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Que devient le projet culturel et artistique ?

Dans le document Scop & Scic : les sens de la coopération (Page 105-110)

La Scic-Culture : de la gestion d’un lieu culturel à un projet de territoire

5. Que devient le projet culturel et artistique ?

Notre analyse met tout d’abord en exergue que le processus de gouvernance est encore en construction mais que la plupart des personnes interrogées considère que, malgré toutes les difficultés, la Scic a le mérite d’exister. Comme souligné par Soc2, « on se rend compte que

c’est quand même une énorme machine. C’est 45 000 m², soixante-dix résidents qui ont tous les problèmes qu’on peut imaginer, à la fois de producteurs ou d’artistes puisqu’il y a ceux qui produisent, arts plastiques, théâtre, machin, y’a les artistes, y’a des gens qui ont des situations qui ne sont pas faciles et faire que, malgré tout, ce lieu existe, il a fallu… j’allais dire faire des concessions, oui sans doute ». Pour Op1, ce système est « 1 : reconnu, 2 : il garantit pour

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l’instant la destination de ce site car qui voudrait l’attaquer ou le démonter aurait profondément des difficultés à le faire…. sauf du fait du prince et encore avec un bail de 45 ans, je ne sais pas qui pourrait s’amuser à le démonter. »

La Scic semble donc avoir assumé un rôle important de consolidation et de pérennisation du projet en termes de gestion du lieu et d’exploitation du site (par exemple à travers l’adoption d’un schéma directeur, d’une programmation). Cette priorité ne s’est pas faite sans tensions. Plusieurs personnes soulignent en effet les tensions qui émergent aujourd’hui, d’une part, en ce qui concerne l’évolution du projet artistique et culturel et, d’autre part, sur le manque de vision de ce que sera le projet de la Scic-culture à l’avenir. Concernant le projet, plusieurs tensions émergent notamment entre des anciens résidents, dont certains étaient fondateurs de du projet, et les nouveaux : « du coup, ça a été facile de faire l’opposition entre ces gens qui étaient des

anti-progrès et les autres qui avaient une vision plus moderne des choses. » (Op2). « Et j’pense que, au niveau culture, les résidents d’ici, qu’ils soient théâtre, danse, les beaux-arts, enfin, les arts plastiques, j’pense que y’en a qui s’y retrouvent pas quoi. Ils y sont depuis longtemps, ils y sont forcément… bonne maison, c’est pas cher, il fait beau, c’est chauffé, mais j’pense qu’ils s’y retrouvent pas réellement. » (Op2)

Les tensions portent aussi sur les différentes fonctionnalités de la Scic-culture, entre lieu de fabrique et lieu de démonstration : « aujourd’hui, si vous regardez le site de la Scic-culture,

on parle uniquement des expositions, des temps de diffusion en fait… mais l’activité de fabrique est totalement invisible, donc là il y a quand même une tension, une discussion mais ça…. de toute façon, la direction…. enfin me concernant j’ai toujours été très claire, c’est pas une dispute mais en tout cas nous on crée la tension pour garder cet équilibre entre notre lieu de jour et le lieu de démonstration. » (Soc4)

Les propos de Op2 complètent ce sentiment : « Oui, pour moi, ça valait le coup (de rester

à la Scic-culture), y’avait un sens. Maintenant, si c’est pour avoir des beaux lieux, mais… faire un espèce de sous parc d’exposition… même si faut faire rentrer des ronds pour faire vivre le truc… on s’y retrouve plus vraiment quoi. »

D’après nos interlocuteurs, la Scic-culture est aujourd’hui à une période charnière, qui pourrait être l’occasion de remobiliser les collectifs, de mettre en commun ses idées et de renforcer la dynamique coopérative de la Scic. Comme l’explique Soc3, « il y a une grande

question qui se pose aujourd’hui pour la coopérative qui est la question de construire le projet de demain…parce que la Scic-culture a subi de profondes transformations là depuis 6-7 ans, à travers notamment les financements publics obtenus en 2013, ça, ça a été clairement un moment fort pour la Scic. Mais là, on faisait un constat partagé, y’a pas que moi, y compris par le

président d’ailleurs et le directeur, on arrive au bout d’un cycle de transformation notamment physique, mais pas que, bien sûr de transformation aussi de l’activité et tout ça. (…) Ce qu’on s’est dit c’est qu’on voulait vraiment mener cette réflexion collectivement et que là peut être à l’endroit de la coopérative, elle allait redevenir forte parce que…de l’aveu du président lui- même, ils n’allaient pas, président et directeur, ouvrir cette page et l’écrire seuls, il fallait….ils n’étaient pas sûrs d’avoir la réponse absolue à cette question, ils avaient le sentiment que là justement il fallait….y aurait moins une espèce de moteur d’ensemble un peu comme ça systématique, que c’était plus sans doute quelque chose d’un peu partagé entre tout le monde sur le sens donné pour la suite. Donc en fait, je crois qu’il y a plein de pistes possibles…. mais en fait aujourd’hui aucun d’entre nous seul ne saurait l’écrire, ça ne s’écrira que ensemble. »

