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1858 1859 1860 1861 1862 Janvier : 16 Mai : 5, 15

GENÈSE D’UN RÉSEAU

1858 1859 1860 1861 1862 Janvier : 16 Mai : 5, 15

Décembre : 31 (Dupanloup à Montalembert) Janvier : 15 Février : 3 (Dupanloup à Montalembert) Mars : 25 Avril : 11 Mai : 28 Novembre : 17 Janvier : 2, 15 + un billet Août : 4, 30 Janvier : 6 Mars : 20, 31 Avril : 12, 13, 29 Mai : 24, 31 Juin : 30 Août : 22 Septembre : 5, 13, 25 Novembre : 6, 14, 17, 23, Décembre : 4, 16, 23 1 3 6 5 20

1863 1864 1865 1866 1867 Janvier : 19, 30 Mars : 2, 4, 10, 12, 13 Avril : 8, 10, 29 Mai : 21, 22 Juin : 15, 27 Août : 10 Septembre : 1, 8, 17, 22, 24 Octobre : 5, 11, 19, 20 (D > M), 26 Novembre : 9, 19, 23 Décembre : 10, 19, 25 - lettre Montalembert au Cal Antonelli (publiée dans Lecanuet) Janvier : 9, 25 Mars : 4, 18, 19 Avril : 3, 8 (« Pour vous seul »), 13 Juin : 3, 24 Juillet : 12 Août : 5 - deux lettres non datées - Ce samedi - Dimanche des rameaux Janvier : 8, 31 Juillet : 26 Août : 28 Septembre : 11 Décembre : 25 Janvier : 19, 22, 29 Février : 24 Mars : 12 31 16 6 5 0 1868 1869 1870 1871 1836-1871 Janvier : 30 Mars : 5 Avril : 13 Mai : 1er, 12, 13, 14 Juin : 20, 21 Juillet : 22 Août : 11 Novembre : 21 Décembre : 14 + Mardi Saint Juillet : 14, 15, 17, 20 Octobre : 2, 11 Novembre : 17 - Fête de Ste Elisabeth - une lettre dont il manque le début et la date

Janvier : 22 Février : 9

14 9 2 0 201

Cependant un tel rapprochement ne va pas de soi. En effet, comme le remarque Lecanuet, Dupanloup « aimait beaucoup ses amis, mais il les aimait dociles ; s’il commençait par conseiller, il était rare qu’il ne finît point par dominer. Il ne domina Montalembert, mais il exerça sur lui une réelle influence, et l’abbé Dupanloup de son côté subit bientôt l’ascendant de son ami. Avant ces

luttes religieuses, ils n’avaient l’un pour l’autre aucune sympathie. [...] Peu à peu, Montalembert l’amena sur le terrain de la liberté, lui prouvant qu’il était le seul favorable à la défense de l'Église », tandis que l’abbé s’efforce quant à lui de tempérer l’impétuosité du jeune orateur261.

Le tandem Dupanloup-Montalembert

Bien que les deux hommes éprouvent parfois des difficultés à s’accommoder de leur personnalité, Dupanloup et Montalembert tentent néanmoins de joindre leurs forces et de combiner leurs propres réseaux d’amitié pour trouver une issue favorable à la lutte pour la liberté de l’enseignement secondaire. Au travers de leur correspondance, on aperçoit très clairement le désir de Dupanloup d’encourager mais aussi de contenir les excès de Montalembert et du parti catholique. Il explique à la princesse Borghèse en juin 1844 : « la situation est difficile. La lutte est nécessaire. Seulement le plan de campagne n’est pas bien fait »262. La première étape de la stratégie de Dupanloup, c’est en effet de canaliser le parti catholique, composé majoritairement de laïcs, en le plaçant sous l’autorité du clergé. Dans sa lettre à Mgr Affre, il exprime ses craintes face à la place occupée parL’Univers dans cette campagne car, semble-t-il, le journal est loin de plaire en tous lieux. Ses propos exclusifs, voire injurieux, inquiètent. Pour la suite de la campagne pour la liberté de l’enseignement secondaire, Dupanloup estime qu’il est nécessaire que la direction duparti catholique soit aux mains de l’épiscopat. Il a d’ailleurs fait part de cette opinion à Montalembert en lui écrivant une lettre dans ce sens : « Il l’aura peut-être trouvée trop forte ; mais j’ai cru devoir lui dire toute ma pensée » car pour Dupanloup « c’est tout l’avenir de l'Église dont il est question »263. Mais l’épiscopat n’est pas prêt à s’engager dans cette campagne. Dupanloup réussit néanmoins à apporter plus de modération au sein du parti catholique, du moins dans ses formes d’expressions. Montalembert prend ainsi ses distances par rapport à L’Univers.

