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III. L'isoniazide

III.1. Activation de l'INH et formation des adduits INH-NAD

III.1.1. Activation enzymatique de l'INH par la catalase-peroxydase KatG

La protéine KatG

Le rôle essentiel de la protéine KatG dans l'action de l'INH contre M. tuberculosis a été partiellement révélé peu de temps après l'introduction de l'INH dans les thérapies antituberculeuses, lors des phénomènes de résistance. Lorsque que Middlebrook a isolé les premiers mutants de M. tuberculosis résistants à l'INH à partir de patients traités avec de l'INH en monothérapie, il a observé que la plupart des mutants hautement résistants avaient perdu leur activité catalase-peroxydase.38

Ce n'est que 40 ans plus tard, en 1992, que la base moléculaire de ces observations a été comprise. La découverte du gène katG qui code l'enzyme KatG de M. tuberculosis a permis à Zang et al39 d'expliquer la relation entre résistance à l'INH et perte de l'activité catalase-

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peroxydase. Ils ont démontré que la sensibilité à l'INH pouvait être restaurée par introduction du gène katG sauvage dans une souche INH-résistante, catalase-peroxydase-déficiente. Ainsi la protéine KatG est indispensable à la sensibilité à l'INH qu'elle permet d'activer, cette étape d'activation étant obligatoire pour provoquer la mort bactérienne.

™ Structure

Dans sa forme native, la protéine KatG de M. tuberculosis est, en solution aqueuse, sous forme d'un dimère constitué de deux sous-unités identiques de 82 kDa chacune, soit un enchaînement de 744 acides aminés. Elle appartient à la classe des hydroperoxydases I ou catalase-peroxydase40 qui possède au sein de la même enzyme les activités catalase et peroxydase. Ce type d'enzyme est distinct des catalases et peroxydases dites typiques qui ne possèdent qu'une seule activité catalytique par enzyme.

La catalase-peroxydase n'est pas spécifique aux mycobactéries et existe dans de nombreux microorganismes procaryotes sans qu'ils soient spécialement sensibles à l'INH.

Les propriétés catalytiques de ces enzymes sont liées à la présence du motif hème dans le site actif : un ion fer(III) est complexé par un macrocycle tétrapyrrolique, la protoporphyrine IX. Cette hémoprotéine fait intervenir une espèce fer-oxo de haut degré d'oxydation dans son cycle catalytique. De plus, il a été montré que l'hème est à cheval sur les deux sous-unités protéiques et que le fer possède une histidine comme ligand axial.41

™ Fonction

Cette enzyme joue un rôle déterminant dans la réponse au stress oxydatif. Ce stress peut résulter de la génération continue d'espèces réactives de l'oxygène et/ou de l'azote par la bactérie elle-même et/ou par l'environnement dans lequel vit la bactérie. Chez M. tuberculosis la protéine KatG revêt une importance particulière car elle protège le bacille contre les effets délétères des espèces réactives produites par l'hôte. Elle permet alors la survie du bacille parasite en dégradant ces espèces nocives. Il a en effet été montré que KatG protège M. tuberculosis aussi bien contre H2O2 que contre les peroxydes organiques.41

KatG peut fonctionner selon les deux modes catalase et peroxydase qui sont détaillés dans le Schéma 4. Nous utiliserons les notations classiques de composés I et II pour décrire les états successifs de l'enzyme.

Dans le mode catalase (Schéma 4 : voie 1 (R = H) et 2), KatG possède une forte activité catalytique41 et joue un rôle classique mais néanmoins clé dans le contrôle de la concentration de l'eau oxygénée dans les compartiments cellulaires. Son action permet d'éliminer H2O2 par

37 réaction de dismutation en O2 et en H2O, là où elle n'est pas nécessaire ou bien est en excès.

M. tuberculosis est une bactérie aérobie stricte et a besoin de H2O2 comme cofacteur des

réactions catalysées par les peroxydases.

