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Mais comment faire pour articuler dans la durée projet politique et projet économique ?

Dans le document Scop & Scic : les sens de la coopération (Page 189-191)

Deuxièmement, les spécificités dans les pratiques de gouvernance et de management.

1. Articulation entre projet économique et projet politique

Une coopérative, comme toute entreprise, poursuit un projet économique. Elle doit avoir une activité qui permet sa pérennisation. Mais les coopératives, comme certaines autres entreprises, poursuivent également un projet politique qui les distingue de l’entreprise « classique ». Ces projets politiques peuvent être au service de l’emploi, au service de certains publics fragilisés, viser la vitalité d’un territoire donné, chercher à préserver l’environnement dans un certain espace géographique, etc. Ainsi, au cœur de la constitution d’une coopérative.

On peut distinguer deux types de gouvernance (Gomez, 2014) :

• Gouvernance par l’incitation : fédérer, par incitation, le travail au sein de l’entreprise autour d’un objectif de rentabilité (cf. théorie de l’agence)

• Gouvernance par la coopération : le projet prédomine sur le profit, qui devient un moyen au service d’un projet et non plus l’objectif « final ».

Au sein des coopératives, on observe a priori une gouvernance par la coopération. Le projet politique prime donc au sein de cette forme organisationnelle. Mais ces projets peuvent être soit orientés vers l’interne, soit vers l’externe. Pour les projets internes, on peut citer comme exemple :

• Mettre en place une propriété collective du capital et/ou une accentuer la démocratie au sein de l’entreprise (c’est le cas de Scop-lib ou Scop-laine)

• Mobiliser plusieurs parties prenantes (Scic-culture, Scic-cirque) • Consolider l’emploi en interne (Scop-paysans, Scop-laine)

Et pour les projets externes, ce sont des transformations plus larges qui impliquent davantage des acteurs externes qui sont poursuivies :

• Développement du territoire (Scop-laine)

• Développement et valorisation de l’agriculture biologique, locale et durable (Scic- ALIMENTAIRE)

• Développement de la filière biologique du pain et l’insertion professionnelle de cette filière (Scic-pain)

L’orientation vers l’interne ou vers l’externe varie selon l’histoire de la coopérative, les étapes de développement du projet politique, l’environnement dans lequel elle évolue, etc. En outre, la séparation entre interne et externe n’est pas toujours évidente. Par exemple, consolider l’emploi au sein de l’entreprise est un projet très proche de celui de développement de l’insertion professionnelle dans la filière. Il y a donc un continuum de ces deux approches du projet politique plus qu’une dichotomie.

Mais comment faire pour articuler dans la durée projet politique et projet

économique ?

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Ou pour le redire de façon plus rigoureuse : comment éviter la dégénérescence coopérative (Webb & Webb 1897) ? Cette notion désigne l’alignement des pratiques de coopérative sur les pratiques marchandes en lien avec la pression des contraintes économiques. La coopérative devient alors une entreprise comme une autre, le projet perd sa substance.

Des modalités de gouvernance et de management spécifiques peuvent éviter cela, mais avec toujours un équilibre fragile entre maintien du projet politique et éloignement sous l’effet du poids des contraintes et opportunités qui peuvent se matérialiser par :

• Des questions de croissance et de développement de l’activité : des opportunités de croissance qui s’offrent à la coopérative peuvent être écartées car contraires au projet politique ou en inadéquation avec l’espace sur lequel elle se projette

• Des contraintes de l’environnement : s’adapter à l’environnement, par exemple aux capacités de production des partenaires localisés sur le territoire.

• Des nouveaux recrutements : difficulté de compatibilité entre les valeurs de la coopérative et des nouveaux recrutés, certaines coopératives préférant discriminer à l’embauche selon les valeurs, d’autres préférant l’acculturation a posteriori.

• Le retrait des fondateurs de la coopérative : moment charnière qui peut être synonyme d’une remise en question du projet d’origine, ou d’une mutation de ce projet.

