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2. Aspects méthodologiques de l’implantation cochléaire

2.4. Les implants cochléaires utilisés

Figure 2.2 : Un implant cochléaire se compose d’une partie implantée et d’un appareil externe porté autour de l’oreille ou à la ceinture. Le microphone (1), le processeur (2) et l’antenne (3) se trouvent dans l’appareil externe. Le stimulateur (4) et le faisceau d’électrodes (5) font partie de l’implant qui stimule le nerf auditif (6). (Illustration Med-El)

L’implant cochléaire se compose d’une partie interne (le stimulateur implanté) et d’une partie externe (le processeur vocal) dont le principe est de transformer les sons captés en signaux électriques et de les envoyer directement aux fibres du nerf auditif. En conséquence, il faut transmettre le signal à travers la peau pour relier ces deux parties. Les implants les plus modernes (Advanced Bionics®, Med-El®, Cochlear®) utilisent tous une transmission transcutanée par ondes électromagnétiques (Figure 2.2). Le tout premier prototype utilisé à Genève, le système Ineraid®, qui était un des tous premiers implants cochléaires multicanaux, utilisait quant à lui une prise percutanée. Tous ces systèmes, bien que très différents dans leur aspect, fonctionnent cependant sur le même principe que l’on peut résumer en 6 points : 1. Les sons du langage et les bruits sont captés par le microphone et transmis au processeur

2. Le processeur convertit les sons dans un code d’excitation distribué sur plusieurs électrodes.

3. Cette information est envoyée à l’antenne (fixée par aimantation en regard de l’implant) qui la transmet à travers la peau au moyen d'ondes radio.

4. Le stimulateur implanté capte les ondes radio, les décode, crée les impulsions électriques et les envoie aux différentes électrodes implantées dans la cochlée.

5. Les électrodes implantées dans l’oreille interne stimulent les fibres du nerf auditif, lequel transmet à son tour ces signaux au cerveau.

6. Le cerveau analyse alors ces signaux dans ses aires auditives et les interprète comme des sons.

A ce jour, quatre types différents d’implants cochléaires ont été utilisés à Genève.

2.4.1. L’implant Ineraid®

Le prototype d’implant cochléaire « Ineraid », fut conçu par Eddington, bio-ingénieur, et Parkins, chirurgien otologiste [Eddington et coll, 1978]. Cet implant fut d’abord fabriqué par Symbion sous forme de prototype. Le brevet fut ensuite fabriqué et commercialisé par Smith and Nephew-Richards, aux Etats-Unis. Cet implant avait la particularité d’utiliser une prise percutanée, fixée à l’os temporal, qui transmettait les signaux à travers la peau. Le développement ultérieur de la transmission transcutanée et la miniaturisation électronique ont conduit à son abandon à la fin des années 90. Il n’est plus disponible aujourd’hui. Nous allons cependant consacrer ici quelques lignes à sa description, car il illustre de manière exemplaire la transition entre l’implant cochléaire multicanal de première et de deuxième génération.

La première implantation cochléaire d’un prototype multicanal « Ineraid » en Europe a été réalisée en 1985 à Genève par le Prof. P. Montandon. Déjà à l’époque, ce système permettait à certains volontaires sourds implantés une bonne compréhension de la parole, sans l’appui de la lecture labiale [National Institutes of Health Consensus statement, 1988]. Tous les patients utilisaient alors la stratégie de codage des sons appelée « Compressed Analog » (CA), qui activait toutes les électrodes implantées simultanément. A l’aide d’un simple filtrage passe-bande, les signaux de basses fréquences étaient transmis aux électrodes implantées dans la région de l’apex de la cochlée et ceux de hautes fréquences, aux électrodes implantées dans la région de la base de la cochlée. Grâce à la présence des multiples électrodes, la tonotopie de la cochlée était respectée, une condition essentielle au bon fonctionnement du système auditif, ce qui ne pouvait être envisagé avec un implant monocanal. Cependant, il était clair d’emblée qu’un système multicanal ne serait supérieur à un système monocanal que si les différents

canaux étaient en mesure de véhiculer des informations indépendantes. Il était tout aussi clair, théoriquement, que des électrodes voisines stimulées simultanément ne pouvaient véhiculer des informations parfaitement indépendantes. Dans la réalité [Favre et Pelizzone, 1993], les expériences menées avec des patients implantés montraient qu’environ 50% du signal transmis sur une électrode se retrouvait sur l’électrode voisine (distantes de 4 mm dans la cochlée). On ne pouvait parler dans ces conditions de réelle indépendance entre les canaux.

Les mêmes expériences indiquaient toutefois que ces interférences devenaient négligeables dès que l’on activait les électrodes séquentiellement. Il fallait donc réaliser une stratégie de codage des sons qui utilise une activation séquentielle des électrodes implantées.

Suivant les conseils de nos collègues de Boston, c’est ce qu’ont fait B. Wilson et coll [1991]

en proposant la stratégie de codage des sons « Continuous Interleaved Sampling » (CIS).

