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Le tandem Dupanloup-Montalemb ert à l’Assemblée

UN PARTI, DES RÉSEAUX

Chapitre 1. Le centre du parti Dupanloup

A. Le tandem Dupanloup-Montalemb ert à l’Assemblée

Le parti Dupanloup face à la Révolution

Comment se positionne Dupanloup par rapport à la Révolution 1848 et aux forces politiques qui se mettent alors en place ? C’est tout d’abord dans l’action de Dupanloup à l’Assemblée constituante (4 mai 1848 - 26 mai 1849) que l’on peut observer ce positionnement. Or cette action est essentiellement médiatisée par l’action de Montalembert en tant que député au sein de cette Assemblée.

Dans leur désir commun de voir le catholicisme redevenir l’un des fondements de la société civile et politique française, Dupanloup et Montalembert continuent leurs efforts en 1848-1851, ciblant leur attaque sur l’enseignement. Leur correspondance s’intensifie dans cette période. D’autant plus qu’à partir d’avril 1849, Dupanloup doit résider à Orléans dont il devient l’évêque. La distance rend encore plus nécessaire l’envoi de lettres et de billets. Ainsi, dans les fonds de Saint-Sulpice, si en 1848, Dupanloup et Montalembert ont échangé 9 lettres sur la situation du pays, on en dénombre 12 en 1849 et 32 en 1850 (au moment où la loi Falloux est votée) avant de redescendre à 10 en 1851 (cf. Tableau 1, p. 108). La collaboration entre les deux hommes devient ainsi de plus en plus étroite, même s’il est vrai également que les tensions se multiplient entre eux pour plusieurs raisons : la gestion de L’Ami de la religion, l’inconstance d’alliés pas toujours fiables, tel que Mgr Parisis, et surtout l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte comme président

de la République en décembre 1848. Mais pour l’heure, les deux hommes s’accordent dans leur opposition à la démocratie et au socialisme. Certes Montalembert ne partage pas le légitimisme de Dupanloup. Il reste un partisan de la monarchie constitutionnelle et d’un libéralisme politique modéré. Mais en tant que représentant et défenseur de l’aristocratie, il juge les masses incapables de se gouverner elles-mêmes. Les deux hommes agissent ainsi en étroite concertation, se consultant réciproquement avant chaque démarche.

Comme il le fera encore sous les régimes politiques ultérieurs, Dupanloup pousse Montalembert à la députation, convaincu que celui-ci « peut être tout à la fois un grand orateur, un grand écrivain, et un homme d’action »418. Il continue en outre à le conseiller dans ses discours à l’Assemblée. Montalembert devient en effet l’un des principaux orateurs des conservateurs à la Chambre, remarque Sylvain Milbach. Il intervient dans les principaux débats de lois visant à contenir le « péril social rouge », comme par exemple les débats sur la limitation de la liberté de la presse, sur l’enseignement ou sur la restriction du suffrage universel. Dupanloup écrit quelques mots à Montalembert en juin 1848 pour lui dire à quel point il a admiré et béni son discours sur les chemins de fer. « Voilà de l’éloquence ! Du caractère ! De la logique ! Admirable ! Admirable ! »419. Ce discours, qui porte sur la nationalisation des chemins de fer, constitue l’un des temps forts de la Révolution car il précède de peu les journées révolutionnaires de juin 1848420 et il ne fait pas de doute qu’il y a fortement contribué. La question du rachat par l’État des chemins de fer agite en effet le Gouvernement Provisoire et l’Assemblée. Montalembert s’y oppose fermement car il y voit une “atteinte au droit de propriété qui est la base de toute société, et une atteinte à l’esprit d’association”. Pour Montalembert, la nationalisation des chemins de fer ne serait qu’un

418François Lagrange, Lettres choisies de Mgr Dupanloup, évêque d’Orléans, T. II, op. cit., 11 mars 1863, p.94.

419AD Côte d’Or, Fonds Montalembert, Pièces 455-456, lettre de Montalembert à Dupanloup, 3 juin 1848, Paris.

