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III. L'isoniazide

III.2. Cibles moléculaires de l'INH activé

III.2.1. Inhibition de l'enzyme InhA

Takayama et al69 ont été les premiers à montrer l'existence d'une corrélation directe entre l'action de l'INH et la perturbation du métabolisme des acides mycoliques.70

Plus tard, la cible enzymatique de l'INH a été identifiée par des études génétiques en utilisant un mutant de M. smegmatis INH-résistant et co-résistant à un antituberculeux structurellement voisin : l'éthionamide (ETH).71 L'approche était basée sur l'idée que l'INH et

l'ETH inhibent une cible commune et que la résistance aux deux molécules impliquait obligatoirement une altération de cette cible. Le mutant M. smegmatis INH- et ETH-résistant isolé possède une mutation dans le gène inhA responsable de la substitution Ser94Ala dans l'enzyme InhA. De plus, la surexpression du gène sauvage inhA confère aussi la co-résistance. Ces découvertes ont conduit Banerjee et al à conclure que la résistance à l'INH peut se produire soit en augmentant la concentration de la cible InhA, soit en altérant la cible, qui n'est plus inhibée par l'INH activé. Dans les deux cas, la biosynthèse des acides mycoliques se déroule normalement.

Cette étude, ainsi que la mise en évidence biochimique du rôle d'InhA dans l'élongation des acides gras et/ou la synthèse des acides mycoliques22 concourt à lier "inhibition de la synthèse des acides mycoliques" avec "inhibition d'InhA".

Des études récentes67 utilisant une méthode de "transduction linkage" spécialisée ont permis de transférer, dans M. tuberculosis, l'allèle Ser94Ala d'InhA avec un seul point de mutation à l'intérieur du gène inhA. Cet allèle InhA Ser94Ala est suffisant pour conférer un niveau significatif de résistance à l'INH aussi bien en empêchant la mort des mycobactéries que l'inhibition de la biosynthèse des acides mycoliques. Cette résistance corrélée à la diminution de l'inhibition d'InhA par les adduits INH-NAD et les analyses cristallographiques montrant la perte d'un réseau de liaisons hydrogènes (Figure 6) diminuant l'affinité, leur a permis d'établir qu'InhA était une cible primaire pour l'action de l'INH dans M. tuberculosis.

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La protéine InhA

La protéine InhA est en solution sous forme d'un tétramère, constitué de quatre sous- unités identiques de 28,5 kDa chacune (plus précisément 28368 Da) avec un coefficient d'extinction molaire ε280 = 37,3 ± 0,2 mM-1. cm-1. La protéine est douée d'une activité énoyl-

ACP réductase NADH-dépendante, c'est-à-dire que chaque sous-unité peptidique possède un site actif capable de fixer une molécule de NADH et une molécule de substrat énoyl-acyl carrier protein (ACP). De plus, il existe un ordre de fixation préférentiel : le NADH se fixe en premier suivi par le substrat à réduire.22

La cible de l'INH, comme mentionnée ci-dessus, est une énoyl-ACP réductase NADH- dépendante qui est codée par le gène inhA. Dans son mode de fonctionnement physiologique, l'enzyme InhA catalyse spécifiquement la réduction de la double liaison trans en position 2 des substrats à longue chaînes (C16 ou plus) énoyl thioester (Schéma 8).22,58

N NH2 ADP-ribose O Hs Hr S O C8C16 H NH2 Lys165 NADH N NH2 ADP-ribose O S O C8C16 NH2 Lys165 H H AH NAD+ N NH2 ADP-ribose O S O C8C16 NH2 Lys165 H H InhA C8-C16 énoyl-ACP 4 3 ACP ACP ACP

Schéma 8 : Mécanisme de réduction du substrat catalysée par l'énoyl-ACP réductase

NADH-dépendante InhA d'après Quémard et al.22

Ce mécanisme chimique implique le transfert stéréospécifique de l'hydrure 4S du NADH sur la position C3 (en β du carbonyle) du substrat 2-trans-énoyl-ACP, suivi de la protonation en C2 de l'intermédiaire énol. Les produits issus de cette catalyse sont alors utilisés par la bactérie pour former des acides mycoliques à très longues chaînes (C40 à C60), qui sont des éléments indispensables à l'édification de la paroi mycobactérienne.15,20

Etude de l'inhibition

Comme nous l'avons observé précédemment, la protéine InhA constitue une cible de l'INH car elle est inhibée par les adduits INH-NAD. La disponibilité de cette enzyme obtenue par génie génétique a permis de nombreuses études mécanistiques.

47 La réaction d'inhibition d'InhA par l'INH (en réalité par les adduits INH-NAD formés secondairement) peut être réalisée in vitro en utilisant l'enzyme purifiée.41,59,60

™ Principe

InhA est une réductase NADH-dépendante des substrats énoyl-ACP et consomme donc du NADH pour leur réduction. Cette dernière est aisément suivie par spectroscopie UV- visible, par décroissance de l'absorption à 340 nm de la forme réduite du cofacteur (NADH). Si un inhibiteur compétitif est présent, il se lie au site actif d'InhA et empêche le fonctionnement normal de l'enzyme. La consommation de NADH est suspendue et l'absorbance à 340 nm ne décroit pas.

Des tests d'inhibition ont été réalisés dans lesquels l'INH est activé par MnII/O2 en

présence de NADH et d'InhA. Cette inhibition a la particularité d'être lente, il faut en effet cinq heures de préincubation pour observer une perte d'activité d'environ 80%. L'addition de KatG accélère l'inhibition d'InhA (environ 2 h pour 80% d'inhibition) éventuellement via un processus d'oxydation du MnII en MnIII de type manganèse peroxydase.49

D'autres tests ont été réalisés en préformant les adduits, afin de vérifier qu'ils se forment en absence d'InhA.56 Des tests ont aussi été réalisés au sein du laboratoire, sur un pool d'adduits préformé via l'activation de l'INH par du pyrophosphate de MnIII et purifié avant utilisation.63 Certains adduits ont même pu être testés séparément, comme les adduits cycliques majoritaires 3 et 4 qui ont été testés indépendamment.