Conclusion : La Scic-culture, un espace public de proximité en construction

Le cas de la Scic-culture est assez emblématique de l’adoption d’un statut de Scic pour un ensemble de raisons assez diversifiées. Le statut de Scic semble être le meilleur compromis possible pour intégrer à la fois différents projets et de multiples parties prenantes aux intérêts hétérogènes. D’une part, ce statut « rassure » les acteurs institutionnels étant donné la taille du projet et les subventions qui sont en jeu tout en constituant une alternative à d’autres formes de gestion d’établissements culturels octroyant plus d’autonomie aux porteurs du projet. D’autre part, ce statut permet d’intégrer plusieurs parties prenantes autour d’un projet, parmi lesquels les acteurs institutionnels, les salariés, les acteurs du territoire (dont les habitants du quartier) et les acteurs artistiques ou culturels (les résidents). Ce multi-sociétariat est néanmoins un défi quotidien car l’animation d’une vie coopérative entre acteurs aux intérêts si différents suppose la mise en place d’une série de dispositifs de participation et de débat.

Cette étude de cas révèle la difficulté de poursuivre plusieurs projets de front : un projet artistique et culturel présent dès le départ, certes en lien avec un territoire, un projet de territoire, à construire avec la participation d’une diversité d’acteurs et en particulier celle des habitants qui n’était pas automatique, et un projet économique, comportant des enjeux économiques, techniques et financiers liés à l’exploitation d’un site de taille importante. L’analyse met en avant l’importance de la dynamique temporelle, où des projets se construisent parfois en parallèle, parfois conjointement, parfois l’un au détriment de l’autre. L’équilibre est donc instable, sans cesse à reconstruire, en fonction des parties prenantes et des contraintes de l’environnement. Au moment de notre enquête, la Scic-culture semble avoir consolidé son projet économique, renforcé son ancrage au sein du quartier et la participation des habitants et mis en place différents dispositifs afin d’encourager l’investissement des résidents dans le

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projet. Des ouvertures ont été faites vis-à-vis des salariés mais des tensions restent présentes entre l’équipe de direction et l’équipe opérationnelle du point de vue de leur participation à la vie coopérative.

La relation au(x) territoire(s) est complexe. La Scic-culture est un projet inscrit sur un territoire particulier, c’est en ce sens par sa taille et sa dynamique un projet de territoire, une friche industrielle, dans un quartier en difficultés sociales et économiques. En même temps elle a dû construire progressivement son lien au territoire car le projet artistique et culturel de départ n’était pas forcément accessible à la population du quartier. La Scic-culture constitue un territoire de projet : elle émerge d’abord comme outil de gestion d’un espace, puis se développe autour d’un projet de territoire en créant des dynamiques d’acteurs impliqués aux différentes échelles. La Scic-culture est typiquement un territoire de projet multi-scalaire, du quartier à l’international, devant à chaque échelle qualifier son projet de manière spécifique. Plus que des échelles, le(s) territoire(s) peuvent être analysés comme des cercles concentriques, conduisant aussi à relativiser la distinction entre dimension interne et dimension externe. En ce sens, le statut de Scic contribue à relativiser cette distinction ou plutôt à embarquer ces dimensions et les acteurs qui y sont associés au sein d’un projet global multi-scalaire.

Pour conclure, La Scic-culture est à un moment charnière de son histoire, un moment où le projet de la Scic-culture est à réécrire collectivement. Les entretiens concordent sur le fait que la Scic-culture a une volonté d’ouverture et de participation élargie en créant des espaces de débat et de discussion. Ce faisant, la Scic devient un espace public de proximité, associant l’artistique et le culturel, l’économique et le politique (Dacheux et Laville, 2003).

Bibliographie

Dacheux E., Laville J.-L. (ss. La coord.) (2003), Economie solidaire et démocratie, Paris, CNRS éditions, Hermès n° 36, 2ème trimestre 2003.

Cornforth C. (1995), « Patterns of Cooperative Management: Beyond the Degeneration Thesis », Economic and Industrial Democracy, vol. 16, p. 487-523.

Philippe H. (2010), « Quel devenir pour les friches culturelles en France ? », Vol. 1, rapport de

synthèse, recherche réalisée dans le cadre du projet CPER 2008-2009 Haute-Normandie, « La

friche, cadre d’une aventure culturelle et espace urbain polyvalent et durable. »

Lextrait F. (2001), Friches, laboratoires, fabriques, squats... et autres projets

pluridisciplinaires. Une nouvelle époque de l'action culturelle, Paris, La Documentation

française.

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