Comme dans la stratégie CA, les signaux acoustiques du CIS sont divisés en bandes de fréquence par un filtrage passe-bande et les fluctuations d’intensité dans chaque bande sont transmises aux électrodes implantées en respectant la tonotopie. Mais, contrairement à la stratégie CA, la stratégie CIS, comme son nom l’indique, utilise une activation séquentielle des électrodes implantées pour réduire autant que possible les interactions inter-électrodes nuisibles à l’indépendance des canaux. Des expériences comparatives [Wilson et coll, 1991 ; Boex, 1992 ; Boëx et coll, 1994] ont pu être menées sur des patients utilisateurs du prototype

« Ineraid » car, grâce à la flexibilité offerte par la prise percutanée de ce système, il était facile de comparer les deux codages sur un même patient. Toutes ces expériences comparatives ont systématiquement démontré la supériorité marquée de la stratégie CIS, cette dernière offrant de très significatives améliorations des performances de compréhension du langage par rapport à la stratégie CA. Grâce à la prise percutanée, nous étions passés de l’implant cochléaire multicanal de première génération à l’implant cochléaire multicanal de deuxième génération.

La stratégie CIS ne pouvait toutefois pas être intégrée aux processeurs vocaux portables disponibles à l’époque. Il fallait utiliser un équipement fixe de laboratoire, lourd et encombrant. C’est pourquoi notre groupe a mis en place une collaboration internationale avec les centres de recherche de la Massachussetts Eye and Ear Infirmary à Boston (D. Eddington), le Research Triangle Institute à Durham (B.Wilson) et l’Ecole d’Ingénieurs de Genève pour aboutir à la réalisation du premier processeur portable – le Geneva Wearable Processor (GWP) – capable d’intégrer la stratégie CIS [Pelizzone et coll, 1995]. Grâce au financement

des patients utilisant des prototypes « Ineraid » à Boston, Durham et Genève. Certains patients genevois les utilisent encore aujourd’hui dans leur vie quotidienne.

Malheureusement la compagnie Smith and Nephew-Richards a été incapable de développer et de commercialiser un nouveau processeur vocal. On connaît déjà la suite : elle fut rachetée par une compagnie concurrente, puis le système « Ineraid » fut simplement abandonné.

2.4.2. L’implant Advanced Bionics®

Les systèmes d’implant cochléaires « Clarion », de la marque Advanced Bionics, sont fabriqués aux Etats-Unis. Ils sont issus des recherches effectuées par Schindler et coll [1992].

L’implant « Clarion » a été le premier à proposer commercialement une stratégie de codage CIS, très proche de celle développée en recherche aux Etats-Unis et à Genève. Nous avons alors effectué une étude comparative spéciale, en « démontant » un système « Clarion » et en connectant temporairement les sorties de son stimulateur implantable à la prise percutanée de patients utilisateurs du prototype « Ineraid » [Boex et coll, 1996]. Les divers tests de perception du langage ayant produit des résultats presque identiques sur les mêmes patients, nous avons alors commencé à utiliser cliniquement à Genève les systèmes « Clarion » dès 1995.

Depuis lors, plusieurs modèles de cette marque ont été utilisés. Certains de ces modèles ont proposé l’utilisation d’un « Electrode Positioning System » (EPS) [Fayad et coll, 2000]. Ce système est une pièce en silicone, indépendante du faisceau d’électrodes proprement dit, qui doit être placée entre le faisceau et la paroi externe de la cochlée dans le but de forcer les électrodes en direction de la paroi interne de la cochlée et, ainsi, des neurones situés dans le modiolus. Certains cas de méningite potentiellement associés à l’usage de l’EPS ayant été diagnostiqués aux Etats-Unis et dans certains centres européens chez des enfants porteurs d’implants, nous avons immédiatement décidé de ne plus l’utiliser. Heureusement nous n’avons observé aucun cas de méningite. Plus tard, par souci de sécurité, le fabriquant a retiré ce modèle du marché.

2.4.3. L’implant Med-El®

Lorsque les suspicions de cas de méningite liés à un modèle d’implant cochléaire sont apparues, nous avons souhaité ne plus être dépendants d’un seul fabriquant d’implants et nous avons commencé dès 2000 à utiliser cliniquement à Genève les systèmes « Med-El ».

Ces systèmes sont fabriqués en Autriche. Ils sont issus des recherches effectuées par Hochmayer-Desoyer IJ et Hochmair ES [1993] et utilisent pour le codage des sons une stratégie CIS très proche de celle développée à l’origine par B. Wilson et coll [1991].

2.4.4. L’implant Cochlear®

Finalement, en 2004, nous avons commencé d’utiliser les systèmes d’implants cochléaires

«Cochlear», fabriqués en Australie. Ils sont issus des recherches effectuées par Clark et coll [1986].

Cet implant était l’un des deux premiers implants multicanal de première génération disponibles en 1985, l’autre étant le prototype «Ineraid». Dès sa première conception, il comportait une transmission transcutanée (par ondes radio) alors que l’implant « Ineraid » utilisait une prise percutanée. Pourquoi ne l’avons-nous pas utilisé à cette époque ? Contrairement à beaucoup d’autres centres qui ont privilégié d’emblée la solution la plus aboutie, nous avons choisi le modèle utilisant une simple prise percutanée, car nous ne voulions pas être restreints par les limitations d’un stimulateur implanté. Convaincus que nous n’étions qu’aux balbutiements du développement des implants cochléaires, nous tenions à pouvoir offrir à nos patients d’autres stratégies de codage des sons dès qu’elles seraient validées. Par chance, l’histoire nous a donné raison et nos patients ont pu bénéficier rapidement des avantages de la stratégie CIS. La compagnie « Cochlear » a du développer un nouveau stimulateur (celui que nous utilisons aujourd’hui) pour pouvoir réaliser les plus récentes stratégies de codage des sons. Les patients utilisant l’ancien stimulateur « Cochlear » ont dû être réimplantés pour pouvoir en bénéficier.