Dupanloup encourage ainsi et encadre les prises de positions de Montalembert à la Chambre des pairs, la chambre haute du Parlement. Dans sa lettre du 14 janvier 1844, Dupanloup écrit à Montalembert avant l’une de ses prises de parole : « Mon bon et cher ami, votre discours importe au plus haut point à notre sainte cause ». Les circonstances étant plus délicates ce discours, poursuit Dupanloup, doit être « très fort, très grave, très élevé. [...]. Jamais vous n’aurez été exposé aux reproches de tous les côtés. Votre exorde est capital ; aussi je ne puis vous dire à quel point

261 Lecanuet, Montalembert, T. II, La liberté d’enseignement (1835-1850), p.308.

262 François Lagrange, Lettres choisies de Mgr Dupanloup, évêque d’Orléans, Paris, Jules Gervais, 1888, p.138. 263 Ibid., pp. 139-142. Lettre du 29 juin 1844.

j’y tiens » conclut-il264. Quelques mois plus tard, Dupanloup lui donne à nouveau des conseils par rapport à sa situation à la Chambre : « Monsieur le comte, [...] Nos adversaires s’attendent à de l’irritation et veulent en profiter : vous aurez une grande force si vous les étonnez par une gravité, une modération, des avertissements sérieux, des menaces contenues. Peu de paroles ; une protestation forte, simple, modérée ; [...] On fera aujourd’hui tout ce qu’on pourra pour vous engager plus qu’il ne le faut »265. Ce discours de Montalembert prononcé le lendemain finit par une phrase devenue célèbre : « Nous sommes les fils des croisés, et nous ne reculerons pas devant les fils de Voltaire ».

Ces lettres de Dupanloup révèlent déjà la dimension littéraire et intellectuelle de sa collaboration avec Montalembert. Chez ces deux hommes de lettres, c’est d’abord la parole écrite et déclamée qui est utilisée pour combattre. Voyant en Montalembert le Lactance du XIXe siècle, Dupanloup propose une aide rhétorique pour les écrits du jeune pair de France mais surtout il lui accorde une direction morale et spirituelle266. Les biographes Lagrange et Lecanuet insistent également sur la complémentarité de Dupanloup et de Montalembert, le premier refrénant la fougue du second. L’enjeu est important, car il s’agit de maintenir l’approbation du pape et des évêques sur le parti catholique. On se souvient que Lamennais et le même Montalembert s’étaient attirés les foudres de Rome à peine une décennie plus tôt. Dupanloup sert ainsi de garde-fou du parti catholique. Effrayé par libéralisme professé par certains écrivains catholiques, Dupanloup écrit alors : « Je viens de relire les Encycliques de 32 et 34 ; car j’ai besoin de me rattacher uniquement à la foi, à la sainte Écriture, et à la sainte Eglise. Je vous conseille d’en faire autant »267. Dupanloup, qui s’est connaître jusqu’à présent comme un prêtre mondain, modéré, légitimiste, est un gage pour les cercles ecclésiastiques, et pour le cercle romain en particulier.

L’influence de Dupanloup sur les discours prononcés par Montalembert à la Chambre des pairs n’est pas négligeable. Les deux hommes élaborent des stratégies pour tisser des liens parmi les députés. « J’ai parlé à M. Beugnot et à M. Lenormant, écrit Montalembert en mars 1847, J’ai été fort content de celui-ci, et très peu de celui-là. Je l’ai trouvé goguenard et léger. Il ne faut pas moins le soigner comme la prunelle de nos yeux »268. Le comte Auguste-Arthur de Beugnot est membre de la Chambre des pairs et membre de l’Académie des inscriptions et des belles lettres.

