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Le projet socio-politique de Scop-laine

Dans le document Scop & Scic : les sens de la coopération (Page 161-163)

Scop-laine : lorsque le projet démocratique est soutenu par une ambition territoriale

2. Le projet socio-politique de Scop-laine

Le projet qui était à l’origine de la Scop (1982) avait eu le temps de mûrir pendant une dizaine d’années avant la création de l’entreprise, le fait qu’il soit lié à la récupération de la laine alors abandonnée par les éleveurs de brebis était moins important que l’idée de redynamiser un territoire rural très affaibli dans son économie et sa démographie : « Il faut quand même dire que dès le début

c’était aussi un projet de développement rural, que l’on avait compris que ces régions étaient désertifiées » (fondateur 2). Les valeurs personnelles des fondateurs ont été très importantes au moment

de la constitution de la Scop et elles convergeaient globalement autour d’une aspiration à la justice sociale, idée forte du projet initial : « Je suis arrivé dans le monde des Scop plutôt par conviction

personnelle. Parce qu’on avait déjà une idée de… avec ma femme, de ce qu’on voulait faire. Et donc moi, j’ai été à la CFDT, j’étais au PSU aussi, quand il existait encore. Donc, une certaine vision » (responsable maintenance). Ces valeurs se retrouvent au fil du temps : « Pour moi la Scop, c’est une entreprise où il n’y a pas de patron » (couturière 2). Cette conception supporte aujourd’hui des

nuances : « Je ne suis pas venue travailler à Scop-laine parce que c’était une Scop, c’est parce que je

cherchais du boulot dans ma branche » (couturière 1).

Le projet initial, hybride au sens où il est socio-politique et économique, a évolué et après environ dix ans d’existence les coopérateurs de Scop-laine se sont trouvés face à un choix entre croissance des activités à l’export ou recentrage sur le territoire et limitation des ventes à la France. C’est cette seconde solution qui a été retenue et l’enjeu, tel qu’il est décrit aujourd’hui, était alors de préserver le projet de développement du territoire tout en préservant l’équilibre personnel des salariés :

« On a voulu se recentrer sur le site, et donc, on a développé le site…on va pas passer notre vie sur les routes, non plus » (directrice).

Les valeurs de solidarité et de justice prévalent dans le projet de Scop-laine, on observe qu’elles perdurent mais sont appréciées de manière variable selon les salariés interrogés. Le projet territorial est régulièrement réaffirmé. Le choix des activités industrielles et commerciales n’a jamais été guidé par la volonté d’accroître la rentabilité de l’affaire, aujourd’hui encore Scop-laine est en équilibre précaire du point de vue financier : « Le chiffre d’affaires, effectivement, il est… c’est les deux derniers

mois, enfin disons oui les… comment on peut dire… plus de la moitié du chiffre d’affaires est fait dans les quatre derniers mois…enfin on sait que notre point mort… le seuil de rentabilité, il est au 15 décembre. Il est très tard, on a appris à déstresser » (fondateur 1).

La coopération est donc au cœur du projet. Les réponses recueillies à notre question sur le sens que nos interlocuteurs donnent à ce mot font émerger des termes divers. L’occurrence de l’adverbe « ensemble » est notable, les mots « projet » et « vision » sont cités, ce qui montre un attachement à la raison d’être de l’entreprise, la démocratie est omniprésente dans certains verbatim autour des

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notions de décision, d’expression, de partage, d’ouverture et de solidarité. Les valeurs de justice sociale et de démocratie sont non seulement fondatrices pour Scop- laine mais elles constituent un cadre structurant lorsqu’il faut prendre des décisions stratégiques. En effet, c’est parce que la culture du dialogue était forte lorsqu’il a fallu arbitrer entre le développement international et le recentrage sur le territoire que cet autre aspect du projet initial a prévalu. Les fondateurs, encore tous présents à ce moment-là, ont réfléchi collectivement au sens de leur travail et ont renoncé aux appels de l’étranger pour leurs produits. Le projet politique et les valeurs fondatrices de Scop-laine ont été soumis à des tensions lorsqu’il a fallu faire des choix stratégiques concernant le développement et l’internationalisation des activités de l’entreprise. On observe, dès le début, la coexistence d’un projet territorial avec des aspirations démocratiques fondées sur les préoccupations de justice sociale des fondateurs. Les choix qui ont été faits, allant dans le sens d’une certaine retenue dans le développement de l’entreprise, ont été justifiés par le projet au service du territoire mais il apparait qu’ils ont aussi contribué à entretenir le projet démocratique. Nous présentons donc un cas d’équilibre entre les valeurs de la coopération, les décisions stratégiques prises collectivement et la cohésion du personnel. Dans le cas de Scop-laine, nous observons que les tensions entre les aspirations à une gouvernance démocratique et les contraintes liées au contexte économique et concurrentiel peuvent être en partie dénouées lorsque la stratégie se construit en référence régulière au projet socio-politique d’origine. C’est le cas pour les tensions entre les projets économique et social, ainsi qu’entre la quête d’efficacité et le souci de rendre des comptes : il est possible d’expliquer que la poursuite du profit est limitée par le respect des aspirations sociales lorsque la stratégie se réfère à celles-ci. La gouvernance démocratique est entretenue grâce à une attention soutenue concernant les modalités de prise de décision. Les salariés sont tous incités à participer à l’élaboration des projets en vue des décisions stratégiques. Il en découle un sentiment d’appartenance pour beaucoup d’entre eux ; mais celui- ci n’est pas unanimement partagé, ce qui présente, potentiellement, un risque de concentration des pouvoirs.

Dans le document Scop & Scic : les sens de la coopération (Page 161-163)

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