420 L'élection, les 23 et 24 avril 1848, d'une Assemblée constituante, de tendance républicaine modérée, a été ressentie comme une défaite par l'extrême gauche révolutionnaire. Lors de la journée du 15 mai, des émeutiers réclament une intervention en faveur de la Pologne et prétendent soumettre l'Assemblée à la pression des clubs et de la rue. Leur échec élargit le fossé entre les masses parisiennes et le pouvoir, dès lors décidé à liquider les ateliers nationaux qui inquiètent et coûtent cher. Une agitation révolutionnaire secoue les milieux ouvriers dans les premières semaines de juin. Le 20 juin, la commission exécutive adopte le décret préparé le 24 mai : l’incorporation dans l'armée des ouvriers de dix-huit à vingt-cinq ans, l’exclusion des autres à moins qu'ils n'acceptent leur transfert sur des chantiers de province. La parution du décret dans Le Moniteur du 22 juin déclenche le soulèvement. Ce même jour, les ouvriers manifestent contre le “décret de proscription” mais ils ne peuvent arracher aucune concession ; le 23 au matin, après un grand rassemblement à la Bastille, l'est de Paris se couvre de barricades (trente-huit dans la seule rue Saint-Jacques, plus de quatre cents en tout). Les forces en présence ? Pas plus de vingt mille insurgés sur quelque cent vingt mille ouvriers des ateliers : le gros des insurgés provient d'une masse de chômeurs réduits au désespoir par la misère. “Du pain ou du plomb”, tel est leur cri de ralliement.

Fig. 10 : Émile Desmaisons, Charles de Montalembert, estampe, 1848, Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, RESERVE QB-370 (111)-FT4.

début. L’accepter, c’est ouvrir la possibilité de voir l’État racheter également les assurances, les mines, les salines, les banques, les armements, les usines, les filatures, et ainsi de suite. Contre ce « despotisme collectif », il avance l’idée que la « propriété est antérieure et supérieure à toutes les lois et les constitutions »421.

L’importance grandissante de Montalembert au sein des modérés et des conservateurs, tendance majoritaire à l’Assemblée, est un atout capital pour Dupanloup dans la recherche d’alliances nécessaires à son but : la liberté de l’enseignement. En effet, pour Dupanloup et son groupe, il ne s’agit pas tant de combattre les idées de la gauche que de faire passer leurs propres idées, celles pour lesquelles ils se battent depuis plusieurs décennies. Il est d’ailleurs intéressant de noter que Dupanloup ne traite que très rarement dans sa correspondance du socialisme ou du communisme. Dans une lettre datée du 29 mai 1849, il apparaît que les concepts de socialisme et de communisme ne sont pas très clairs dans leur esprit. Ils semblent interchangeables : « mon ami j’ai reçu votre lettre du 24 mai 1849. Je l’ai communiquée à MM. de Falloux et Fresneau : ils sont assez de votre avis sur la substitution du mot socialisme et celui de communisme. Fresneau se fait fort de démontrer que le socialisme est identique avec le communisme. Quant à moi, je crois qu’il est trop tard pour tenter de revenir sur ce qui a été fait. Le mot de socialisme est entré dans la polémique, et il n’en sortira plus. Je tiens d’ailleurs que l’idée qu’il représente est distincte de celle de communisme, mais comme vous le dites fort bien, beaucoup plus dangereux et beaucoup plus populaire. L’un et l’autre sont d’ailleurs la conséquence logique de la démocratie ; et je suis convaincu que l’une et l’autre triompheront successivement »422.

Le ton emprunté par Montalembert dans cette lettre manifeste clairement un rejet du libéralisme de 1848, trop fortement teinté de socialisme à son goût. Dupanloup est du même avis. Peut-on alors encore considérer Dupanloup et Montalembert comme des catholiques libéraux ? Il ne faut pas oublier que le catholicisme libéral est lui-même très diversifié, comme il a été démontré dans la partie précédente. Par ailleurs, Dupanloup s’était rallié aux catholiques libéraux de façon opportune au moment où les petits séminaires étaient menacés par certains projets de loi visant à les faire disparaître. Il n’avait consenti à des concessions envers la société post-révolutionnaire que pour obtenir en retour la liberté d’enseignement. En 1848, il s’agit encore pour Dupanloup de défendre cette liberté avant tout, avant même le régime monarchique ou la propriété. C’est pourquoi il n’hésite pas à investir les institutions de la Seconde République, en s’y faisant

421 Montalembert, Oeuvres, op. cit., pp. 35-41.

représenter dans un premier temps par Montalembert, qui partage la même vision que lui sur les événements qu’ils doivent alors affronter. L’Assemblée constituante est la première cible de l’action de Dupanloup.