264 Ibid., pp. 128-129.

265 Ibid., pp. 130-131.

266 Ibid., pp. 128-129.

267 François Lagrange, Lettres choisies de Mgr Dupanloup, op. cit., p.236.

Dans son discours à la Chambre des pairs du 12 juin 1845, il vante les mérites de Dupanloup, un « ecclésiastique dont la douce piété, les rares vertus et le noble caractère font l’admiration de tous ceux qui l’approchent ». Il fait même de Dupanloup, « l’organe du clergé français »269. Rappelons que Charles Lenormant est le vice-président du comité électoral pour la défense religieuse et le directeur de 1845 à 1855 de l’organe du catholicisme libéral, Le Correspondant270. Le 27 juillet 1847, Montalembert rapporte qu’il a remporté la veille “un très grand petit succès : MM. Guizot, de Barante, etc, etc…, m’ont vivement félicité”271. Prosper de Barante fait partie du courant des doctrinaires. C’est un farouche partisan des idées libérales qu’il défend âprement à la Chambre des pairs depuis. Sous la Monarchie de Juillet, il est nommé ambassadeur de France en Russie.

En août, Montalembert est à la fois « pessimiste pour le détail et optimiste pour l’ensemble » : « Impossible de vous écrire tout ce que je sais et tout ce que je sens sur cette question

souveraine. Sachez seulement que le Nonce est très effrayé, M. Guizot très rassuré, et que M. Molé change de langage chaque fois que je lui en parle. [...] Mon oraison funèbre de la session a été accueillie par la chambre avec une faveur d’autant plus marquée qu’elle a été plus froide pour M. Guizot. Jamais je n’ai reçu tant de compliments. M. Guizot lui-même a dit à Carné que j’avais fait un discours admirable !! En revanche, M. Molé a dit à quelqu’un que ce n’était qu’un tissu d’absurdités : je le conçois, car c’est un discours qui lui rend la succession de M. Guizot un peu plus difficile qu’il ne le supposait ». Et Montalembert de conclure : « les blessures, les échecs, les avortements seront de plus en plus nombreux, mais l'Église sera plus justifiée dans le XIXe siècle qu’elle ne l’a jamais été : voilà ma conviction ». Louis Mathieu comte Molé a été président du Conseil de 1836 à 1839. Il avait pris la succession d’Adolphe Thiers avant de céder son portefeuille à François Guizot. De Barante, Molé, Guizot, Beugnot, autant de noms qui montrent que Dupanloup et Montalembert bénéficient de relations privilégiées avec les principaux acteurs du gouvernement sur lesquels ils essayent d’influer. Tout se joue en effet au niveau législatif. Dupanloup avait bien essayé de solliciter directement le roi Louis-Philippe, en envoyant une copie de sa lettre au duc de Broglie à la reine Amélie, l’incitant à la faire lire au roi et à être le garant de ses intentions auprès de ce dernier272. Son entreprise d’accéder directement au trône royal s’étant

269 François Lagrange, Lettres choisies de Mgr Dupanloup, op. cit., pp. 151-152.

270 Sylvain Milbach, “Les catholiques libéraux et la Révolution française autour de 1848”, Annales historiques de la Révolution française, n°362, 2010, pp. 55-78.

271 Archives Saint-Sulpice, Fonds Dupanloup, Lettre de Montalembert à Dupanloup, 27 juillet 1847.

soldée par un échec, Dupanloup opte alors pour un autre angle d’attaque : le Parlement, le clergé et l’opinion publique.

À l’inverse, la participation de Dupanloup au parti catholique renforce les positions du groupe auprès du clergé français et du clergé romain. Si Mgr Affre réprouve leur action publique, le parti catholique peut néanmoins compter sur les sympathies de Mgr Parisis, du cardinal de Bonald, archevêque de Lyon et de Mgr Gousset, archevêque de Reims273. Dupanloup mobilise également son propre réseau. En 1846, il se rend à Rome comme « ambassadeur de Montalembert et des catholiques » pour présenter au pape le mémoire de Montalembert sur la situation religieuse du pays274. L’influence de Dupanloup est également sollicitée dans les différents diocèses français, notamment en 1847, lorsque Salvandy, le nouveau ministre de l’Instruction publique, présente à la session de la Chambre des pairs son projet de loi sur l’enseignement primaire et celui sur la liberté de l’enseignement en matière d’instruction secondaire. Ce dernier projet est censé mettre fin à la querelle entre le clergé et l’Université, mais ses propositions déclenchent au contraire une nouvelle vague de contestation chez les catholiques. En mai 1847, Montalembert transmet à Dupanloup des lettres que ce dernier doit lui rapporter « soit demain chez M[adame] de Gontaut, soit mardi avec celle de l'évêque de Périgueux que vous avez déjà ». « Je ne sais que répondre à Mgr de Beauvais, dont la pensée se rencontre si bien avec celle de Mgr de Périgueux. Rappelez-moi donc que j’ai depuis 15 jours d’affreuses choses à vous dire contre Mgr Mathieu, votre

