• Aucun résultat trouvé

Résultats relatifs à la gouvernance et au management

Dans le document Scop & Scic : les sens de la coopération (Page 163-165)

Scop-laine : lorsque le projet démocratique est soutenu par une ambition territoriale

3. Résultats relatifs à la gouvernance et au management

Nous présentons ici les modalités de gouvernance et les pratiques de management qui doivent permettre d’assurer le développement de l’entreprise tout en préservant les idéaux démocratiques de l’origine. Le développement est resté maîtrisé tout en étant soutenu. Nous verrons que l’éclatement géographique des activités sur trois sites a un effet sur le fonctionnement démocratique recherché au sein de l’entreprise.

La gouvernance de Scop-laine est organisée conformément aux règles applicables aux Scop. Il y a toutefois une spécificité, qui est l’obligation imposée aux salariés de devenir sociétaires au plus tard deux ans après leur recrutement. Cette décision a été prise quelques mois avant notre enquête, suscitant des débats vifs en Assemblée Générale puis une adhésion qui semble aujourd’hui solide.

Nous avons recueilli de nombreux verbatim au sujet de la gouvernance, sans forcément avoir employé le terme lors des entretiens. Les propos retenus ont été choisis parce qu’ils permettent d’apprécier des nuances dans les points de vue. A la lecture des retranscriptions, on constate que la culture du dialogue qui a prévalu lors de la fondation de la Scop reste vivace :

« Ce qui me semble bien, c’est qu’il y a quand même pas mal de niveaux où on peut s’impliquer, même si on n’est pas administrateur. C’est-à-dire, on peut poser des questions, on peut… lancer une réflexion, que ce soit d’ordre opérationnel ou stratégique en fait » (responsable accueil). Cependant,

cette pratique du dialogue devient complexe à faire vivre en raison de l’accroissement du nombre de salariés et de l’éloignement géographique de certains. Le poids des fondateurs semble encore très prégnant au moment des entretiens, le dialogue existe mais aussi le sentiment que les décisions sont parfois tellement préparées que l’échange ne peut pas les modifier de manière substantielle.

Les pratiques de management faisaient l’objet d’une partie de notre guide d’entretien, nous avons donc recueilli de nombreuses citations sur ce sujet, avec les nuances déjà observées sur d’autres sujets traités ci-dessus. L’exercice du management d’équipe n’est pas évident au sein de Scop-laine car on ressent une tension entre la nécessité d’avoir des personnes investies de certaines responsabilités et la culture autogestionnaire de certains : « C’est assez organique quand même…ceux qui sont en

responsabilité sont auto-responsabilisés, et on n’embauche pas quelqu’un chef d’atelier… la personne devient… comment dire… responsable d’un atelier parce que lui-même s’y intéresse » (directrice). Il

s’agit d’inventer en permanence un fonctionnement permettant l’équilibre entre l’exercice et le partage des responsabilités : « Nous, au sein de l’atelier, on est cinq et personne n’est chef plus que l’autre et

quand on n’est pas d’accord sur quelque chose, du coup, ça part vite en engueulade générale » (couturière 1).

163

Les pratiques de GRH sont originales sur deux points essentiels : la recherche de polyvalence et la politique de rémunération quasiment égalitaire. La polyvalence est demandée et entretenue pour pouvoir faire face à des situations imprévues, comme par exemple la prise en charge d’un groupe de touristes non programmé pour la visite du musée de la laine, mais aussi pour permettre que les ajustements réguliers puissent se faire de manière fluide et en préservant la liberté des salariés de s’auto- organiser : « Ça évite d’être renfermé sur son poste et d’pas comprendre c’que fait l’autre… c’est une

manière d’aborder p’t’être plus… la globalité, la complexité » (présidente). La politique de

rémunération est très marquée par les idées d’égalité portées par les fondateurs et certains salariés arrivés plus tard et qui sont devenus sociétaires. L’écart de salaire très réduit constitue un motif potentiel de départ pour certains salariés : « Je commence à voir la mesure de qu’est-ce qu’on demande comme

investissement, ici, dans cette entreprise, ça commence à me poser de plus en plus de questions » (responsable accueil). D’autres aspects de la GRH sont retenus ici pour illustrer notre propos sur la

démocratie dans l’entreprise. La politique de formation est importante pour entretenir la connaissance et l’adhésion au projet socio-politique mais aussi pour permettre la polyvalence et la mobilité fonctionnelle. En termes de recrutement, la question traditionnelle dans les organisations hybrides consiste à chercher un équilibre entre l’adhésion aux valeurs et la recherche de compétences techniques. Cette question se retrouve chez Scop-laine avec le souhait de recruter des collaborateurs susceptibles d’adhérer rapidement et étroitement aux valeurs d’origine de la Scop : « Je crois qu’en fait, la motivation

coopérative est plus importante que d’habiter sur le territoire en fait » (DGD administration et gestion).

