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CHAPITRE II : SYNTHESE DES INHIBITEURS DE TYPE BISUBSTRAT

IX. Inhibition de la croissance de mycobactéries

Mycobacterium smegmatis mc2155

Après des tests encourageants sur l'enzyme InhA, la capacité des composés 103, 106, 107,

108, 109, 110, 119, 122 et 125 (Figure 28) à inhiber la croissance mycobactérienne a été

évaluée sur la souche mc2155 de M. smegmatis, espèce non pathogène, en utilisant un test colorimétrique de réduction du MTT (bromure de 3-(4,5-diméthylthiazol-2-yl)-2,5-diphényl- 2H-tétrazolium). Ce colorant jaune est réduit par une réductase de la mycobactérie en cristaux de formazan de couleur violette, qui peuvent être dosés par spectrophotométrie (570 nm) après solubilisation. La quantité de formazan formée est proportionnelle à la quantité de bactéries vivantes dans les échantillons.

N NH O HO Br N NH O HO OH N NH O HO O N NH O HO O 11 10 N NH O HO 7 N NH O HO 6 N NH O HO 10 N NH O HO O O Br N O O NH2 O O 9 N O NHNH2 O Cl Cl OH Cl 103 107 106 119 109 110 INH 108 122 125 Triclosan

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Les résultats (variation de l'absorbance en fonction de la concentration en inhibiteur) sont représentés sur la Figure 29.

0 0,2 0,4 0,6 0,8 0,01 0,1 1 10 Concentration (mM) D O 570n m Sans bactéries DMSO 103 109 110 107 106 119 0 0,2 0,4 0,6 0,8 0,0001 0,001 0,01 0,1 1 10 Concentration (mM) D O 570 n m Sans Bactéries DMSO INH 108 122 125 Triclosan

Figure 29 : Evaluation de l'activité antimycobactérienne des composés de type bisubstrats.

Le triclosan et l'INH ont été testés comme témoins, les concentrations trouvées de 1,4 µM et de 8 µM, respectivement, pour inhiber 50% de la croissance de M. smegmatis sont en accord avec les données décrites dans la littérature.

Les expériences ont montré que tous les composés ont inhibé la croissance mycobactérienne sauf l'hémiamidal 103, qui est le composé le plus proche de la famille de composés de première génération (analogues simplifiés de l'adduit INH(BH)-NAD), qui n'avait pas montré d'activité. Il ne montre aucune activité jusqu'à 5 mM.

Les hémiamidals 106, 107 et 110 ont en effet montré une activité inhibitrice mais à des concentrations assez élevées. Une inhibition de 50% de la croissance mycobactérienne a été observée pour une concentration de l'ordre de 1,3 mM pour le 106, de 1,8 mM pour le 110 et

121 de 300 µM pour le 107. Ces concentrations sont tout de même beaucoup plus élevées que la CI50 de l'INH qui est de 7,8 ± 0,6 µM.

L'ensemble des composés restants ont tous été actifs et ont pu être séparés en deux catégories. La première comporte les hémiamidals 109 et 119 qui ont montré 50% d'inhibition de croissance pour des concentrations de 50 µM et 68 µM respectivement, ces valeurs restent tout de même assez éloignées de la CI50 de l'INH (un facteur 10). La deuxième catégorie,

l'hémiamidal 108, le sel 122 et le DHP 125 ont tous présenté des activités comparables à celle de l'INH (7,8 µM) avec des concentrations pour inhiber 50% de la croissance bactérienne égales à 4,5 µM, 3,2 µM et 5,4 µM respectivement.

Ces résultats montrent que seuls les composés de types bisubstrats ont une activité antimycobactérienne. Ils pourraient être classés comme des analogues simplifiés des adduits INH-NAD. Il est important de noter que dans la famille de dérivés de type bisubstrat, seul l'hémiamidal 110 n'a pas présenté d'activité intéressante. Très probablement, la rigidité de la structure a fait chuter l'activité.

