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Une meilleure compréhension des mécanismes de résistances à l'INH dans M. tuberculosis pourrait donner des informations capitales pour le développement de nouveaux agents antituberculeux capables de contourner et contrôler ces résistances. C'est dans cet objectif que de nombreuses équipes identifient et caractérisent les bases moléculaires des résistances sur des isolats cliniques de M. tuberculosis.

La résistance à l'INH serait contrôlée par un système génétique complexe impliquant plusieurs gènes : katG, inhA, ahpC et ndh. De 40 à 95% des isolats cliniques de M. tuberculosis INH-résistants présentent des mutations sur le gène katG codant pour la catalase peroxydase KatG, alors que seul 5 à 20% ont des mutations sur le gène inhA codant pour l'énoyl-ACP réductase InhA. M. tuberculosis peut compenser la perte d'activité de KatG, causée par des mutations sur katG, en sur-exprimant le gène ahpC (codant pour une alkyle hydroperoxyde réductase). Les mutations dans ndh, un gène codant pour une NADH- déshydratase, altèrent la proportion NADH/NAD et permettent une protection contre la toxicité de l'INH. Des mutations de 16 autres gènes ont été rapportées et associées à la résistance à l'INH dans les isolats cliniques. Cependant, le rôle de ces gènes n'est pas encore bien défini. De plus, il y a approximativement 10 à 25% de souches résistantes à l'INH qui ne contiennent aucune mutation dans les gènes connus pour conduire à une résistance à l'INH.84

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Dans ce paragraphe, nous nous intéresserons uniquement aux mutations bien connues et bien étudiées qui sont les plus nombreuses, c'est-à-dire sur les gènes katG et inhA. Seules les mutations dont le lien avec la résistance à l'INH a été étudié seront décrites dans ce paragraphe.

IV.1. Mutation dans katG

La majorité des isolats cliniques de M. tuberculosis résistants à l'INH ont montré des mutations sur le gène de katG.

Les études structurales comparatives de la cytochrome c peroxydase (CcP) de levure et de KatG sur la base d'une identité de 30% entre les deux protéines85 ont montré que le site de fixation du coenzyme héminique est localisé dans la région N-terminale de la protéine mycobactérienne.

Les mutations ou délétions partielles ou totales du gène katG peuvent entraîner un phénotype de résistance à l'INH. En effet, KatG est essentielle dans l'activation du bioprécurseur INH et donc indispensable à son action bactéricide. Les délétions, bien que rares, sont en général responsables de l'émergence de souches de bacilles très hautement résistantes à l'INH. Cependant, ce sont les mutations qui constituent la plus grosse partie des altérations rencontrées sur ce gène. Le site actif de la catalase péroxydase étant localisé dans la partie N-terminale de la protéine, toute modification génétique de cette région entraîne inévitablement une importante décroissance ou annihilation de l'activité enzymatique, et par conséquent une résistance à l'INH.85

Les deux mutants les plus fréquemment rencontrés dans les isolats cliniques de patients résistants à l'INH sont ceux portant la substitution Ser315Thr (environ 50% des cas) et la substitution Arg463Leu (environ 30% des cas). Les premiers mutants sont caractérisés par une enzyme incapable d'activer l'INH tout en conservant une activité catalase peroxydase affaiblie.86-88 Ainsi, l'enzyme permet une haute résistance à l'INH tout en maintenant un niveau de protection suffisant contre le stress oxydatif. L'explication de ces propriétés pourrait résider dans les différences stériques et électroniques au niveau de l'hème,89 ou plus vraisemblablement résulter d'une diminution de l'affinité de l'enzyme pour l'INH.87,88,90,91 La mutation résultant de la substitution de l'Arg463 par la Leu n'affecte pas l'activité enzymatique de KatG.86 Comme la modification se situe dans la partie C-terminale de la protéine, elle n'affecte pas la partie catalytique de l'enzyme. Elle se traduit par une faible

55 résistance à l'INH92 et est même retrouvée sur des souches sensibles,93 elle est donc assimilée à un polymorphisme naturel plus qu'à une mutation responsable du phénotype INH-résistant.

De nombreuses autres mutations sont connues. Par exemple, Wei et al94 ont produit et purifié six nouvelles variantes de KatG identifiées dans des isolats cliniques de M. tuberculosis (Ala110Val, Ala139Pro, Ser315Asn, Leu619Pro, Leu334Phe, Asp735Ala). Mis à part Ala110Val, tous ces mutants présentent des activités catalase et peroxydase faiblement réduites par rapport à KatG natif mais ont une capacité beaucoup plus faible à oxyder l'INH pour produire les adduits INH-NAD (capacité qui est même complètement annulée dans le cas de Ser315Asn et Leu619Pro).