L'eau oxygénée est obtenue par réduction d'oxygène moléculaire prélevé dans le milieu environnant. Le transfert d'un électron vers l'oxygène moléculaire forme l'anion superoxyde O2•- qui est rapidement dismuté en O2 et H2O2. La réduction à un électron de H2O2 peut

conduire à la formation du radical hydroxyle HO• extrêmement réactif et très toxique (Réaction de Fenton). Ces espèces radicalaires peuvent s'additionner sur des biomolécules comme l'ADN ou les protéines et entraîner des dégâts irréversibles sur le métabolisme de la mycobactérie. De plus c'est aussi par ce mécanisme via H2O2 que les bacilles phagocytés à

l'intérieur des macrophages sont détruits. Le contrôle de la quantité de H2O2 est donc

nécessaire pour la survie du bacille dans les macrophages.

N N N N FeIII His KatG au repos N N N N FeIV His O N N N N FeIV His O + Composé I Composé II KatG au repos KatG au repos ROOH ROH 1 2 4 3 H2O2 H2O + O2 AH H+ + A H2O + A AH + H+

Schéma 4 : Cycle catalytique physiologique de KatG avec AH comme substrat ; mode

catalase 1 et 2 avec R = H ; mode peroxydase 1, 3 et 4.

Dans le mode peroxydase (Schéma 4 : voie 1, 3 et 4), KatG fonctionne comme une peroxydase à large spécificité,41 capable d'accepter les électrons d'une grande variété de donneurs tels que l'o-diasinidine ou le NAD(P)H et les utilise pour réduire H2O2 en H2O.42 Par

ce biais, la catalase-peroxydase joue un rôle de régulateur métabolique dans de nombreux systèmes enzymatiques NAD(P)H-dépendants en contrôlant le rapport du cofacteur réduit/oxydé.43 Enfin l'activité peroxydase de KatG est nécessaire pour activer l'INH, probablement en radical isonicotinoyle et par conséquent pour inhiber la synthèse de la paroi bactérienne (comme nous le verrons plus tard).

KatG est donc une enzyme bifonctionnelle avec un seul site actif, capable de catalyser de manière sélective deux réactions très différentes (effet catalase ou oxydation peroxydasique).

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Les mécanismes d'oxydations de l'INH

Il est maintenant bien établi que l'INH est une prodrogue et requiert une activation intracellulaire pour former une espèce active avant d'exercer un effet toxique sur les bacilles tuberculeux. C'est la catalase peroxydase KatG qui est responsable de cette oxydation. Cette particularité permet un ciblage spécifique des microorganismes à détruire, car eux seuls possèdent le matériel enzymatique nécessaire à l'activation de l'INH. Ceci permet de minimiser les effets secondaires potentiels dus aux dommages engendrés sur les cellules de l'hôte.

Le mécanisme de l'activation oxydante de l'INH par KatG demeure encore un sujet à débat du fait de la multiplicité des activités catalytiques de l'enzyme.

KatG est une enzyme multifonctionnelle et polyvalente capable, en plus de sa fonction primaire de détoxification, d'activer l'INH selon plusieurs modes. Toutefois, malgré de nombreux travaux, les données actuelles de la littérature ne permettent pas de désigner avec certitude la voie d'activation préférentielle suivie par M. tuberculosis pour oxyder l'INH. En effet, selon les conditions expérimentales in vitro, KatG semble adapter son activité et les résultats obtenus ne sont pas toujours comparables. Le point sur lequel tout le monde s'accorde est qu'in vivo, la bactérie est placée dans un environnement complexe, comportant différentes variables (pH, présence de métaux, …), susceptible d'influencer directement le mode de fonctionnement de KatG.