En optant pour cette stratégie, Dupanloup se différencie, par exemple, de l’archevêque de Tours, qui pense pouvoir régler la question de l’enseignement tout d’abord au niveau de l'Église de France. C’est ce que révèle sa lettre au nonce, en date du 29 juillet 1848. Mgr Morlot lui fait part d’une discussion qu’il a eue avec l’évêque d’Angers et celui de Blois sur les « circonstances si graves et si critiques où se trouve l’Église de France », en particulier sur « la grave question de l’enseignement »423. « Nous sommes convenus de combattre par tous les moyens possibles le projet de loi proposé sur l’enseignement primaire, s’il devait y être donné suite, car les conséquences en seraient épouvantables ». Il fait référence au projet de loi sur l’enseignement d’Hippolyte Carnot*424. Concernant l’enseignement secondaire, Mgr Morlot ajoute qu’il convient de ne rien négliger pour « obtenir toutes les garanties les plus rassurantes pour la famille ; pour l’État qui ne peut subsister sans religion ; pour l’Église qui a besoin de perpétuer son sacerdoce et ne peut se dessaisir de sa part d’action et d’influence sur l’enfance et la femme »425. Mgr Morlot se tourne vers le nonce car il aimerait que ces questions soient discutées en conciles provinciaux et que la tenue de ces conciles soient obtenue le plus tôt possible « par l’intervention du Saint-Siège et de toutes personnes bien placées en France pour éclairer le pouvoir et écarter les obstacles qui s’opposeraient à la réalisation d’une mesure qui jamais ne fut plus urgente »426.

Pour obtenir gain de cause sur la question de l’enseignement, Dupanloup choisit, quant à lui, de passer par l’action immédiate en tissant d’un vaste maillage entre plusieurs milieux, le milieu clérical et le milieu politique en mobilisant ses réseaux et en créant de nouveaux.

423 Archives secrètes vaticanes, archives de la nonciature de Paris, Dossier 73, sous-dossier 1 “Cardinali Arcivescovi e Vescovi”, 1848, n°218. Mgr l’archevêque de Tours au nonce apostolique, 29 juillet 1848.

424Hippolyte Carnot confie à la Haute commission des études scientifiques et littéraires la rédaction d’un projet de loi sur l’enseignement primaire. Bien qu’il favorise l’enseignement de la religion et du “grand principe de la fraternité” qui n’a “point de base plus solide et plus générale à l'amour des hommes que cette qui se déduit de l'amour de Dieu”, ce projet de loi est immédiatement écarté par les catholiques, notamment parce qu’il entend redonner toute son importance au rôle de l’instituteur dans l’éducation civique des élèves. Or dans l’esprit des catholiques, les instituteurs sont tous des révolutionnaires socialistes. Le projet de loi d’Hippolyte Carnot stipule que celui qui veut devenir instituteur doit être pourvu d’un certificat d’études. Il est en va de même pour celui qui veut ouvrir une école privée.

425 Archives secrètes vaticanes, archives de la nonciature de Paris, Dossier 73, sous-dossier 1 “Cardinali Arcivescovi e Vescovi”, 1848, n°218. Mgr l’archevêque de Tours au nonce apostolique, 29 juillet 1848.

La mobilisation du clergé au sein de l’Assemblée constituante

Dans un premier temps, la stratégie de Dupanloup ne diffère pas grandement de celle des années 1840, c’est-à-dire obtenir l’appui des évêques français et particulièrement celui des quinze ecclésiastiques élus à l’Assemblée constituante en avril 1848427. Mais rien n’est acquis. Dupanloup écrit à Montalembert qu’on se plaint un peu de celui-ci parmi les catholiques et les ecclésiastiques de l’Assemblée428. Une telle position ne saurait être acceptable pour Dupanloup qui est bien conscient de leur position minoritaire, comme le lui rappelle le père Ravignan : « L’Assemblée est fractionnée, sans lien pour unir les éléments honnêtes et qui pourraient avoir une grande force. Cent hommes religieux, la plupart légitimistes. Cent autres qui se joindraient à eux en faveur de l'Église et de la vraie liberté. Cent républicains rouges et terroristes ou à peu près. Cent républicains honnêtes, plus ou moins. Tout le reste, dit-on, sauf les indécis et les flottants, rentrerait dans la nuance gauche dynastique. La garde nationale et les 40 000 hommes de troupe ligne, ainsi que la garde mobile paraissent animées du meilleur esprit contre les fauteurs de désordre. Mais les ouvriers fermentent et sont travaillés par les passions ennemies. On annonce une crise violente pour le 15 juin…»429.