déplorable ami »275. Il écrit encore : « Je vous envoie les lettres de cette bonne M[adame] Swetchine : vous savez à quel point je sympathise avec elle sur vous et surtout j’aurais voulu voir les lettres des évêques : soyez sûr que leur silence est une chose fatale »276. Il est intéressant de noter que les salons de la duchesse de Gontaut, gouvernante des enfants de la maison royale sous la Restauration, et celui Madame Swetchine, catholique très active sur le plan politique, servent ici de relais d’informations pour Dupanloup et Montalembert dans les réseaux qu’ils se constituent.

En juillet 1847, Montalembert et Henry de Riancey demandent à Dupanloup de soutenir le

Comité électoral pour la défense religieuse par des lettres de recommandations. Le jeune avocat et écrivain, Henry de Riancey, également membre du comité, est envoyé en province pour faire

273 Archives Saint-Sulpice, Fonds Dupanloup, Lettre de Montalembert à Dupanloup, 27 juillet 1847.

274 Édouard Lecanuet, Montalembert, La liberté d’enseignement (1835-1850), op. cit., p.312.

275 Archives Saint-Sulpice, Fonds Dupanloup, Lettre de Montalembert à Dupanloup, Jour de Pâques 1847. Les mots en italiques sont soulignés dans la lettre manuscrite.

une tournée et chercher de nouvelles adhésions. Il doit aussi ranimer le zèle des adhérents car, explique Montalembert, le comité « ne bat que d’une aile ». À la recherche de « toutes les recommandations les plus efficaces auprès des évêques et des membres du haut clergé », Henry de Riancey se tourne vers Dupanloup car écrit-il « je n’en connais pas de plus puissante que la vôtre ». Il poursuit : « Soyez donc assez bon pour chercher dans votre souvenir les personnes ecclésiastiques et laïques pour lesquelles vous voudriez bien me donner quelques lignes d’introduction dans les différents diocèses de Tours, Poitiers, Limoges, Tulle, Agen, Rhodez, Montpellier, Nismes [sic], Toulouse, Avignon et Lyon »277.

Dupanloup passe lui-même à l’action en tant que publiciste. Il avait déjà marqué son entrée sur la scène publique par la publication de deux lettres au duc de Broglie, rapporteur à la Chambre des pairs du second projet de loi Villemain, en 1844. Mais c’est surtout son traité De la pacification religieuse publié en 1845 qui fait accéder Dupanloup à la notoriété. Dans cet ouvrage, il se fait le chantre de la paix et de la liberté civile et religieuse. Il prône un nouveau concordat entre l'Église et l'État et souhaite la réconciliation du monde moderne animé par « l’esprit de la Révolution » et de la religion catholique seule capable de réaliser, selon lui, les véritables aspirations des « libéraux purs »278. De la pacification religieuse est aussi bien un plaidoyer en faveur de la liberté de l’enseignement qu’un pamphlet contre Thiers, le rapporteur du second projet de loi Villemain devant la Chambre des députés. Le rapport de Thiers était contraire aux réclamations des catholiques et soutenait le monopole universitaire. Dupanloup entend réfuter ce rapport : « Mon attaque est complète et sur tous les points » écrivait-il alors à Montalembert279. Dans son ouvrage, Dupanloup se montre moins contestataire et plus pacifique. Il souhaite ainsi faire entendre dans le débat public la « parole d’un prêtre » qui encourage la pacification des relations entre politique et religion, entre ce qu’il appelle la « société laïque » et la « société spirituelle ». Ces deux sociétés, explique l’abbé, se partagent la terre et leur alliance est nécessaire au bon ordre des affaires humaines. Un nouveau Concordat entre l'Église et l’État doit donc être instauré. Aujourd’hui, assure Dupanloup, l’ordre politique offre suffisamment de garanties pour que l’on n’ait plus à se défier autant de la société spirituelle, qui n’a d’ailleurs nullement l’intention d’empiéter sur le domaine temporel ou de réclamer une quelconque part dans le gouvernement des peuples. Mais la

277 Archives Saint-Sulpice, Fonds Dupanloup, Lettre de Henry de Riancey à Dupanloup, 23 juillet 1847 et Lettre de Montalembert à Dupanloup, 27 juillet 1847.