™ Affinité des adduits INH-NAD pour InhA

Les constantes d'affinités mesurées diffèrent selon les auteurs : Kd < 0,4 nM pour Lei et

al57 et KI = 100 ± 50 nM pour Wilming et Johnsson.56 Tonge propose une inhibition de type

"slow-binding",24 c'est-à-dire un premier complexe EI (Enzyme-Inhibiteur) se forme rapidement et se transforme lentement en un second complexe EI* (Enzyme-Inhibiteur*) ou l'inhibiteur est beaucoup plus fortement lié à l'enzyme. Il détermine ainsi une première constante K-1 = 13 nM qui représente la fixation initiale faible et une deuxième constante

globale qui prend en compte la fixation plus lente et plus forte de l'inhibiteur : Ki = 0,75 nM.

La CI50 du pool d'adduits déterminée au laboratoire est de 1 à 2 µM,63 ce qui est cohérent avec

les résultats précédents. Les adduits séparés ont des pouvoirs inhibiteurs différents. En effet, les deux adduits cycliques majoritaires 3 et 4 ont pu être séparés et testés individuellement. Le composé 3 est plus actif que le 4, il a donc été proposé une configuration 4S pour le 3 et 4R

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pour le 4, sur la base des données cristallographiques.55 Par contre les adduits oxydés 7/8 sont dépourvus d'activité inhibitrice sur InhA.56

Il est intéressant de signaler que récemment Rawat et al ont publié que l'adduit BH-NAD (Figure 9), dérivé de l'hydrazide de l'acide benzoïque et non de l'INH, est aussi un bon inhibiteur d'InhA.24 Le remplacement du motif pyridine par un phényle ne semble pas affecter l'activité de l'adduit. O O N N N N NH2 O P O P O N O NH2 O OH OH OH OH O O OH OH H

Figure 9 : Structure de l'adduit BH-NAD

™ Lieu de formation des adduits INH-NAD

Le lieu de formation des adduits INH-NAD fait encore l'objet de débat : au sein du site actif de l'enzyme InhA, au sein du site actif de l'enzyme KatG ou en dehors?

Sacchettini55 propose que la préfixation du NADH dans le site actif d'InhA précède et oriente l'addition de la forme activée de l'INH. Son argumentation repose sur les constatations suivantes :

- Le phénotype de résistance à l'INH peut être causé par une mutation dans le gène inhA, réduisant l'affinité de l'enzyme pour le NADH, principalement par la substitution d'un acide aminé situé dans le site de fixation du NADH. C'est par exemple le cas du mutant Ser94Ala58 qui se distingue du sauvage par une différence d'affinité pour le NADH (8 µM pour WT contre 32 µM pour Ser94Ala), alors que les autres paramètres enzymatiques ne sont pas altérés de manière significative (Vmax par exemple).

- Dans la situation d'un phénotype sauvage, la plupart des enzymes InhA comportent statistiquement une molécule de NADH liée au site actif.

- L'inhibition du mutant InhA Ser94Ala se produit uniquement si la concentration en NADH est augmentée,72 ce qui implique une corrélation entre la capacité de l'enzyme à fixer le NADH et à être inhibée par l'INH activé.

Cependant, la diminution d'affinité d'InhA pour le NADH implique probablement une diminution d'affinité pour l'adduit INH-NAD, ce qui expliquerait plus simplement les observations ci-dessus.

49 En 1999, Wilming et Johnsson56 proposent que la formation des adduits INH-NAD se déroule à l'extérieur du site actif d'InhA et par réaction avec NAD+ au lieu de NADH. Ils observent en effet une inhibition d'InhA par des adduits préformés en absence de l'enzyme. De plus, dans des conditions physiologiques, NAD+ est le plus souvent à l'extérieur du site actif de InhA (KmNAD+= 4 mM),

22 facilitant l'attaque de l'INH activé. Les adduits INH-NAD

résultants, du fait de leur forte affinité pour InhA (Ki INH-NAD < Km NADH < Km substrat énoyl-ACP < +

NAD m

K )58 entraînent l'inhibition compétitive de l'enzyme. Par contre, pour les mutants inhA à phénotype INH-résistant, la résistance n'est pas liée intrinsèquement à la mutation elle-même, puisque l'adduit est formé à l'extérieur, mais à la diminution de la quantité de NAD+ intracellulaire. Il a en effet été observé que certains de ces mutants possédaient aussi une défaillance dans le fonctionnement des NADH-déhydrogénases73 et conduisant à la surexpression de la protéine fixant le NAD+.74 La chute de la quantité de cofacteur oxydé NAD+ disponible conduirait donc à une raréfaction des adduits menant à la co-résistance à l'INH et à l'éthionamide.

La possibilité de préformer le (ou les) inhibiteur(s) en absence d'InhA ainsi que la faible durée de vie du radical isonicotinoyle semblent être des arguments décisifs pour invalider l'hypothèse de formation des adduits à l'intérieur du site actif d'InhA. Une étude récente vient accentuer l'invalidation de cette théorie. Singh et al ont démontré que KatG a une activité NADH-oxydase et que KatG a en plus de son activité d'hydrazinolyse de l'INH, un rôle direct dans la formation des adduis INH-NAD.75 En effet, l'analyse des produits formés lors de son fonctionnement en présence d'INH et NADH, a montré que se sont les adduits INH-NAD et le NAD+ qui sont majoritairement retrouvés.