Cependant une différence importante d'activité subsiste entre les hémiamidals 109 et 119 (activité moyenne) d'un côté et les composés 108, 122 et 125 de l'autre (excellente activité). Une fois de plus le sel et la DHP, molécules les plus proches des adduits INH-NAD, ont présenté une très bonne activité inhibitrice de la croissance bactérienne, comme pour l'inhibition d'InhA. Par contre, l'hémiamidal 108 n'a présenté aucune activité vis-à-vis d'InhA mais s'est comporté comme un très bon antibactérien. La cible moléculaire de cette molécule est certainement différente. Il en est de même pour l'hémiamidal 109. Cependant, dans tous les cas, ces composés sont plus actifs sur la croissance des mycobactéries que sur InhA isolé, InhA ne semble pas être la seule cible moléculaire de ces composés.

Pour essayer de comprendre un peu mieux le mécanisme d'action de ces différents inhibiteurs nous avons réalisé des tests de sélectivité en les utilisant sur différentes souches de bactéries.

Sélectivité

Les composés qui ont montré une activité à moins de 100 µM sur M. smegmatis, c'est-à- dire les composés 109, 119, 108, 122 et 125, ont ensuite été testés sur d'autres souches de bactéries. Les deux témoins INH et triclosan ont eux aussi été gardés pour ces tests approfondis.

La première souche qui a été testée est Escherichia coli DH5α. Elle va permettre de déterminer la sélectivité de nos composés. Sont-ils sélectifs vis-à-vis des mycobactéries ou

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bien inhibent-ils aussi la croissance de bactéries plus communes comme E. coli. Il faut aussi noter que E. coli possède une énoyl-ACP réductase.

La souche suivante est Corynebacterium glutamicum. En plus de donner des renseignements sur la sélectivité, elle peut donner des indications sur la cible moléculaire des composés. En effet, les bactéries appartenant à cette souche présentent la particularité de ne pas posséder de cycle d'élongation FAS-II dans la biosynthèse des acides gras. Il n'y a donc pas d'homologue d'InhA dans C. glutamicum. Les composés actifs principalement sur InhA ne devraient pas inhiber la croissance de C. glutamicum. Les composés actifs sur cette souche de bactéries auront obligatoirement une autre cible que le système FAS-II. Comme nous l'avons vu, probablement d'autres cibles qu'InhA sont visées, mais font elles ou non partie du système FAS-II?

Nous avons déterminé la CI50 des composés suivants sur les trois souches bactériennes M.

smegmatis, E. coli et C. glutamicum : 109, 119, 108, 122 et 125 ainsi que pour les deux témoins l'INH et le triclosan. Les CI50 de tous ces composés sur les trois souches sont

représentées sur la Figure 30.

1 10 100 1000 10000 CI 50 µM M. smegmatis C. glutamicum E. coli INH Concentration maximale testée 108 109 119 122 125 1 10 100 1000 10000 CI 50 µM M. smegmatis C. glutamicum E. coli INH Concentration maximale testée 108 109 119 122 125

Figure 30 : Diagramme des CI50 des composés INH, 108, 109, 119, 122, 125 sur M.

smegmatis, E. coli et C. glutamicum.

Les CI50 du triclosan sont volontairement absentes de ce diagramme pour éviter un

problème d'échelle. Les valeurs pour le triclosan sont donc 1,0 ± 0,1 µM, 2,4 ± 0,2 µM et 35 ± 4 nM pour M. smegmatis, C. glutamicum et E. coli respectivement. Ces valeurs confirment

123 que le triclosan est un bon agent antibactérien. Il est actif sur toutes les bactéries que nous avons étudiées mais ne présente aucune sélectivité.

Ces résultats confirment ceux obtenus précédemment sur M. smegmatis en les affinant. Trois composés ont une meilleure CI50 que l'INH alors que les deux autres ont des valeurs une

décade au dessus.

