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Résultats de l’implantation tardive dans la surdité pré-linguale

2. Aspects méthodologiques de l’implantation cochléaire

3.4. Résultats de l’implantation tardive dans la surdité pré-linguale

3.4.1. Le collectif de patients et les types d’implants

De 1994 à fin 2008, 22 patients souffrant de surdité congénitale et âgés de 7 à 22 ans (moyenne 14 ans) ont été implantés dans notre centre. Au moment de cette étude, seulement 13 (9 hommes et 4 femmes) avaient un dossier à jour et ont pu être retenus. Parmi les 9 autres, 4 avaient déménagé et 5 avaient abandonné leur implant. Ces 13 patients ont été implantés unilatéralement sur la moins bonne oreille, par le même chirurgien et avec la même technique chirurgicale. Leur temps d’utilisation de l’implant allait de 3 à 8 ans (moyenne 4.5 ans). Un implant Med-El a été utilisé dans 8 cas et un implant Clarion dans 5 cas.

3.4.2. Mode de communication avant et après l’implantation

Avant l’implantation, aucun des ces patients n’utilisait la langue orale. Six patients utilisaient le langage parlé complété (LPC) [Cornett, 1988] et avaient suivi une éducation dans des écoles normales. Sept patients utilisaient la langue de signes française (LS) et avaient suivi une éducation spécialisée dans une école pour enfants sourds avec la LS prédominante et support accessoire en langue orale avec LPC. Après l’implantation, 4 des 6 utilisateurs du LPC se sont convertis totalement à la langue orale tandis qu’un seul utilisateur de la LS a adopté couramment la langue orale.

Nous distinguerons dans ce texte les groupes d’utilisateurs de LS et de LPC car il est instructif de mettre en évidence les différences de performance induites par le mode de communication préférentiel avant l’implantation.

3.4.3. Seuils auditifs à l’audiogramme tonal avant et après l’implantation Avant l’implantation, tous les patients utilisaient des appareils acoustiques conventionnels et avaient avec leur appareil des seuils auditifs allant de 80 à 110 dble, dans les fréquences supérieures à 250 Hz. Après l’implantation, tous ont bénéficié d’un gain très net avec des seuils auditifs de 40 dB HL, ou meilleurs, dans toutes les fréquences (à l’exception d’un seul

Il n’y a pas de différence observable entre les gains auditifs apportés par l’implant aux utilisateurs du LPC et de la LS.

Figure 3.7 : Seuils auditifs à l’audiogramme tonal pour les 13 patients de cette étude, avant et après l’implantation. Lignes bleues : utilisateurs du LPC. Lignes rouges : utilisateurs de la LS 3.4.4. Evaluation de la communication orale avant et après

l’implantation

Avant l’implantation, la performance moyenne de l’ensemble de ces patients au test

chance à 35% de réponses correctes. L’évaluation de leur capacité de performance auditive sur l’échelle CAP s’étendait du niveau 2 au niveau 4, avec 1 patient au niveau 2, 10 au niveau 3, et 2 au niveau 4. L’évaluation de l’intelligibilité de leur parole sur l’échelle SIR s’étendait du niveau 1 au niveau 3, avec 5 patients au niveau 1, 4 au niveau 2, et 4 au niveau 3. Tous ces résultats sont présentés dans la Figure 3.8.

Après l’implantation, la performance moyenne de ces patients au test d’identification des voyelles et des consonnes est passée de 21% à 47 % de réponses correctes (SD 26), les performances individuelles allant du niveau de la chance à 86 %. Les performances moyennes sur les échelles CAP et SIR s’améliorent aussi avec l’utilisation de l’implant.

Mais l’intérêt de cette étude allait au-delà du simple examen des performances. Nous voulions aussi vérifier si les gains apportés par l’implant étaient influencés par le mode de communication préférentiel utilisé avant l’implantation. Nos résultats montrent que les utilisateurs du LPC obtiennent des scores d’identification des voyelles et des consonnes significativement meilleurs que les utilisateurs de la LS (p=0.03, t=2.34) après implantation, alors qu’il n’y avait pas de différence dans les scores de ces deux groupe avant l’implantation.

De manière similaire, les utilisateurs du LPC obtiennent des scores au CAP significativement meilleurs (p=0.004, t=3.59) que les utilisateurs de la LS après implantation, alors qu’il n’y avait pas non plus de différences entre eux avant l’implantation. Finalement, aux scores du SIR, les deux groupes obtiennent aussi des différences statistiquement significatives (p=0,04, T=2.32) après l’implantation, mais ces différences significatives existaient déjà avant l’implantation (p=0.004, t=4.95).

Figure 3.8 : Scores individuels pour les 13 patients de cette étude avant et après l’implantation. A gauche : Scores moyens d’identification des voyelles et des consonnes. Au

3.4.5. Discussion

Nous observons qu’il y a une distinction à faire entre le gain auditif (ce qui peut être mesuré à l’audiogramme tonal) et le bénéfice apporté par l’implant. Les seuils auditifs après implantation se sont améliorés pour tous les patients, indifféremment de leur mode de communication. Le gain auditif apporté par l’implant est donc identique pour les utilisateurs du langage parlé complété, et pour les utilisateurs de la langue de signes. En revanche, si des améliorations dans l’identification des voyelles et des consonnes, dans les performances auditives et dans l’intelligibilité de la parole, ont également été constatées en moyenne sur l’ensemble des patients, ces dernières ont été significativement plus prononcées chez ceux qui avant l’implantation utilisaient le langage parlé complété au lieu de la langue de signes. Donc, nous observons une nette différence en ce qui concerne le bénéfice dans la communication orale entre ces deux groupes.