Après les journées révolutionnaires de juin 1848 et cette « horrible lutte », Ravignan écrit à Dupanloup que Paris respire, mais pour autant rien n’est fini en France : « La lutte commence. Personne ne sait le remède. Incertitude, chaos, faiblesse, … voilà où nous sommes »430. Pour Dupanloup, le remède, c’est avant tout l’école, même s’il demande également à Montalembert de réfléchir à un projet de « constitution libérale », car, écrit-il, « viendra le jour où il en faudra une, et personne ne sera prêt »431. Dans la stratégie de Dupanloup, Montalembert continue son rôle de fédérateur des forces catholiques au sein des institutions politiques. Lorsqu’il quitte Paris en avril 1848, Dupanloup confie à Montalembert la responsabilité de nouer des contacts au sein de l’Assemblée constituante, où tout semble alors redevenu parfaitement tranquille : « Les hommes d’ordre y dominent entièrement. Les mutins sont aux pieds des propriétaires ». Le premier angle d’attaque choisi est celui de l’épiscopat.

427 Sylvain Milbach, Les Chaires ennemies, op. cit, p. 505.

428AD Côte d’Or, Fonds Montalembert, Pièce 455-456, lettre de Dupanloup à Montalembert, 36 rue du Bac, Paris, sans date.

429 Gustave-Xavier de la Croix de Ravignan, Lettres inédites du R. P. de Ravignan à Monseigneur Dupanloup, 1840-1857, op. cit., pp.51. Lettre de Ravignan à Dupanloup, 4 juin 1848.

430 Archives Saint-Sulpice, Fonds Dupanloup, Lettre de Ravignan à Dupanloup, 28 juin 1848.

431AD Côte d’Or, Fonds Montalembert, Pièce 455-456, lettre de Dupanloup à Montalembert, 36 rue du Bac, Paris, sans date.

La tâche n’est pas aisée si on considère les velléités de l’épiscopat français face aux deux projets de loi qui ont fait polémique chez les catholiques en raison de leur anticléricalisme, le projet de loi de Villemain (1844) et celui de Salvandy (1847). L’épiscopat avait tantôt fortement réagi, tantôt adopté une attitude passive432. Il était donc nécessaire en 1848 de réveiller les éléments catholiques : « Il faut vous entendre avec Orléans et Quimper et faire que Langres soit avec eux », écrit alors Dupanloup. Il poursuit : « Vous comprenez que votre entente à tous est essentielle. J’y joindrai Cazalès, et il faudrait y obliger votre ancien ami [Lacordaire] ». Pour les trois premiers personnages cités ici, il s’agit de trois évêques élus à l’Assemblée constituante en avril 1848, respectivement Mgr Fayet, évêque d’Orléans, Mgr Graveran, évêque de Quimper, et Mgr Parisis, évêque de Langres. Mgr Fayet, on s’en souvient, avait été l’un des signataires des controversés vœux du clergé présentés à l’épiscopat le 15 mars 1848.

Voir trois évêques s'asseoir sur les bancs de l’Assemblée n’est pas anodin pour notre période. Le jeune attaché de l’Ambassade d’Autriche-Hongrie à Paris, Rodolphe Apponyi, voit dans la présence de clercs à l’Assemblée le signe d’un rattachement franc et complet du clergé au régime. Dans ses Mémoires,Odilon Barrot écrit : “Pour la première fois depuis 1789, des évêques, des prêtres, des moines même reparurent en assez grand nombre sur les sièges de la représentation nationale”. Les Mémoires de Falloux soulignent également ce caractère exceptionnel de l’Assemblée d’avril 1848 : “L’apparition la plus inattendue fut celle d’un nombreux clergé sur les bancs d’une assemblée politique”433. Il n’est pas inintéressant de relever que les ecclésiastiques siégeant à l’Assemblée interviennent surtout dans les questions concernant le clergé. Comme par exemple sur la question du comité des cultes. Ce Comité des cultes, mis en place par l’Assemblée constituante, comprend, quelques ecclésiastiques dont trois évêques et trois abbés, quelques laïcs anticléricaux et un protestant. Il réfléchit à une possible refonte du Concordat, en s’attachant particulièrement à quelques points : le budget des cultes, le célibat des prêtres, les procédures disciplinaires au sein de l’Église, la modification du statut des desservants, que certains membres voudraient rendre inamovibles. “Démocratiser l’Église - avec l’aval de Rome -, afin d’adapter ses structures à celles de la jeune République, tel est le vœu essentiel d’une partie du Comité”, explique l’historienne Jacqueline Lalouette434.