Un mutant Tyr229Phe a été préparé par Magliozzo95 dans le but d'étudier le rôle de la tyrosine 229 de KatG. L'activité catalase de ce mutant est extrêmement réduite alors que son activité peroxydase est augmentée.

De nombreuses autres mutations ont été identifiées, cependant leurs expressions, productions et purifications pour leurs études n'ont pas encore été réalisées. Elles ne seront donc pas présentées ici par manque d'information sur leur association à la résistance à l'INH. Finalement, une majorité des résistances à l'INH observées dans les isolats cliniques résulte d'une mutation de KatG96 et donc de l'absence d'activation du médicament. En effet, la

prodrogue n'étant plus activée, les adduits INH-NAD ne se forment pas et il n'y a donc plus d'inhibition des cibles qui entrainait la mort des mycobactéries. Des molécules capables d'inhiber ces cibles, en particulier InhA, sans nécessiter d'étape d'activation par KatG, représenteraient un grand intérêt dans la lutte contre la tuberculose MDR (multi-drug resistant).

IV.2. Mutation dans inhA

Outre les mutations dans le gène katG, les mutations dans le gène inhA peuvent elles aussi rendre compte de la résistance à l'INH.

Des mutations ont été retrouvées soit dans la région codante du gène inhA, soit dans son promoteur (le plus couramment identifié).

Une mutation dans la région de sur-régulation de inhA va entraîner une surexpression de l'enzyme InhA et induire une résistance à l'INH par un mécanisme de titration.97 La mutation la plus commune sur le promoteur d'inhA est la -15C→T. Cependant, cette mutation seule, sans mutations dans katG, n'est associée qu'à une faible résistance à l'INH.98,99 Les trois autres

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mutations au niveau du promoteur d'inhA les plus souvent identifiées sont les -8T→A/C, -17→T et -22G→C.84,99

Plusieurs substitutions d'acides aminés ont aussi été identifiées à partir d'isolat cliniques de patients infectés par des bactéries résistantes (Tableau 1).

Substitution d'acides aminés Paires de base changées Ile16Thr Ile21Val Ile47Thr Val78Ala Ser94Ala Ile95Pro Ile194Thr ATC→ACC ATC→GTC ATT→ACT GTG→GCG TCG→GCG ATT→CCT ATC→ACC

Tableau 1 : Mutations et acides aminés modifiés sur InhA.84,100

Bien sûr, aucune de ces mutations dans le gène inhA n'a été rencontrée sur des souches sensibles à l'INH. L'ensemble de ces mutations résulte d'une simple substitution d'acides aminés localisés à l'intérieur ou proche du site de fixation du NADH. Les acides aminés Ile16 et Ile47 sont du coté du motif adénosine mais ne sont pas en interaction directe avec le NADH. L'Ile21 est en interaction, par liaison hydrogène, avec un atome d'oxygène du pont diphosphate. La Ser94 intervient par un réseau de liaisons hydrogènes ordonnées bien organisées avec une molécule d'eau (eau 501) qui interagit elle aussi avec un atome d'oxygène du pont diphosphate. L'Ile95 interagit avec l'hydroxyle en 3' du ribose du nicotinamide alors que l'Ile194 forme des liaisons hydrogènes avec la fonction amide du nicotinamide (Figure

11).

Les enzymes mutantes Ile16Thr, Ile21Val, Ile47Thr, Ser94Ala, Ile95Pro et Ile194Thr ont été produites et purifiées pour réaliser des études cinétiques. Toutes ont montré des caractéristiques communes :100,101

- La diminution de l'affinité de InhA pour le NADH (augmentation du Km NADH de 2 à 12 fois ;

le Km (µM) est égal à 56 ± 4 ; 149 ± 10 ; 104 ± 7 ; 243 ± 25 ; 662 ± 11 pour InhA WT ;

Ile16Thr ; Ile21Val ; Ile47Thr et Ile95Pro respectivement).

- Par contre, la vitesse de réduction du substrat énoyl-ACP n'est pas affectée. Vmax est

inchangée, sauf pour le mutant Ile95Pro où 85% de réduction est observée. - L'enzyme possède toujours une activité catalytique mais celle-ci est réduite.

