, ni rien prévoir de l’avenir, qu’en jugeant des choses d’après ces idées fondamentales »207. À Benoit d’Azy, le 13 mars 1828, Lamennais annonce la déferlante d’une future révolution :

« Nous voyons monter les événements depuis quelques années, et ainsi il n’est pas difficile de prévoir l’inondation. Jusqu’où s’étendra-t-elle ? Voilà tout ce qu’on peut demander. Je crois qu’il est plus aisé de dire ce qu’elle emportera, que d’annoncer ce qu’elle laissera debout, en fait de fabriques humaines. la révolution ressemble au démon de l’Évangile, qui ne s’en va que pour revenir avec sept autres plus forts que lui »208.

Ce texte souligne le paradoxe des premiers catholiques libéraux. D’un côté, ils reprennent abondamment les poncifs de l’apologétique anti-révolutionnaire consistant à faire de la Révolution un processus maléfique. De l’autre, ils tentent de gagner le haut clergé à la cause des libéraux qui sont en passe de prendre le pouvoir. Le ralliement au régime parlementaire voire républicain n’est pas exclu. D’ailleurs Lamennais se fait l’écho des droits du peuple et des ouvriers en se montrant favorable au système républicain, et plus tard au système démocratique, à condition que l'Église canalise ce mouvement démocratique et social pour que ce dernier ne sombre pas dans l’anarchie ou la tyrannie209.

Lamennais revient plus précisément sur les ordonnances de juin 1828 dans un ouvrage paru en 1829, Des Progrès de la Révolution et de la guerre contre l'Église. Pour Weill, ce livre constitue « l’acte de naissance du catholicisme libéral ». Lamennais y dénonce les deux doctrines qui selon lui nuisent gravement à la société de son époque : le libéralisme et le gallicanisme. Le

206 Ibid., p. 12.

207 Lamennais, Correspondance générale, 1825 - Juin 1828, T.3, textes réunis, classés et annotés par Louis le Guillou, Paris, Armand Colin, 1971, p. 457. En italique dans le texte.

208 Ibid., p. 490.

prêtre breton estime que ces deux doctrines sont apparues historiquement au XVIIe siècle, lorsque Louis XIV a décrété la séparation de la société religieuse et de la société civile. Le libéralisme est dénoncé car il détruit le lien social. Combattant à la fois la souveraineté du peuple et celle des rois, cette idéologie ne laisserait subsister que la seule raison individuelle et irait jusqu’à louer l’anarchie des esprits et des idées. Lamennais conclut que le libéralisme détruit finalement la liberté. Quant au gallicanisme, il est défini comme une doctrine de servitude qui établit l’arbitraire du roi au nom de la religion. Ainsi le roi est affranchi de toute règle de justice, mais bien plus il peut commettre toute sorte de méfaits sous couvert de la religion. Or, rappelle Lamennais, ce sont de tels excès qui ont provoqué une réaction d’opposition de la population vis-à-vis du clergé. « Comme le gallicanisme établissait l’arbitraire au nom de la religion, presque tous ceux que travaillait le besoin de la liberté, voyant à tort dans la religion l’alliée naturelle du despotisme, se séparèrent d’elle avec haine, et fondèrent sur sa destruction l’espérance d’un ordre social meilleur », à l’image des saint-simoniens*210.

Pour lutter contre les excès de ces deux doctrines subversives, Lamennais plaide ainsi pour une union de l’ordre et de la liberté, le glaive matériel du roi devant être soumis au glaive spirituel du pape, car pour Lamennais, toutes les libertés européennes sont nées sous l’empire du catholicisme. On voit ici toute l’ambiguïté des revendications catholiques libérales à ses débuts. La séparation de l’État et de l'Église ici réclamée n’est pas absolue. Il s’agit avant tout de désolidariser un pouvoir peu apprécié d’une religion en perte d’adeptes. Néanmoins, dans l’idéologie de Lamennais, la direction légitime de la société revient au final au clergé et tout particulièrement au pape. Le catholicisme libéral est donc, à ses fondements mêmes, une doctrine pratique, liée à des circonstances singulières et appelée à disparaître avec l’amélioration de la situation des catholiques en France. À terme, le catholicisme libéral n’a pas pour but la libéralisation, politique ou sociale, du clergé. C’est une adaptation transitoire par rapport à la situation défavorable que connaissent les catholiques dans la première moitié du XIXe siècle.

Lamennais lutte ainsi pour une restauration de la foi catholique dans la société à condition que cette restauration soit libre et non imposée par le haut. « Les catholiques instruits par l’expérience ont reconnu que le pouvoir était pour la religion un mauvais appui ; qu’elle a sa force ailleurs, c’est-à-dire en elle-même et que sa vie est la liberté »211. Prenant conscience que le règne complet de l'Église catholique doit lui-même être l’œuvre de la liberté, la nouvelle philosophie de