Comme attendu, l'INH ne présente aucune activité sur C. glutamicum ni sur E. coli à 5 mM.

D'une manière générale, les inhibiteurs de type bisubstrat ont été beaucoup moins actifs sur E. coli que sur M. smegmatis et C. glutamicum, les hémiamidals 109 et 119 ne présentent même aucune activité inhibitrice à 5 mM. La sélectivité est très bonne avec ces trois souches bactérienne. La CI50 pour le dérivé 108 a elle aussi été très élevée, 3,5 mM, alors que la CI50

sur M. smegmatis a été de 4,6 µM. Dans ce cas, la sélectivité a aussi été excellente. Par contre, les composés 122 et 125 ont été moins sélectifs, mais la différence de CI50 entre les deux

souches est tout de même restée d'une et de deux décades respectivement. Bien que pour le sel la sélectivité semble assez faible, elle reste très correcte pour la DHP.

De la famille des inhibiteurs de type bisubstrat, seule l'hémiamidal 119 n'a présenté aucune activité inhibitrice de la croissance de C. glutamicum. Tous les autres composés, présentent une CI50 ≤ 10 µM. Il semble donc évident que pour tous ces composés, la cible

moléculaire ne peut pas être seulement InhA. Ces inhibiteurs, ne touchent pas exclusivement le cycle d'élongation FAS-II de la biosynthèse des acides mycoliques lors de l'inhibition de croissance de mycobactéries. D'ailleurs, il est aussi connu que les adduits INH-NAD inhibent d'autres cibles qu'InhA.

Par contre la molécule hémiamidal 119 paraît très intéressante, dans la mesure, où elle est la seule à présenter à la fois une activité inhibitrice d'InhA et de M. smegmatis sans inhiber la croissance des autres bactéries. Les résultats obtenus semblent indiquer que la cible de l'hémiamidal 119 soit bien InhA. En effet, cette molécule n'a pas été capable d'inhiber C. glutamicum qui ne possède pas d'équivalent d'InhA. Cette incapacité à inhiber la croissance de cette souche, pourrait venir de la non pénétration de la paroi, nous avons donc comparé la lipophilie relative (paramètre important dans l'activité antimycobactérienne) des différents composés testés. Des valeurs théoriques de logP (P : coefficient de partage entre l'octanol et l'eau) ont été calculées selon la méthode de fragmentation (de Crippen178 et de Viswanadhan179) (Tableau 5). Le logP du 122 n'a pas pu être déterminé par ces techniques.

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Les valeurs sont comprises entre 5 et 6 pour les quatre molécules de type bisubstrat. Le composé 119 est le seul à ne pas inhiber la croissance de C. glutamicum, cependant cela ne peut pas venir d'une mauvaise pénétration (si elle se fait par une diffusion passive) car tous les autres composés de type bisubstrat ont une activité inhibitrice avec des coefficients de partage supérieur et inférieur selon les molécules.

Produits logP (Crippen) logP (Viswanadhan) INH 108 109 119 125 Triclosan -0,64 4,88 6,55 5,93 5,69 4,86 -0,44 5,04 6,62 5,92 5,26 4,75

Tableau 5 : logP théorique de l'INH, des composés 108, 109, 119, 125 et du triclosan.

Un autre aspect intéressant de cette molécule 119 est sa sélectivité. En effet, elle a été capable d'inhiber la croissance de M. smegmatis qui présente InhA mais pas d'inhiber la croissance d'E. coli qui pourtant possède une énoyl-ACP réductase FabI différente d'InhA. Ces résultats sont contraires à ceux du triclosan qui lui a une bien meilleure activité sur E. coli, ce qui est cohérent avec la littérature.180 Le composé 119 est beaucoup plus sélectif que le triclosan.