57 ILE 47 ILE 16 GLY 14 ILE 21 ILE 95 SER 94 ILE 194 H2O 501 NAD 3,2 Å ILE 47 ILE 16 GLY 14 ILE 21 ILE 95 SER 94 ILE 194 H2O 501 NAD 3,2 Å

Figure 11 : Structure du complexe InhA-NAD, 58 sont représentés les acides aminés retrouvés

dans des isolats cliniques de patients atteints par une tuberculose INH-résistante.

De plus, l'étude de la cinétique d'inactivation d'InhA WT (Wild Type, natif), Ile21Val et Ile95Pro par l'INH activé par KatG a montré une diminution de la vitesse d'inactivation pour les mutants par rapport à l'enzyme native.

Dans le mutant Ser94Ala, un réseau de liaison hydrogène entre l'enzyme et le NADH disparaît, ce qui a pour conséquence d'augmenter le Km pour le NADH (KmInhA WT = 8 ± 1 µM

et Km InhA Ser94Ala = 38 ± 2 µM). De plus, l'inhibition du mutant ne peut avoir lieu qu'en

augmentant la concentration en NADH.22,55,58

Afin de comparer les mécanismes moléculaires soulignant l'affinité du ligand (NADH) pour InhA WT, Ile21Val et Ile16Thr et d'identifier les aspects moléculaires rendant compte des résistances, des simulations de dynamique moléculaire ont été réalisées.102 Bien que très flexible, au sein du complexe InhA WT-NADH, la molécule de NADH garde une conformation étendue solidement liée au site de fixation du NADH. Par contre, dans les complexes avec les mutants, le motif pyrophosphate subit un changement conformationnel important, réduisant les interactions avec le site de liaison et indiquant probablement la phase initiale d'expulsion du ligand de la cavité.

Des études cristallographiques et cinétiques sur les mutants Ser94Ala, Ile47Thr et Ile21Val, réalisées par Oliveira et al103 ont montré elles aussi, que la différence structurale la plus importante était localisée dans le site de liaison du NADH. De plus, les constantes de vitesse de dissociation du NADH sont entre 5 et 11 fois plus grandes pour les mutants que pour l'enzyme native (kWT = 6,1 ± 0,4 s-1 ; kIle21Val = 68 ± 1 s-1 ; kIle47Thr = 30 ± 2 s-1 et kSer94Ala

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Cependant, Rawat et al avait montré en 2003, que bien que la constante de dissociation pour l'interaction entre le NADH et InhA augmente beaucoup pour les mutant Ile21Val, Ile47Thr et Ser94Ala par rapport à l'enzyme WT, il n'y a pas d'altération significative d'affinité entre les adduits INH-NAD et les enzymes.24

Dans l'étude du mécanisme catalytique d'InhA, le mutant Tyr158Phe a montré une diminution importante de l'activité catalytique de l'enzyme.104,105 Mais surtout, cette mutation engendre une diminution importante de la sensibilité à l'INH et l'augmentation de la concentration en NADH ne permet pas de récupérer l'inactivation de l'enzyme. De plus, le mutant Tyr158Phe lie le NADH plus fortement que l'enzyme WT. Dans ce mutant, qui n'a jamais été observé sur des isolats cliniques, la résistance à l'INH ne vient probablement pas de la diminution de la liaison du NADH.

Les mutants Ala124Val et Met161Val d'InhA, corrélés à la résistance de M. smegmatis au triclosan (inhibiteur d'énoyl-ACP réductase, largement employé comme antibactérien dans de nombreux produits d'utilisation quotidienne cf. V.2.1.), ont aussi été étudiés par Parikh et al.104,105 Dans une étude in vitro d'inactivation par les adduits INH-NAD, il a été montré que ces mutants sont moins sensibles à l'INH que l'enzyme WT. Ceci laisse envisager que les mutations résultant de la surexposition au triclosan pourraient compromettre l'efficacité in vivo de l'INH comme antituberculeux.

Comme nous l'avons vu, une grande partie des mutations d'InhA liées à une résistance à l'INH sont localisées dans le site de fixation du cofacteur. Des molécules capables d'inhiber InhA mutée, c'est-à-dire ayant moins d'interaction avec le fond de la poche de fixation du NADH (vers l'adénosine diphosphate) mais d'autres affinités, seraient de bons candidats pour de nouveaux antituberculeux.