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Les cellules ciliées sont le maillon faible des diverses structures qui s’enchaînent pour former les voies auditives. Normalement, lorsque les cils des cellules ciliées bougent, ces dernières modifient leur potentiel transmembranaire ; ceci déclenche des potentiels d’action qui se propagent dans les fibres du nerf auditif, et ainsi de suite au travers de plusieurs relais jusqu’au cerveau. Ces cellules peuvent être endommagées par des agents tels que les bruits trop forts, certains produits ototoxiques, certaines maladies congénitales ou acquises, et même par le vieillissement physiologique. Toutes ces causes provoquent des surdités dites de perception. Les atteintes des structures de l’oreille externe ou moyenne, chargées de la transmission mécanique du son à l’oreille interne, peuvent aussi résulter en un autre type de surdité, dite de transmission. Dans ce cas, la surdité n’est jamais totale et elle peut être corrigée par des interventions médicamenteuses, chirurgicales ou par l’utilisation d’appareils acoustiques. En opposition, la surdité de perception peut progresser jusqu’à ce que la majorité des cellules ciliées cessent d’être fonctionnelles. Les vibrations sonores ne sont alors plus transformées en signal nerveux, même si les sons ont été amplifiés par des appareils acoustiques. Cette situation, qui représentait une grande frustration pour les personnes atteintes ainsi que pour leur médecin ORL, a pu être contournée grâce à l’implant cochléaire.

L’objectif de ce mémoire est de retracer en détail l’expérience et les résultats obtenus avec l’implantation cochléaire chez des adultes et des enfants au cours des 25 dernières années de cette pratique dans les Hôpitaux Universitaires de Genève au sein du Centre romand d’implants cochléaires (CRIC).

1.1. Historique du développement des implants cochléaires

Les études histologiques montrent que beaucoup de fibres du nerf auditif survivent et restent morphologiquement intactes même dans des cas de surdité totale avec perte de pratiquement toutes les cellules ciliées. Il devait donc être possible, du moins théoriquement, de les activer directement par stimulation électrique.

En 1957, Djourno, Eyriès et Vallancien [1957] ont été les premiers à démontrer que la stimulation électrique du nerf auditif produisait des sensations auditives. Djourno travaillait au développement d’un stimulateur électrique implantable destiné à l’animal. Eyriès, médecin

exprimait le désir qu’on tentât l’impossible pour faire cesser, même très imparfaitement, sa surdité totale. ». Ensemble ils décidèrent de tenter une intervention, après avoir pleinement informé le patient des risques d’échec. Lors de la reprise chirurgicale pour effectuer la greffe du nerf facial, Eyriès plaça les électrodes du stimulateur dans le conduit auditif interne, au voisinage des fibres restantes du nerf auditif sectionné. Dès les premiers essais de stimulation, ils rapportent que « ...la parole est entendue comme une succession d’éclats rapprochés : il est évident que le sujet traduit bien les amplitudes et mal les fréquences. Toutefois, il établit rapidement une correspondance, une sorte de « codage », entre les syllabes et les mots et ses perceptions déformées … si le « codage » des mots s’avérait suffisant après un entraînement systématique, on pourrait évidemment songer à un procédé pratique de prothèse dans des cas où aucune autre méthode ne pourrait donner d’impression auditive. ». Suite à cette conclusion visionnaire, d’autres vont rapidement reprendre le flambeau.

En 1960, House [1976] est l’un des premiers à activer le nerf auditif en glissant une électrode dans la cochlée, une technique évidemment beaucoup moins invasive que celle utilisée par Djourno et coll [1957]. Simmons [1966] et Michelson [1971] suivront la voie tracée par House. L’implant cochléaire monocanal était né. Cependant, à cette époque, ces essais ne firent l’objet que de descriptions à caractère anecdotique, basées sur des expériences isolées.

L’absence d’une analyse multidisciplinaire organisée ralentissait la recherche. Un rapport commandé par le National Institutes of Health (NIH) et réalisé par un expert indépendant [Bilger, 1977] démontra qu’un implant avec un seul canal ne permettait pas la compréhension du langage. Néanmoins, ce même rapport montrait aussi que les patients communiquaient significativement mieux avec leur prothèse enclenchée qu’avec leur prothèse éteinte.

