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III. L'isoniazide

III.2. Cibles moléculaires de l'INH activé

III.2.3. Autres cibles (KasA et DHFR) et effets pléiotropiques

Cibles spécifiques :

™ La protéine KasA

Une autre cible potentielle de l'INH, impliquée dans la biosynthèse des acides mycoliques a été révélée en 1998 par Mdluli et al77. Il s'agit de la β-cétoacyl-ACP synthase KasA, qui tout comme InhA et MabA fait partie du système FAS-II (Schéma 1). Ces chercheurs ont mis en évidence la formation d'un complexe tri-moléculaire constitué d'INH, de KasA et d'AcpM (petite protéine chargée du transport des chaînes d'acide gras en élongation, on parle alors "d'acyl carrier protein" ou ACP). Il a été proposé que l'INH activé sous forme isonicotinoyle soit lié de façon covalente à l'AcpM.

51 Ces travaux permettent d'expliquer en partie certains points expérimentaux restés sans réponse, comme l'accumulation d'acides gras saturés lorsqu'InhA est inhibée ou le fait que les mutations dans les gènes de katG et inhA, ne sont pas à elles seules suffisantes pour justifier toutes les résistances observées.

Cependant, si d'une part il semble bien que l'INH activé se lie au complexe KasA, d'autre part il n'y a pas actuellement de démonstration expérimentale d'une activité inhibitrice sur cette protéine ni d'une induction de la mort de la bactérie par un tel mécanisme.78

™ L'enzyme dihydrofolate réductase (DHFR)

Il a récemment été montré que l'adduit ouvert INH-NADP 11 (4R) (Figure 10) était capable d'inhiber la dihydrofolate réductase DHFR de M. tuberculosis.79

O O N N N N NH2 O P O P O N O NH2 O N OH OH O OH O O OH OH H P O HO OH 11 4

Figure 10 : Adduit INH-NADP 11 (4R).

La DHFR est une enzyme indispensable à la biosynthèse des acides nucléiques. En effet, son rôle physiologique premier est le maintien du niveau intracellulaire en tétrahydrofolate, un des précurseurs des cofacteurs requis pour la biosynthèse des purines, pyrimidines et divers aminos acides.80

L'adduit INH-NADP 11 (4R) est un inhibiteur subnanomolaire de la DHFR de M. tuberculosis. La structure cristalline de la DHRF de M. tuberculosis complexée avec cet adduit révèle les bases structurales de cette inhibition.79

Cibles non spécifiques : effets pleiotropiques

En plus de l'inhibition spécifique de la synthèse des acides mycoliques qui constitue la composante majeure de l'action de l'INH, il existe d'autres évènements, directement ou non liés à la présence de la prodrogue, étant pour la plupart postérieurs à la perte de l'intégrité membranaire et dont les effets additifs accélèrent la lyse bactérienne.

Bien que l'INH soit une prodrogue, il est cependant parfois capable d'inhiber certaines métallo-enzymes. Cette action directe de l'INH est due à sa capacité à complexer certains métaux comme le fer ou le cuivre et donc par extension à chélater le métal de certaines

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métallo-enzyme avec pour conséquence une limitation ou une disparition de leur activité. Ce phénomène a été observé pour le cytochrome P450,51 enzyme essentielle dans les phénomènes de détoxification. L'analyse de composés structurellement voisins de l'INH indique que la partie hydrazine et le noyau aromatique sont tous deux nécessaires à la complexation et donc à l'inhibition.

Cependant, les métallo-enzymes d'autres espèces de bactéries ou d'origine animale sont susceptibles de subir le même phénomène : il n'est donc pas spécifique aux mycobactéries. De plus, d'autres hydrazides comme l'hydrazide de l'acide nicotinique sont d'aussi bons chélateurs que l'INH sans en posséder l'activité antituberculeuse.

Une fois formées, les espèces intermédiaires radicalaires, issues du métabolisme oxydatif de l'INH comprenant à la fois les dérivés transitoires de la prodrogue et les radicaux libres (tels que OH•, H•, O2•-), constituent des composés potentiellement actifs contre les diverses et

multiples cibles intrabacillaires. Leurs interactions engendrent des dommages irréversibles sur les macromolécules et contribuent alors à la mort de la bactérie. Ainsi, des effets variés résultant de l'interaction avec des protéines ou des acides nucléiques ont été décrits.35 Ce

phénomène est bien admis pour les dérivés de l'hydrazine, connus pour être des substances mutagènes et cancérigènes via leur métabolisation oxydative in vivo.52

De plus, les radicaux générés au cours de l'oxydation de l'INH peuvent dégrader l'hème de la peroxydase, indiqué par la disparition de la bande de Soret et des bandes mineures dans la région visible du spectre UV-visible.81 Ceci induit la perte de l'activité catalase de la catalase- peroxydase, traduit par une surconcentration de H2O2 intracellulaire. En présence de plusieurs

catalases (catalase et catalase-peroxydase, par exemple), comme c'est le cas chez les bactéries saprophytes et atypiques,82 l'inhibition de l'une d'entre elles n'est pas suffisante pour conduire au même phénomène que chez M. tuberculosis, n'en possédant qu'un seul type. La molécule H2O2 n'étant que peu toxique, les dommages qu'elle crée sont imputables pour l'essentiel à sa

réduction en présence de FeII pour donner des radicaux hydroxyles HO• (réaction de Fenton). Ce constat peut en partie expliquer la spécificité d'action de l'INH vis-à-vis des mycobactéries qui ne possèdent qu'un seul type de catalase.

D'autres évènements indirects, comme la formation de pigments colorés (jaune), ont été révélés par Youatt.35 Ces pigments, dont la nature chimique exacte n'a pas encore été élucidée, résulteraient de l'oxydation de l'INH, uniquement en présence de NAD(H). Ces pigments ne sont pas observés lorsque le gène katG est muté (phénotype INH-résistants) ou lorsque d'autres hydrazides ou antibiotiques sont utilisés.

53 Cependant, l'implication de ces pigments en tant qu'agents responsables de l'activité bactéricide de l'INH semble peu probable. En effet, ils ne sont observés que pour des concentrations en INH bien supérieures à la CMI (de 100 à 1000 fois) et uniquement pour des bacilles poussant sur certains milieux nutritifs.

Certains des produits d'oxydation stables de l'INH, comme l'acide isonicotinique,83 peuvent altérer le métabolisme normal des bactéries. L'acide isonicotinique est très similaire structurellement à l'acide nicotinique, un précurseur important du NAD(H). A pH intrabacillaire (pH ~ 6,5), il est presque complètement ionisé (pKa = 4,8) et ne peut donc plus quitter la cellule. Son accumulation peut conduire à la production d'iso-NAD(H), comme cofacteur non-fonctionnel de multiples systèmes enzymatiques. Un tel phénomène d'inhibition n'a été détecté que tardivement après le traitement par l'INH.

Bien sûr, d'autres évènements ont été décrits, mais en l'absence d'éléments expérimentaux décisifs permettant une vision générale du rôle de l'INH, ils ne seront pas discutés ici.