Les différentes voies proposées pour décrire l'oxydation de l'INH par KatG sont les suivantes :

™ La voie catalase-peroxydase.41,44 ™ La voie cytochrome "P450 like".43,45 ™ La voie superoxyde-dépendante.46,47 ™ La voie manganèse-peroxydase.48-50

Il faut noter que de nombreux système enzymatiques ont été utilisés comme modèle d'étude du mécanisme d'oxydation de l'INH pour suppléer à la disponibilité problématique de la protéine KatG : le cytochrome P450,51 la prostaglandine synthase,52 la myéloperoxydase,53 la peroxydase de raifort (HRP).52 Enfin, des systèmes non enzymatiques basés sur l'oxydation de l'INH catalysée par des métaux (MnII le plus souvent) en présence d'oxygène moléculaire ont également été utilisés,45,48,49 ainsi que, au laboratoire, l'oxydation par un complexe de MnIII mimant l'activité manganèse-peroxydase de KatG (cf. paragraphe III.1.2.)

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Les produits d'oxydation de l'INH

™ Les espèces intermédiaires réactives

L'activation de l'INH conduit à la formation d'espèces activées responsables des effets bactéricides.

Lors de son activation, l'INH passe par des intermédiaires réactionnels radicalaires et ioniques avant de conduire à des produits d'oxydation stables. Ces produits, bien identifiés (acide isonicotinique, isonicotinamide, isonicotynaldéhyde (Schéma 5) et 4-pyridylméthanol), ne présentent pas, à concentration physiologique, de toxicité pour M. tuberculosis ni d'activité inhibitrice de la synthèse des acides mycoliques (cible majeur de l'INH). Par contre les espèces intermédiaires radicalaires et ioniques sont toxiques et non spécifiques dans la mesure ou elles sont capables d'alkyler des macromolécules (protéines, saccharides, lipides ou acides nucléiques).35,44

La formation d'un radical isonicotinoyle a été mise en évidence comme espèce réactive dans l'action bactéricide de l'INH (Schéma 5).44 Ce radical apparaît comme l'intermédiaire principal de l'oxydation de l'INH et est très probablement impliqué dans la formation de(s) l'espèce(s) responsable(s) des effets bactéricides ou bactériostatiques.54

N O HN NH2 Isoniazide N O Radical isonicotinoyle + N O X

-OH ac. isonocontinoique -NH2 isonicotinamide

-H isonicotinaldéhyde X =

Oxydation par KatG

Espèces non bactéricides

N O HN NH

Schéma 5 : Produits et intermédiaires clés de l'oxydation de l'INH.

™ Formation des adduits INH-NAD

La proposition de mécanisme par lequel l'INH inhibe probablement InhA est "indirecte". Après activation par KatG, la forme activée de l'INH se lie de façon covalente au NAD(H) et un composé d'addition l'adduit INH-NAD est formé (Schéma 6).

40 O O N N N N NH2 O P O P O N O NH2 O N OH OH OH OH O O OH OH N O HN NH2 Isoniazide Espèce active de l'INH Oxydation par KatG Adduit INH-NAD NAD(H) Schéma 6.

La prodrogue n'interagit pas directement avec l'enzyme, mais seulement à travers cet adduit covalent qui serait le véritable responsable de l'inhibition compétitive d'InhA. La démonstration de l'existence d'un complexe InhA-adduit INH-NAD a été obtenue par résolution de la structure cristalline aux rayons X et études en spectrométrie de masse d'un tel complexe (Figure 6).55

Figure 6 : Contacts moléculaires entre le site actif d'InhA et l'adduit INH-NAD(H) d'après

Sacchettini.55 Les chiffres représentent la distance (en angströms) entre les atomes sélectionnés (Ph = atome de phosphore).

En raison de sa localisation et de son orientation le motif isonicotinoyle interagit bien avec les chaînes latérales des acides aminés du site actif. En effet, la chaîne latérale de la Phe149, par une rotation de 90°, forme un stacking de type π-π avec le cycle pyridine de l'adduit INH-NAD. Ce nouvel arrangement structural du site actif augmente l'affinité d'InhA pour l'adduit INH-NAD (estimée à 100 nM56 ou 0,5 nM57 selon les auteurs; cet écart a été

41 expliqué par un mécanisme de type slow tight binding,24 comme nous le verrons dans le paragraphe III.2.1) par rapport au NADH (KmNADH = 8 µM58 ou 66 µM24).

