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L’évaluation de l’excitabilité de nerf auditif

2. Aspects méthodologiques de l’implantation cochléaire

2.2. L’évaluation de l’excitabilité de nerf auditif

Il est indispensable de pouvoir démontrer que le patient sourd, candidat à l’implant cochléaire, possède bel et bien un nerf auditif qui puisse être stimulé électriquement. Il s’agit d’une condition nécessaire, mais évidemment pas suffisante, au succès de l’implantation cochléaire.

2.2.1. Le test du promontoire

A l’origine, n’existaient que des méthodes subjectives et peu fiables pour déterminer cet aspect crucial. Avec ces méthodes, le patient devait décrire la sensation causée par une stimulation électrique extra-cochléaire. L’électrode de stimulation étant posée, soit sur le promontoire de l’oreille moyenne (à l’aide d’une aiguille transtympanique), soit directement sur la membrane tympanique. Les patients rapportant une sensation sonore lors de ce test étaient alors considérés comme des candidats à l’implant.

En 1988, une étude a été menée à Genève pour évaluer la validité de cette procédure [Liard et coll, 1988]. Dans cette étude, 119 personnes avec une audition normale, résiduelle ou une surdité profonde, ont été testées par l’application d’un courant électrique sur la membrane tympanique à l’aide d’une petite électrode en or développée spécialement à cet effet. Ces

incapables de qualifier la sensation. Certains la décrivaient comme une sensation purement tactile. En plus d’être inexacte, cette méthode était inapplicable à un grand nombre de patients, tels ceux souffrant d’un fort acouphène ou ayant des difficultés de compréhension ou de communication comme, par exemple, les très jeunes enfants.

Pour aller de l’avant, nous avions besoin d’une méthode objective démontrant sans ambigüité l’activation des voies auditives.

2.2.2. Les potentiels évoqués auditifs produits par stimulation électrique

Le développement d’une méthode de démonstration objective de la stimulation électrique des voies auditives a été une étape fondamentale à franchir. Une telle méthode se passe de la collaboration du sujet et devient applicable aux patients n’ayant jamais eu d’expérience auditive, tels les patients souffrant de surdité congénitale, ainsi qu’aux patients ne pouvant pas décrire ce qu’ils ressentent, par exemple, les enfants en très bas âge ou encore les patients sous narcose. Dans le domaine de l’audition, la meilleure méthode objective est celle de l’enregistrement des réponses évoquées par stimulation auditive du tronc cérébral, cette dernière étant utilisée en routine dans tous les services ORL du monde.

Ce qu’il restait à faire était alors évident : il suffisait d’enregistrer les réponses évoquées par stimulation électrique de l’oreille interne. Mais cela était plus facile à dire qu’à faire. Alors que les réponses auditives du tronc cérébral sont des signaux de l’ordre du millionième de Volt qui se manifestent dans le centième de seconde suivant le stimulus sonore, le signal nécessaire pour la stimulation électrique de l’oreille est de l’ordre du Volt, donc un million de fois plus grand. La stimulation électrique produit donc au temps « zéro » un signal perturbateur un million de fois plus grand que les réponses qu’il faut pouvoir détecter dans le centième de seconde suivant. Lorsque nous avons commencé à nous intéresser aux implants cochléaires à Genève, ces problèmes techniques n’étaient pas résolus. Certains auteurs donnaient toutefois crédit à des réponses qui de toute évidence provenaient de la perturbation de leur appareil d’enregistrement et qui ne ressemblaient en rien à celles du système auditif.

Pelizzone et coll [1989] sont parvenus à maîtriser ces problèmes techniques. Ils ont réussi à démontrer que le tracé des potentiels évoqués du tronc cérébral par la stimulation électrique de l’oreille interne (EABR pour Electrically evoked Auditory Brainstem Responses) chez le patient sourd profond implanté était très similaire au tracé de potentiels évoqués par stimulation sonore (ABR pour Auditory Brainstem Responses) chez des personnes

celles des ABR, à ceci près que toutes les latences des réponses sont environ 2 ms plus courtes. Ceci démontre que la stimulation électrique de l’oreille interne active bien les mêmes relais auditifs du système nerveux central (et dans la même séquence) que la stimulation sonore. Le raccourcissement des latences est dû au fait que la stimulation électrique « court-circuite » le processus de transduction effectuée par l’oreille interne lors de la stimulation sonore normale [Pelizzone et coll, 1989].