210 Georges Weill, Histoire du catholicisme libéral (1828-1908), op. cit., pp.13-14.

Lamennais prend ainsi en compte la nouvelle réalité religieuse du pays. Il a bien compris que pour avoir l’appui d’une autorité publique, désormais garante de l’équilibre entre les différentes croyances autorisées de la nation, le clergé ne pouvait être cause de troubles publics et de controverses jugées inutiles et dangereuses pour l’ordre civil. Même si Lamennais n’approuve pas pour autant la ligne politique du gouvernement en place, il encourage les catholiques à la patience. Une fois que la société aura mesuré l’étendue de tous les dégâts causés par l’anarchie anticléricale, elle reviendra, prédit Lamennais, aux fondements de la religion catholique. En attendant, le clergé est appelé à s’imprégner de l’esprit moderne et à relever le niveau d’instruction de ses membres. L’ouvrage de Lamennais, Des Progrès de la Révolution et de la guerre contre l'Église, est un véritable succès. 6 000 exemplaires sont vendus en moins de quinze jours. Les thèses audacieuses qui y sont développées sont accueillies chaleureusement par ses partisans, tels Salinis et Gerbet. Leur revue, Le Mémorial catholique, approuve complètement le nouvel opus du maître. Désormais défenseur de la liberté, Lamennais attire de nouveaux disciples, comme Lacordaire, qui se sentait jusqu’à présent isolé au milieu d’un clergé réactionnaire opposé aux idées modernes, si bien qu’il avait pensé partir pour l’Amérique, où la liberté religieuse est plus affirmée212. Les textes de Lamennais suscitent des réactions très opposées, provoquant l’hostilité des conservateurs, mais brisant également la défiance de certains libéraux envers la religion. Certes la plupart des hommes politiques de gauche ne sont pas antireligieux, comme on aurait pu le croire, mais ils sont plutôt attachés au gallicanisme et apprécient peu le recours à la papauté dans les affaires du gouvernement français. Cependant beaucoup de libéraux ne veulent plus d’une mainmise de l’État sur l'Église. Benjamin Constant compte ainsi parmi les ennemis du monopole universitaire. Il accueillit très froidement les ordonnances de 1828. À plusieurs reprises, Corcelles déclare à la Chambre que le régime de l’avenir doit garantir pour toutes les confessions la liberté religieuse et assurer la séparation de l'Église et de l’État. Il prend notamment l’exemple de l’Amérique, pays très religieux et très tolérant, où le clergé vit de l’impôt volontaire des fidèles et n’est pas financé par l’État. Le Globe, le journal des saint-simoniens, s’insurge également contre les ordonnances de juin et l’écrasement des jésuites, en réclamant la liberté d’enseignement. Un premier rapprochement entre les catholiques et les libéraux s’opère ainsi à l’occasion de cet épisode de 1828, avec une entente sur l’idée sinon d’une séparation, du moins d’une indépendance, entre l'ancienne Église d’État et le nouvel État monarchique.

Les catholiques libéraux sous la monarchie de Juillet

Les bouleversements occasionnés par la Révolution de 1830 convainquent certains catholiques de l’urgence de défendre la « liberté » de l'institution ecclésiastique. Ce mouvement est loin de se restreindre au territoire français. En effet, comme le remarquent les auteurs de L’Histoire du catholicisme en France, la période contemporaine, « on voit poindre en Europe l’union du catholicisme et de la liberté ». En Belgique d’abord où Bruxelles, secouée par la commotion des Trois Glorieuses, s’est soulevée en août 1830. S’étant rapprochés des libéraux, les catholiques belges exercent une forte influence dans l’élaboration de la Constitution de 1831, qui proclame la liberté religieuse la plus complète avec notamment la nomination des évêques par le Saint-Siège et la liberté de correspondance avec Rome, la liberté de la presse, la liberté d’association et la liberté d’enseignement. En Pologne, les patriotes s’insurgent contre le tsar Nicolas sous le signe de la liberté religieuse. En Irlande, Daniel O’Connell, à la tête de la Catholic Association, parvient à obtenir l’émancipation des catholiques britanniques et irlandais par l’abolition de la législation anti-catholique. Il passe alors à l’action pour le désétablissement de l’Église d’Angleterre. Le jeune Charles de Montalembert se rend en Irlande à l’automne 1830 pour y rencontrer le catholique irlandais, appelé également « Le libérateur » ou « l’émancipateur ». Victor Hugo analyse en ces termes les événements européens de 1830 : « Sur cinq révolutions d’émancipation qui ont éclaté en Europe depuis quarante ans, la Française, la Grecque, l’Irlandaise, la Belge, la Polonaise, le christianisme en a quatre, et sur les quatre qui sont du christianisme, le catholicisme romain en a trois »213.Les Révolutions de juillet en Europe montrent ainsi la vivacité de la question religieuse dans les États modernes. Les rapports de forces entre Églises et États sont loin d’avoir trouvé une solution d’apaisement.

En France, deux lignes principales se distinguent, face à la politique religieuse établie par la Charte de 1830 : une tendance modérée autour du journal Le Correspondant, une tendance plus radicale autour de Lamennais et son journal L’Avenir. De mars 1829 à mars 1831, paraît une nouvelle feuille, Le Correspondant. Il se veut le porte-parole de tout catholique français ou étranger mécontent des atteintes réalisées à l’encontre de la liberté religieuse, sous-entendu de la liberté des catholiques. Le journal est fondé par l’abbé Cazalès et le diplomate Louis de Carné, comte de Carné Marcein. Organe du parti religieux libéral, Le Correspondant reste tout de même

très modéré dans ses propos, bien qu’il se place en opposition aux ultras et réclame des libertés grandissantes pour l'Église catholique romaine. Ainsi dans ses souvenirs de jeunesse, Louis de Carné rapporte que « Le Correspondant avait pris pour épitaphe le mot célèbre de Georges Canning [sic] : Liberté civile et religieuse par tout l’univers »214.

Les réflexions amorcées par Le Correspondant sont déterminantes dans la formation des