Mais dans tous les cas, on observe une véritable volonté d’arriver à concilier projet politique et économique dans la durée, grâce à des modalités de gouvernance et de management spécifiques à cette forme organisationnelle.

2. Gouvernance et management

De fait, les cas étudiés avaient tous des formes de gouvernance spécifiques ce qui a nécessité une étude approfondie du fonctionnement interne des coopératives et du lien avec le management. Très clairement, le statut, les règles statutaires servent de garde-fous et de boussole pour l’équilibre entre projet économique et projet politique. Mais ces règles sont complétées par des dispositifs de gouvernance non statutaires qui varient selon la coopérative, sont décidés collectivement pour répondre à un besoin, sont évolutifs au fil des besoins qui se font ressentir, et enfin sont contextualisés. Cette souplesse dans la gouvernance au-delà du statut permet de répondre aux problématiques rencontrées assez rapidement, la rigidité du statut étant un facteur de ralentissement de l’action des coopératives. Ainsi, la gouvernance se fabrique au quotidien, selon les besoins, notamment via :

• Réunions régulières de l’assemblée des collaborateurs, élection d’un conseil d’administration, création d’un comité de pilotage (Scop-lib)

• Assemblée générale des personnels (Scop-laine)

• Séminaires annuels et charte des coopérateurs (Scic-alimentaire)

• Réunions par collège(s) pour préparer le conseil d’administration (Scic-culture)

D’autres pratiques se mettent en place afin d’élargir les partenaires du projet, c’est notamment le cas de Scic-pain qui a sollicité l’aide de chercheurs sur certains projets. En outre, ce qui ressort de cette étude est le besoin pour les coopératives de créer des espaces de discussion, de délibération, de concertation etc., au-delà des instances statutaires, pour faire vivre le multisociétariat dans une Scic ou la participation de tous au sein d’une Scop. Dire que la gouvernance se fabrique au quotidien

signifie également qu’elle se construit par tâtonnements, par ajustements, par expérimentations, ce qui crée une certaine dynamique dans la gouvernance.

Dans le cas des Scic, la forme multisociétaire, la gouvernance s’avère très complexe. La loi permet à chaque Scic d’avoir différents collèges et différentes pondérations, ce qui mécaniquement ouvre la voie à une importante diversité de modes de gouvernance.

On doit également nuancer la distinction entre gouvernance et management au sein d’une coopérative, déjà car il existe une grande diversité de structure et dans la plupart de cas, le management n’est pas subordonné à la gouvernance, notamment car dans les Scop et les Scic, il y a des salariés qui sont à la fois des acteurs de la gouvernance et du management, étant donc déterminés collectivement. La gouvernance est donc là pour contrôler, mais pas dans une vision disciplinaire et hiérarchique. Le rôle de la gouvernance est donc bien plus complexe à appréhender, elle dépasse clairement ses instances statutaires (conseil d’administration et assemblée générale) et se trouve être à la fois :

• La garante du projet coopératif et de la dimension stratégique • Le « contrôleur » et partenaire du management

• Le porteur de la dynamique démocratique et de la recherche d’expertise et de compétences collectives

Se pose donc la question de la pertinence de la distinction entre gouvernance et management, sur laquelle les entretiens étaient pourtant basés. Cette distinction est certes pratique, mais pas entièrement adaptée. Il est à noter que parfois le management est subordonné à la gouvernance mais il y a également des cas où c’est le management qui prend le pas sur la gouvernance, notamment en période de tensions. Des risques de dégénérescence coopérative interviennent et l’enjeu est alors de parvenir à réarticuler gouvernance et management ainsi que de retravailler le projet politique. En outre, lorsque le projet politique est ancré au territoire, les liens au territoire sont également touchés dans ces moments de tensions.

Finalement, il n’y a pas de trajectoire linéaire des organisations coopératives, comme des organisations en général, elle peut subir des accidents ou des transformations parfois internes, parfois externes.

Dans le document Scop & Scic : les sens de la coopération (Page 189-191)

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