Le NIH a alors décidé d’encourager la recherche dans ce domaine et on s’est vite aperçu qu’il fallait développer des implants cochléaires multicanaux, si on voulait avoir une chance de respecter le principe de tonotopie, essentiel au bon fonctionnement du système auditif. Ainsi, après quelques années d’utilisation d’implants multicanaux, une équipe d’Iowa [Gantz et coll, 1988] entreprit une grande étude comparative. Utilisant une prise en charge chirurgicale identique et des méthodes d’évaluation communes à un grand groupe de patients, cette équipe a pu facilement démontrer la supériorité indiscutable des implants multicanaux, qui se sont alors rapidement développés grâce à de nombreux essais cliniques. C’est ainsi qu’en 1988, lors du premier consensus sur les implants cochléaires établi par le NIH [1988], approximativement 3’000 patients avaient déjà été implantés. L’on constatait alors que certains patients utilisateurs d’un implant multicanal pouvaient tenir une conversation orale

implants cochléaires multicanaux de première génération, mais ceux-ci ne représentaient encore que 5% des cas.

Plusieurs groupes de recherche [Wilson et coll, 1991 ; Boex, 1992 ; Boex et coll, 1994 ; McDermott et coll, 1994] ont montré au cours des années suivantes qu’en améliorant uniquement « la stratégie de codage des sons », c.-à-d. l’algorithme qui transforme le signal sonore en une succession d’impulsions électriques distribuées sur les électrodes implantées, et tout en conservant exactement le même matériel implanté, on pouvait permettre à la majorité des patients implantés de suivre une conversation sans l’aide de la lecture labiale. Ceci a donné naissance à ce que nous appelons aujourd’hui les implants cochléaires multicanaux de deuxième génération. Ainsi, lors du consensus du NIH suivant [1995], on constatait qu’environ 13’000 patients avaient été implantés et que la grande majorité de ceux qui utilisaient les processeurs sonores multicanaux les plus récents, obtenait des résultats au-delà de 80% de réponses correctes lors des tests les plus difficiles, sans lecture labiale.

Actuellement (2010), plus de 200’000 personnes ont été implantées dans le monde.

L’efficacité de la réhabilitation fonctionnelle par l’implant cochléaire dépasse tout ce qui a été obtenu par n’importe quelle autre prothèse de stimulation nerveuse. Les enfants sourds de naissance sont capables de développer le langage oral et de suivre une école normale avec leurs camarades entendants. L’implant cochléaire est aujourd’hui un traitement régulièrement dispensé contre la surdité profonde. Il est remboursé par les assurances sociales et sert de modèle pour le développement d’autres prothèses comme les implants visuels ou vestibulaires [Wilson et coll, 2008].

1.2. Historique de l’implantation cochléaire à Genève

Chirurgien otologiste, le Prof. Pierre Montandon a été nommé à la tête du service ORL des HUG en 1975, à une époque où il n’existait que des implants monocanaux. Montandon, suite à des travaux expérimentaux dans le domaine de l’électrophysiologie de l’oreille dans le laboratoire Eaton Peabody, du Prof. Nelson Kiang à Boston (Harvard University et Massachussetts Institute of Technology – MIT) [Montandon et coll, 1975 a et b], s’est intéressé au développement en cours de l’implant multicanaux, capable de restituer une audition adéquate pour la communication verbale en cas de surdité totale.

Les travaux qui semblaient les plus prometteurs à l’époque, étaient réalisés à Salt Lake City

Après avoir visité plusieurs centres de recherche aux Etats-Unis et en Europe, et sur le conseil de Kiang, Montandon choisit de collaborer avec Eddington et d’utiliser un prototype mis à disposition de ce groupe de recherche par la maison Symbion de Salt Lake City, qui fabriquait déjà le cœur artificiel de Jarwick. Cet implant fut utilisé simultanément en Europe, à Genève et a Oslo (Norvège), avant d’être commercialisé sous le nom d’Ineraid®. Après les premières implantations réalisées (1985) à Genève, il est apparu nécessaire de constituer d’une équipe de recherche multidisciplinaire sur place. Une équipe de haut niveau de qualification était requise pour permettre la pleine participation de Genève à une collaboration internationale avec les principaux centres de recherche américains. Marco Pelizzone, alors en stage à New York, fut le candidat choisi pour diriger cette équipe.