La question de la reconnaissance, puisque le salaire ne permet pas de la régler, se pose d’une manière assez originale dans l’entreprise : « La reconnaissance, c’est sur les responsabilités qu’on nous donne ou

qu’on souhaite prendre et qu’on nous laisse prendre ou pas » (responsable VPC). On perçoit cependant

un point faible sur ce sujet pour certains et en particulier ceux pour qui le projet ne suffit pas pour qu’ils adhèrent durablement aux valeurs portées par Scop-laine : « Les personnes les plus anciennes de l’atelier

ont leurs clés de droit, et voilà… et nous en étant les petites jeunettes arrivées… c’est pas bien normal qu’on ait pas le droit d’avoir une clé quoi » (couturière 1). Certains ressentent une forme d’injustice, là

où la justice sociale constitue une valeur fondatrice de l’entreprise. A cela s’ajoute une distanciation que nous avons perçue plus nettement dans l’atelier de couture que sur le site principal : les salariés qui travaillent en Ardèche ont souvent choisi un mode de vie et s’impliquent dans le projet, certaines couturières de l’atelier situé dans la Drôme sont salariées de Scop-laine parce qu’il leur faut un emploi.

Scop-laine tend vers un management participatif et responsabilisant, mais reste sujette aux tensions souvent repérées au sein des coopératives : le rôle des managers doit être redéfini régulièrement pour éviter que le contrôle inhibe l’initiative. Cependant, les managers sont peu contestés parce qu’ils partagent plus le pouvoir qu’ils ne l’exercent. Diverses modalités de GRH observées au sein de Scop-laine contribuent à la conciliation du projet socio-politique avec la poursuite d’objectifs économiques. C’est le cas lorsque la polyvalence est mise au service de l’auto-organisation, ce qui limite le risque de tension entre les managers et les exécutants. L’égalité salariale est un aspect original de notre cas et elle constitue un sujet de friction possible à moyen terme si l’avis critique de certains salariés sur le sujet venait à se répandre. La vivacité d’un contre-pouvoir pourrait alors être mesurée à cette occasion. Le recrutement et la formation font l’objet de beaucoup d’attentions pour que les salariés adhèrent à la culture de l’entreprise. La reconnaissance de l’engagement ne peut pas passer par la politique salariale, ce qui oblige Scop-laine à être inventive en la matière : la possibilité de prendre des responsabilités et la conviction de participer à un projet de territoire ambitieux constituent les ressorts principaux de la reconnaissance, mais ceux-ci sont complexes à utiliser pour les managers, surtout sur le site Drômois. On constate en effet une différence entre les propos recueillis en Ardèche et dans la Drôme. Dans l’Ardèche les salariés ont fait un choix de vie et le management ne pose pas de problèmes particuliers : débat entretenu, hiérarchie très peu marquée, partage des informations, auto-organisation. En revanche, dans la Drôme Scop-laine est implantée dans une zone urbaine défavorisée et les salariées acceptent d’y travailler faute d’autres possibilités. Cela entraine des propos critiques de la part de certaines d’entre elles, propos qui restent minoritaires et ne constituent pas les fondements d’une expression pouvant s’apparenter à un contre-pouvoir.

Le pouvoir exécutif peut prendre l’avantage dans la gouvernance des sociétés coopératives, celles- ci pouvant se « managérialiser » parfois jusqu’à l’oligarchie. Pour éviter cette tendance, le cas Scop- laine montre que des pratiques managériales et de GRH originales, innovantes et évolutives sont utiles. Le partage du pouvoir managérial et l’ouverture aux fonctions de managers constituent les caractéristiques dominantes du management chez Scop-laine.

Dans le document Scop & Scic : les sens de la coopération (Page 163-165)

Outline

Documents relatifs