Mycobacterium tuberculosis H37rv

L'ensemble de ces composés 108, 109, 119, 122 et 125, a également été testé sur l'inhibition de croissance de M. tuberculosis (espèce pathogène) par Patricia Constant à l'Institut de Pharmacologie et Biologie Structurale à Toulouse.

Les résultats présentés ici sont préliminaires et doivent encore être confirmés. La concentration nécessaire pour inhibiber 50% de la croissance de M. tuberculosis ainsi que la CMI sont représentées dans le Tableau 6.

Le triclosan et l'INH ont été testés comme témoins. La CMI du triclosan trouvée est de 2 µg/mL, sur M. tuberculosis est en accord avec les données décrites dans la littérature.124 La

CMI de 0,08 µg/mL pour l'INH est elle aussi en accord avec les données de la littérature.124

Cependant, les expériences réalisées jusqu'à présent n'ont pas permis de déterminer la concentration nécessaire pour inhiber 50% de la croissance mycobactérienne.

125 Composés Inhibition 50% croissance (µM) CMI (µg/mL) [µM] INH 108 109 119 122 125 Triclosan ND 4 4 20 6 5 2 0,08 [0,6] 6,8 [20] 5,9 [15] 32,8 [80] 11,2 [20] 4,8 [10] 2,0 [7]

Tableau 6 : Concentration pour inhiber 50% de la croissance de M. tuberculosis et CMI pour

les composés 108, 109, 119, 122, 125, INH et triclosan. (ND : non déterminé).

L'ensemble de ces composés bisubstrats testés semble avoir une bonne activité inhibitrice de la croissance de M. tuberculosis. Les concentrations pour inhiber 50% de la croissance mycobactérienne des composés 108, 109, 122 et 125 sont relativement proches de celle du triclosan. Comme sur M. smegmatis, le 119 présente une concentration pour inhiber 50% de la croissance mycobactérienne un peu plus élevée mais tout de même assez faible. Toutes les activités observées sur M. smegmatis ont été retrouvées sur M. tuberculosis. Cependant ces résultats doivent encore être confirmés.

X. Conclusion

Nous avons réussi à synthétiser trois nouvelles séries de molécules basées sur le principe d'inhibiteurs de type bisubstrat. Une série pyridine, une série sel de pyridinium et une série 1,4-DHP ont été obtenues dans cette approche. Nous avons associé de façon covalente les motifs chimiques du substrat et du cofacteur au sein de la même molécule.

Cette approche s'est révélée fructueuse. En effet, pour la première fois, nous avons réussi à obtenir des molécules présentant une activité inhibitrice d'InhA. Des inhibiteurs ont été identifiés dans les trois séries types étudiées.

De plus une grande partie des molécules de type bisubstrat ont aussi présenté une activité antimycobactérienne. Bien qu'un lien entre ces deux activités n'ait pas pu être montré, ces molécules présentent un intérêt dans le développement de nouveaux médicaments antituberculeux. En particulier le composé 119 qui est le seul à présenter une bonne activité inhibitrice à la fois d'InhA et sur la croissance des mycobactéries tout en faisant preuve d'une bonne sélectivité.

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L'évaluation de l'inhibition de la croissance de M. tuberculosis par les molécules 108,

109, 119, 122 et 125 doit être confirmée mais les premiers résultats montrent une bonne

inhibition, les expériences sont en cours de réalisation. Actuellement l'étude de la toxicité de ces composés est également testée (prévue) sur des cellules eucaryotes (cellules monocitaires humaines THP-1). Des tests sur une souche mycobactérienne résistante à l'isoniazide sont également envisagés.

La conception de nouvelles molécules de type bisubstrat pourrait permettre de parfaire les relations structure-affinité. L'étude du mécanisme d'action et la détermination des cibles moléculaires pourraient donner des renseignements capitaux pour le développement de nouveaux antituberculeux.

CHAPITRE III : ETUDE DE L'EQUILIBRE