Une fois ces développements effectués, nous avions à disposition une méthode objective et fiable pour évaluer l’activation des voies auditives. Mais cette méthode ne s’appliquait qu’aux patients déjà implantés et laissait de côté les patients candidats à un implant. Pour ces derniers, il fallait trouver un moyen d’explorer la cochlée en y plaçant une électrode de stimulation pour pouvoir effectuer de telles mesures avant l’implantation cochléaire proprement-dite.

2.2.3. L’EABR par la cochléostomie exploratrice

L’exploration de la cochlée, la cochléostomie exploratrice, est une procédure élaborée par Montandon [Montandon et coll, 1992b; 1994]. Elle précède l’implantation. Elle consiste à introduire une électrode de stimulation dans la cochlée pour pouvoir, avant l’implantation: (1) enregistrer des EABR de haute qualité, (2) évaluer la perméabilité de la cochlée (qui peut être ossifiée ou fibrosée). Mais il est clair que cela reste un geste (minimalement) invasif et, qu’avant de se résoudre à le pratiquer, nous avions démontré, en comparant les stimulations extra- et intra-cochléaires sur les mêmes patients, que la stimulation intra-cochléaire était beaucoup plus efficace que la stimulation extra-cochléaire [Pelizzone et coll, 1989]. La stimulation intracochléaire permet d’obtenir des résultats fiables.

La technique de la cochléostomie est un prolongement naturel de la technique de chirurgie otologique adoptée à Genève. Nous utilisons un abord transméatal pour accéder à l’oreille moyenne, comme proposé initialement par Lempert en 1934, systématisé ensuite par Schuknecht [Meltzer, 1962] de la « Massachussetts Eye and Ear Infirmary » et amené à Genève par Montandon. Il s’agit d’une technique d’opération microscopique, en anesthésie locale et minimalement invasive, peu utilisée en Suisse et en Europe. Nous l’utilisons pour la quasi-totalité des tympanoplasties, stapédotomies et de tympanotomies exploratrices. Le recours à l’anesthésie locale permet de communiquer avec le patient et d’obtenir ainsi une appréciation immédiate du résultat chirurgical.

donner accès à la spire basale de la cochlée. Si l’entrée de la cochlée est oblitérée par de la fibrose ou de l’ossification, celles-ci sont enlevées à l’aide de instruments et micro-drill. Dans les cas d’ossification extensive, lorsqu’aucun espace n’est détecté, c’est l’apex cochléaire qui est ouvert. Une fois la cochlée ouverte, une électrode de test y est introduite pour l’enregistrement des EABR. Il s’agit d’un enregistrement techniquement difficile. En effet, les réponses de l’EABR sont très petites et, pour obtenir un enregistrement propre, il faut impérativement annuler les multiples artefacts venant de l’environnement électrique du bloc opératoire et de la stimulation électrique elle-même [Montandon et coll, 1992a, 1992b].

Finalement, le patient décrit les sensations perçues lors de la stimulation électrique et son visage est inspecté à la recherche d’une stimulation indésirable du nerf facial. Dans les cas où les EABR sont présents, la chirurgie d’implantation est réalisée, après l’induction de la narcose. Dans quelques rares cas, l’implantation a été différée ou abandonnée, soit parce qu’aucune réponse n’a été détectée laissant suspecter une pathologie de type rétro-cochléaire, soit à la demande du patient. Notre expérience montre que les chances d’obtenir une stimulation avec l’implant cochléaire, dans les cas où nous n’avons pas observé une réponse électrique lors de la cochléostomie exploratrice, sont de moins de 2 %.

Récemment nous avons été confrontés à un cas qui illustre l’intérêt de la cochléostomie. Il s’agissait d’une patiente souffrant d’une surdité profonde rétro-cochléaire causée par une sidérose superficielle. Certains rares rapports de bons résultats obtenus dans ce type de surdité [Hathaway and coll, 2005 ; Dhooge et coll, 2002] ont justifié la demande de la patiente de recevoir un implant. Lors de la cochléostomie exploratrice nous n’avons pas pu observer des potentiels évoqués électriques à la stimulation des 2 oreilles. Nous avons différé l’implantation pour donner un temps de réflexion à la patiente. La patiente, avertie, a renoncé à cette implantation, en toute probabilité inutile.