Avec des résultats très concluants, qui ont conforté l’instance américaine de contrôle, la

« Federal Drug Administration » (FDA), de permettre l’utilisation commerciale de l’implant Ineraid aux Etats-Unis, Genève a reçu la mission d’organiser, conjointement avec l’Université Royale d’Oslo, un cours international de formation et d’information. Ce cours, réalisé à Genève en 1987, concernait la chirurgie d’implantation, l’ingénierie technique et les théories biophysiques de l’audition. Il eut un grand succès et a accueilli des participants venus du monde entier, y compris de la Chine.

Physicien de formation, le Prof. Marco Pelizzone avait rejoint le groupe genevois avec mission de mettre sur pied une équipe de scientifiques et d’ingénieurs chargée d’exploiter au mieux les observations originales pouvant être recueillies sur les patients implantés. Au départ, l’effort de recherche a porté sur la démonstration objective de l’activation du système auditif central, grâce au développement de techniques de potentiels évoqués [Pelizzone et coll 1989 ; Kasper et coll, 1991] et à l’enregistrement des champs magnétiques cérébraux évoqués par stimulation électrique du nerf auditif [Pelizzone et coll, 1986a, 1986b, 1987]. Puis les recherches se sont progressivement orientées vers la caractérisation psychophysique des sensations auditives produites et le développement de nouvelles stratégies de codage des sons.

L’équipe genevoise dirigée par Pelizzone [Boex, 1992 ; Boex et coll, 1994, 1996] a été la première à fournir une validation indépendante de la stratégie « Continuous Interleaved Sampling (CIS) » proposée initialement par Wilson et coll [1991]. Par la suite, alors que jusque là toutes les observations avaient été recueillies auprès des patients de manière aigue à l’aide de matériel de laboratoire non-transportable, cette équipe a été la première à développer un processeur portable permettant de mesurer l’apport réel de ces implants dans la vie quotidienne [Pelizzone et coll, 1995]. Les processeurs portables genevois ont été mis à

Boston et en Caroline du Nord. Les résultats obtenus par ces autres patients étaient similaires aux nôtres et cette nouvelle stratégie a connu une large diffusion dans les milieux intéressés.

Tous les implants cochléaires disponibles aujourd’hui utilisent encore les principes fondamentaux validés au cours de ces études.

Entre 1985 et 1995, nous étions donc passés des implants cochléaires multicanaux de première génération aux implants cochléaires multicanaux de deuxième génération et l’équipe genevoise avait activement et pleinement participé à ces développements. Par prudence, les implants à Genève avaient été jusqu’alors essentiellement réservés à des adultes souffrant de surdités post-linguales. Ces derniers avaient une mémoire auditive du langage oral qui les aidait à déchiffrer les sensations auditives produites par leur implant. Mais nos résultats, ainsi que ceux d’autres groupes internationaux, suggéraient que la qualité de l’information auditive délivrée par les systèmes les plus récents pourrait permettre à des enfants sourds de naissance de développer le langage oral.

Au début des années 90, le nombre de candidats à l’implantation commence à augmenter progressivement, ainsi que l’activité clinique autour des patients implantés. En 1992, quand j’ai rejoint le Service d’ORL et de Chirurgie cervico-faciale, 12 chirurgies d’implantation avaient déjà été réalisées. En 1994, j’ai été nommée médecin responsable du Centre Romand d’Implants Cochléaires avec le mandat de développer l’implantation pédiatrique et d’en assurer l’activité chirurgicale. Dans ce cadre, j’ai par la suite réalisé toutes les chirurgies d’implantation avec des différents modèles d’implant, chez des enfants dès l’âge de 1 an à des adultes jusqu’à l’âge de 85 ans.

2. Aspects méthodologiques de l’implantation