278 Félix Dupanloup, De la pacification religieuse. Quelle est l’origine des questions actuelles ? Quelle en peut- être l’issue ? Paris, J. Lecoffre et Cie, 1845 (2e édition), 310 p.

société spirituelle a tout de même la responsabilité des âmes dans son but éternel, précise Dupanloup. C’est pourquoi ces deux sociétés doivent coexister et ne peuvent s’exclure mutuellement. D’où la volonté du clergé de prendre part à l’éducation de la jeunesse280. Pour Dupanloup, la liberté d’enseignement ne se résume pas à une simple question de prérogatives ou de privilèges, elle implique des principes élevés au plus haut degré : « Dieu, la famille et sa foi, l’enfant et la société, l'Église et l’État : voilà simplement ce qui est au fond de tout de débat »281. Le clergé est donc parfaitement dans son droit lorsqu’il réclame la liberté de l’enseignement. D’autant plus qu’il ne demande ni une liberté illimitée, ni un monopole. Il n’exclut pas non plus la tutelle de l’État sur les établissements dirigés par les religieux.

Pour finir sa démonstration, l’abbé utilise les arguments des anticléricaux contre eux-mêmes. Dans le chapitre intitulé « De l’Esprit national : du véritable esprit de la révolution française », Dupanloup explique que le nœud du problème entre Église et État en 1845 réside dans la crainte que les libertés religieuses déjà promises par la Charte deviennent des « armes redoutables » entre les mains de l'Église si celles-ci leur étaient accordées. Du point de vue des libéraux, l'Église cherche à faire régresser la société. Dupanloup tente de contredire ce point de vue en admettant que les ecclésiastiques de la première Révolution s’étaient grandement méfiés des institutions modernes. Mais il rétorque que cette suspicion était due à la violence des moyens utilisés pour établir ces institutions. Cependant, affirme Dupanloup, la paix peut aujourd’hui se faire, les clercs ont réfléchi depuis et maintenant « ces libertés si chères à ceux qui nous accusent de ne pas les aimer, nous les proclamons, nous les invoquons pour nous comme pour les autres ! […] en déplorant, avec M. Thiers, ses excès et ses erreurs »282. On ne peut donc taxer le clergé de France d’être contre-révolutionnaire, conclut Dupanloup qui va même jusqu’à affirmer que le « véritable esprit de la révolution française » se trouve en fait dans l'Église catholique et non pas dans les partis prétendument « libéraux » mais qui exaltent paradoxalement la Convention et le despotisme de l’Empire ; Thiers le premier, lui qui loue l’habileté de Napoléon avec la création en 1806 de l’Université, cette institution qui a absorbé tous les établissements particuliers d’éducation et fondu toute la jeunesse dans un même moule. Dupanloup finit en faisant remarquer que la doctrine défendue par Thiers n’est faite que d’arbitraire et d’idolâtrie de l'État. Une doctrine tendant à tout engloutir : « l’enfant, la famille, l’individu, la conscience, l'Église, les âmes ». En

280 Félix Dupanloup, De la pacification religieuse, op. cit., pp. 5-18.

281 Ibid., p.78.

résumé, « la révolution n’est […] pas pour eux la liberté »283. Or que fait l'Église en exigeant les libertés religieuses, s’exclame Dupanloup, si ce n’est de s’approprier les bienfaits de la Révolution française. L’auteur ajoute qu’en travaillant à l’éducation de la Nation, l'Église se montre patriotique. Dupanloup se veut ainsi rassurant en affirmant que ce sont les catholiques qui ont élevé le siècle de Louis XIV, la France n’a donc pas à avoir peur de confier sa jeunesse au clergé.

De la Pacification religieuse est une brochure importante pour notre étude, car Dupanloup a laissé peu d’écrits théoriques sur le thème spécifique de la Révolution. Or cet écrit intervient trois ans à peine avant la Révolution de 1848, alors que personne ne semble s’y attendre. Il est donc intéressant de considérer quelle est alors sa position sur le sujet. D’autant plus que Dupanloup semble ici complètement épouser la cause libérale, se faisant même plus libéral que les libéraux, même s’il condamne la forme violente empruntée par la plupart des révolutions et le renversement social qui en découle. Dupanloup se montre néanmoins très prudent par rapport au concept de révolution, il en accepte « l’esprit », mais pas les manifestations réelles. Ce texte marque tout de même un réel changement dans le discours de Dupanloup. Dix ans plus tôt, il tournait en ridicule