Les mérites de l’implantation cochléaire précoce des enfants sourds pré-linguaux [Manrique et coll, 2004 ; Kileny et coll, 2001] ainsi que ceux de l’implantation des sourds post-linguaux [Sterkers et coll, 2004 ; Proops et coll, 1999] sont bien établis. Par contre, il existe une sorte de consensus pour dire que les résultats obtenus avec un implant cochléaire chez des patients souffrant de surdité pré-linguale sont moins bons quand cette implantation est réalisée après l’âge de 6-7 ans [Snik et coll, 1997 ; Sarantz et coll, 1994 ; Kaplan et coll, 2003]. En général, les enfants sourds pré-linguaux qui n’ont pas été implantés avant l’âge de 7 ans sont peu nombreux à demander un implant cochléaire. Ces enfants sont normalement intégrés dans la communauté des sourds et ont adopté un mode de communication visuel via la langue des signes [Schramm et coll, 2002]. Cependant, il existe aussi, en très petit nombre, d’autres enfants sourds pré-linguaux et non-implantés avant l’âge 7 ans, qui eux se sont développés (vraisemblablement sous l’impulsion de leur entourage) dans le monde oral en utilisant la langue orale avec l’appui de la lecture labiale et du langage parlé complété. La question est donc de savoir si, dans ces conditions très particulières, l’implantation après l’âge de 7 ans chez les sourds pré-linguaux peut encore apporter un bénéfice au patient ou bien si, comme le suggèrent certains auteurs, l’absence de stimulation sonore pendant une éventuelle période critique de plasticité auditive a conduit une colonisation irréversible, «visuelle » ou autre, du cortex auditif [Teoh et coll, 2004]. Cette sorte d’amblyopie « auditive » les empêcherait de tirer tout bénéfice de l’implant [Moore, 2002 ; Harrison et coll, 2005 ; Kral et coll, 2006 ; Clopton et coll, 1977 ; Sharma et coll, 2007].

Cette étude nous permet de jeter un regard plus nuancé sur les phénomènes de plasticité

la couche 4c du cortex visuel primaire des autres couches de la même aire corticale (aire de Brodman 17). Les bénéfices à l’audiogramme tonal montrent que l’oreille implantée reste connectée au système auditif central, au moins jusqu’au cortex auditif primaire et ses aires directement adjacentes, malgré la longue période de surdité. Ceci démontre, à notre avis que l’amblyopie auditive au sens strict n’existe pas ! En effet, l’ensemble de nos observations nous conduit à penser que les moins bons résultats obtenus par les patients utilisant la LS ne sont pas dus au manque de stimulation auditive, mais à leur ignorance de la structure phonétique et temporale de la langue orale. Sinon, pourquoi les utilisateurs de la LPC obtiendraient-ils de meilleurs résultats que les utilisateurs de la LS ? L’apprentissage de la langue orale dans l’enfance avec l’aide du LPC [Torres-Moreno et coll, 2006] ou de la lecture labiale [Moody-Antonio et coll, 2005] exige certes un effort important, mais permet d’acquérir ces connaissances. Donc, quand ces patients reçoivent un implant cochléaire, ils peuvent organiser les sons perçus de manière cohérente pour comprendre le message et parvenir à communiquer. Les utilisateurs de la LS maîtrisent par contre un code de communication uniquement visuel et spatial. Ils déchiffrent les informations via une séquence d’images ou gestes créés par l’interlocuteur. Leurs « algorithmes de décodage » n’ont rien à voir avec ceux permettant de coder une suite de sons, une séquence de phonèmes formant des mots qui sont à leur tour mis dans un ordre grammatical pour former des phrases. Il semble extrêmement difficile, mais pas impossible, de passer d’un système de communication visuel et spatial à un système de communication auditif [Cassandro et coll, 2003]. Dans notre étude, seul un patient « exceptionnel » a réussi à passer exclusivement au mode de communication orale bien qu’ayant été auparavant utilisateur de la LS.

Ceci ne veut pas dire qu’il n’existe pas de plasticité dans le système auditif. Il est toujours possible que des aires corticales supérieures soient sujettes à cette plasticité. Par exemple, celles servant à la segmentation des sons du langage, voire même l’aire de Wernicke qui associe une suite de phonèmes à sa signification symbolique. Ceci ne serait pas outre mesure surprenant car, du côté de la production du langage, des évidences pour une telle plasticité existent : une personne sourde jusqu’à l’âge 7 ans gardera toute sa vie une « voix de sourd ».

En conséquence, l’apprentissage de la communication orale via le LPC devrait donc être envisagé systématiquement pour tout patient sourd pré-lingual lorsqu’une implantation précoce n’est pas réalisée ou n’est pas souhaitée. Ceci permettrait de « formater » les aires corticales supérieures et offrirait la possibilité de choisir plus tard entre communication orale