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Développement du langage après l’implantation

2. Aspects méthodologiques de l’implantation cochléaire

3.3. Résultats de l’implantation précoce dans la surdité pré-linguale

3.3.3. Développement du langage après l’implantation

Un enfant normal, ayant une audition parfaite 24 heures sur 24 dès la naissance, ne prononce ses premiers mots que vers l’âge d’un an et met plusieurs années pour communiquer de manière intelligible avec des phrases simples. Chez un enfant souffrant de surdité pré-linguale, l’audition ne démarre qu’après une éventuelle implantation cochléaire et cette audition sera loin d’approcher la qualité de l’audition normale. A qu’elle vitesse se développe alors la maîtrise du langage oral chez cet enfant ? Il est très difficile de répondre à cette question avec exactitude, car les tests existants pour évaluer le développement du langage chez l’enfant ne mesurent qu’un sous-ensemble des divers aspects (voire parfois un seul aspect) de ce développement. Il faudrait donc soumettre chaque enfant à une batterie de tests encore plus grande et à intervalles précis et réguliers. En outre, comme chez l’enfant normal, chez les enfants implantés la variabilité interindividuelle dans la difficile acquisition du langage est très grande car elle dépend de facteurs propres à l’enfant ainsi que de facteurs familiaux et environnementaux.

Nous ne nous sommes jamais lancés à Genève dans la caractérisation scientifique du développement du langage des enfants implantés. Toutefois, nous allons tenter d’illustrer le développement du langage de ces enfants en montrant la progression temporelle de leurs scores sur le test le plus difficile : le test de répétition de mots monosyllabiques phonétiquement balancés (PBK). Nos observations portent, pour certains enfants, jusqu’à une période de 11 ans post-implantation et, pendant cette période, ce test a été utilisé 100 fois sur 23 des 27 enfants (de 2 à 9 fois par enfant). La Figure 3.6 montre, pour chacun de ces enfants, l’évolution du score selon la durée d’utilisation de son implant cochléaire. Bien que ces données soient disparates, on constate que 17 des 23 enfants atteignent un score de 80% de réponses correctes avant la quatrième année d’utilisation. On constate aussi que quelques autres enfants progressent nettement plus lentement que la moyenne illustrant la variabilité interindividuelle lors de l’acquisition du langage.

Figure 3.6 Scores au test PBK selon de la durée d’utilisation de l’implant pour 23 enfants sourds pré-linguaux. Chaque ligne représente un enfant.

3.3.4. Discussion

En 1985, à l’époque des implants cochléaires multicanaux de première génération, l’implantation cochléaire était rarement proposée aux enfants souffrant d’une surdité pré-linguale. Avec l’avènement des implants cochléaires multicanaux de deuxième génération, l’implantation d’enfants sourds pré-linguaux a démarré à large échelle. Mais les premières études menées sur des groupes hétéroclites d’enfants (avec différents âges à l’implantation, souffrant de différents types de surdité, etc.) ont montré des résultats parfois contradictoires [O’Donoghue et coll, 2000], si bien que certains auteurs ont émis des doutes quant à la capacité des enfants implantés à apprendre la langue orale. On s’est aperçu que certains enfants implantés tardivement avaient déjà développé un mode de communication visuel avant l’implantation ; que ce mode de communication restait pour eux prioritaire et nuisait même au développement de la communication orale. Une grande partie de la communauté des chirurgiens ORL a alors proposé d’implanter ces enfants de manière de plus en plus précoce, justifiant cette proposition par l’existence d’une période critique de plasticité neuronale dans le système auditif [Manrique et coll, 2004 ; Harrison et coll, 2001 ; Nikolopoulos et coll, 1999 ; Wu et coll, 2003 ; Kileny et coll, 2001 ; Snik et coll 1997].

Les enfants dont les résultats sont présentés dans ce chapitre ont été implantés en moyenne à

oral, équivalente grosso modo à celle d’un enfant normal à l’âge d’environ 3 ans. De plus, nos utilisent la langue uniquement orale à la maison.

Même si les résultats présentés dans cette section sont qualitativement similaires à ceux de nombreux autres centres, une comparaison quantitative rigoureuse des performances collectives d’enfants implantés est pratiquement impossible. Dans une révision extensive et systématique de la littérature récente, Bond et coll [2009] démontrent que, dans ce domaine, les comparaisons quantitatives souffrent de limitations méthodologiques importantes. En effet, l’on constate que dans la plupart des cas les groupes étudiés sont restreints et inhomogènes, incluent des enfants d’âges différents, avec des langues maternelles et des durées d’utilisation de l’implant différentes, bénéficiant de méthodes de réhabilitation propres, etc. Ceci étant dit, il existe toutefois d’assez solides arguments pour affirmer que l’implantation devrait se faire de la manière la plus précoce possible. Le premier argument, et le plus pertinent à notre avis, est d’éviter autant que possible un décalage entre le développement cognitif et le développement du langage oral [Nicholas et coll, 2007]. Si ce décalage est faible, l’enfant peut directement intégrer la communication orale à ses besoins quotidiens. Si ce décalage est important, les capacités de communication orale de l’enfant ne seront pas, au lendemain de l’implantation, au niveau des ses besoins quotidiens. Il sera frustré par ses lacunes et tendra vraisemblablement à utiliser un mode de communication visuel. Le deuxième argument, mais qu’il faut encore préciser et démontrer scientifiquement, serait l’existence d’une période critique de plasticité du système auditif central. Mais abaisser l’âge moyen d’implantation des enfants n’est pas sans risque. Il ne faut pas négliger les limitations imposées par la sécurité opératoire et, plus encore, par les difficultés de confirmation du diagnostic de surdité chez les tout petits enfants. La question centrale est donc de savoir quel serait l’âge d’implantation idéal. Rappelons que les enfants dont les résultats ont été présentés dans ce chapitre ont été implantés en moyenne à l’âge de 2.9 ans (SD 1.4), ce qui n’est pas particulièrement précoce. Mais nos résultats ne semblent pas être moins bons que ceux des autres groupes. Nous pensons donc que l’implantation cochléaire

peut se faire en toute sécurité opératoire dès l’âge de 1 an et qu’elle devrait se faire en tous les cas au plus tard dans la quatrième année de vie de l’enfant.

3.4. Résultats de l’implantation tardive