432 Archives Saint-Sulpice, Fonds Dupanloup, lettre de Montalembert à Dupanloup, 2 mai 1847, 1 octobre 1847.

433Arnaud Coutant, 1848, quand la République combattait la Démocratie, Paris, Mare & Martin, 2009, p. 152.

434 Jacqueline Lalouette, “La politique religieuse de la Seconde République”, Revue d'histoire du XIXe siècle, 28, 2004, pp. 79-94.

Si Dupanloup s’intéresse de près à Mgr Fayet, Mgr Graveran, et Mgr Parisis, ce n’est pas un hasard. Ces trois évêques sont très actifs sur les questions concernant la place du clergé dans la société. Mgr Graveran, ancien condisciple de Mgr Affre à Saint-Sulpice, est très impliqué dans la lutte pour la liberté de l’enseignement. Il intervient à de nombreuses reprises, notamment dans les comités de la Constituante en charge d’élaborer un projet de loi sur l’enseignement. Dans l’un de ses discours, Mgr Graveran défend l’idée d’une nécessaire relation de coexistence, et non de subordination, entre ce qu’il nomme « le droit naturel de l’individu » (dont fait partie la religion) et le « droit naturel de l’État »435. Il présente également la question des facultés de théologie et des grades théologiques exigibles pour les diverses fonctions ecclésiastiques.

D’autres prises de paroles poussent l’évêque de Quimper à plaider pour l’insertion dans le texte de la loi de l’expression : « la liberté d’enseigner », c’est-à-dire « pour chacun la liberté d’enseigner ce qu’il sait, sans avoir besoin d’une autorisation ». Il définit ainsi la liberté : « c’est de pourvoir user de toutes ses facultés dans ce qui ne nuit pas aux autres ». C’est aussi « pour chacun la liberté d’apprendre ce qu’il ne sait pas, sans avoir besoin de s’adresser à un homme breveté ad hoc ». Liberté également quant à la méthode et à l’objet de l’enseignement : « L’Université me répond du savoir d’un sujet. - Le maire, de sa moralité civile. Mais ses croyances religieuses, sa moralité religieuse, qui en répond ? Cependant je puis et dois tenir à la connaître dans l’intérêt de mon enfant », proclame Mgr Graveran. « L’État n’a pas un latin à lui, un grec, une géométrie, une physique, etc., à lui ; [...]. Il a des lois à lui, il les a faites, il lui appartient de les appliquer, de les interpréter ; par conséquent de les enseigner. - Mais les autres connaissances ne sont pas de son domaine »436. « Parmi les libertés, celle de l’enseignement est la première, la plus noble, la plus importante, la plus nécessaire. Vous l’avez tous promis ».

Mgr Graveran prévient les objections : « mais, avec la liberté, viendra l’influence religieuse. - Si elle est libre, qu’avez-vous à dire ? - Le règne de la liberté doit être précisément le règne des influences librement acceptées. Mais pourquoi craindre la nôtre ? - Vous le savez bien, vous l’avez dit, vous l’avez écrit plusieurs fois : le clergé a perdu son influence. - Il n’a aucune action sur la société, à laquelle il est devenu étranger ». Mgr Graveran met ainsi en avant l’attitude ambivalente des républicains : « s’il faut rendre méprisable [le clergé], vous niez son action ; s’il faut le rendre odieux, vous l’exagérez et la dénaturez »437. Il est pertinent de relever, en outre, que

435François Louis Michel Maupied, Vie de Mgr J.-M. Graveran, évêque de Quimper et Léon, Vannes, Imprimerie de Gustave de Lamarzelle, 1856, pp. 149-150.

436 Id.

Mgr Graveran est proche de Mgr Affre, du moins sur le plan des idées. C’est d’ailleurs Mgr Graveran qui officie à la cérémonie qui eut lieu sur la place de la Concorde en juin 1848, en