Les données de la spectrométrie de masse de cet adduit sont en accord avec les résultats cristallographiques puisqu'ils font état d'un incrément supplémentaire de masse de 106 (m/zadduit = 770 et m/zNADH = 664) correspondant au motif isonicotinoyle ajouté.55-57

Le complexe stœchiométrique InhA-adduit INH-NAD montre un pic d'absorption à 278 nm et un épaulement vers 326 nm, avec un rapport caractéristique A326/A278 de 0,16.57

Dans l'adduit INH-NAD, la configuration du carbone en position C4 du motif nicotinamide est 4S ; c'est-à-dire que le motif isonicotinoyle occupe la même face que l'hydrure transféré lors la réduction du substrat (trans-énoyl-ACP) par le NADH.22,55,56

L'inhibiteur INH-NAD libre possède un pic d'absorption à 260 nm (

ε

260 = 27 000 M-1.

cm-1) caractéristique des groupements aromatiques (adénine, pyridine) et un pic compris entre

326 et 333 nm (

ε

326 = 9600 M-1. cm-1) caractéristique du motif dihydropyridine.56,57

™ Mécanisme de formation des adduits INH-NAD

Il y a quelques années, trois hypothèses ont été envisagées dans la littérature pour expliquer la formation de ces adduits INH-NAD : la première voie impliquait une réaction d'addition de type ionique entre le dérivé NAD+ et le carbanion acyle de l'INH, la deuxième supposait une réaction d'addition radicalaire entre le NAD• et le radical isonicotinoyle alors que la troisième mettait en jeu une réaction d'addition "hybride" entre le cation NAD+ et le radical isonicotinoyle suivie d'une étape de réduction à un électron pour conduire aux adduits INH-NAD.

Parmi les trois scénarios proposés, pour la formation de ces adduits, ce sont les voies impliquant le radical isonicotinoyle qui sont les plus admises aujourd'hui.

En 1998, Sacchettini est le premier à soutenir la deuxième voie.55 Pour cela, il se base sur des études montrant que l'inhibition INH-dépendante d'InhA est plus rapide en présence de NADH que de NAD+.59,60 De plus, il avance l'hypothèse que la formation du radical NAD• peut être catalysée par la protéine InhA ou par le MnII/O2, ce dernier étant capable d'effectuer

une telle réaction avec l'INH.

Un an plus tard, Wilming et Johnsson56 proposent que l'addition du radical isonicotinoyle se fasse directement sur la forme oxydée du cofacteur (NAD+) et soit suivie d'une réduction du radical cation pour donner les adduits INH-NAD (Schéma 7). Des expériences de formation des adduits INH-NAD en absence d'InhA ont conduit à l'observation de quatre

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isomères de même masse 770 par chromatographie liquide de haute performance couplée à la spectrométrie de masse (HPLC-SM). Deux isomères peuvent être logiquement attendus correspondant à l'attaque du radical isonicotinoyle sur l'atome C4 du NAD+ en solution sur les faces re et si du noyau nicotinamide. Pour expliquer la formation des autres produits, Wilming et Johnsson ont proposé l'hypothèse d'un stacking entre la purine et la partie isonicotinoyle ou d'une hydratation de la fonction cétone. Nous verrons dans le paragraphe suivant une explication proposée dans notre équipe mettant en jeu une cyclisation intramoléculaire. O O N N N N NH2 O P O P O N O NH2 O N OH OH OH OH O O OH OH N O HN NH2 Isoniazide N O Radical isonicotinoyl Oxydation par KatG ou MnII / O 2 1) NAD+ 2) +1e- Adduits INH-NAD H 4

Schéma 7 : Mécanisme de formation des adduits INH-NAD proposé par Wilming et

Johnsson.56