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362 Nature des réseaux et formes induites du développement La section précédente a fourni de nouveaux éléments idéaltypiques du fonctionnement

des compagnies théâtrales : appartenance à et constitution de réseaux privilégiés, en partie réalisés selon la dialectique de l'essaimage par nomadisme ou/et de la sédentarisation par implantation.

32/ Pour une introduction générale à ces mutations désormais bien engagées, voir par exemple les

descriptions et argumentations très documentées présentées dans Manuel Castells La société en réseaux

On soulignera désormais combien les environnements singuliers, les arbitrages opérés, le partage même des moyens disponibles à propos de ces trois vecteurs génériques (réseau, nomadisme, sédentarité) ne relèvent pas d'un simple dosage de variables discrètes, qui ne changerait fnalement rien à la structure et la dynamique de l'entreprise. L'architecture même de la triangulation concrète, qui peut connaître de très fortes transformations au fl du temps, aboutit plutôt à des situations structurelles qualitativement distinctes pour chaque cas particulier d'organisation. Selon la nature de cette triangulation - ancienne, qui s'établit déjà ou qui va s'établir dans les prochaines saisons -, c'est l'ensemble du projet de la compagnie (artistique - d'entreprise) qui se trouve dans les faits fondamentalement polarisé.

A ce propos, les cas étudiés permettent d'illustrer certaines tensions récurrentes de cette triangulation, et tout particulièrement entre la situation réelle de l'entreprise et ses désirs de développement.

Le fort apport direct ou indirect des Collectivités Territoriales, comme les subventions diverses pour des opérations particulières sur un territoire donné, ne font que souligner la nécessité incontournable pour les compagnies théâtrales de mettre en oeuvre une forte stratégie de développement local. Certes, cet aspect fait souvent partie intégrante du projet général de l'organisation, qui peut y gagner une réelle multiplication et intensifcation de son réseau de partenaires privilégiés locaux.

La question stratégique complémentaire qui se pose alors concerne l'incidence de cette situation sur les possibilités et modalités de développement de la compagnie au-delà de son territoire privilégié d'implantation, et pour le moins sur la nature du rapport dialectique à établir entre activités locales et réseaux élargis de partenaires en France, voire à l'étranger (deux visées territoriales au moins implicitement présentes dans la plupart de nos exemples).

Aporie habituelle, pourrait-on dire, en ce qui concerne les compagnies théâtrales indépendantes disposant d'un ancrage territorial affrmé, dialectique dynamisable ou contradiction irréductible ? Cette situation exige de chaque compagnie de préciser et mettre en oeuvre une stratégie singulière, pouvant par exemple aller d'une alternance dans le temps de périodes de sédentarisation / périodes de nomadisme, à la mise en place d'un festival ou de rencontres où l'entreprise devient centre d'accueil - ressource pour d'autres organisations.

D'autres freins à l'essaimage des activités d'une organisation sont évocables, par exemple quand le réseau de partenaires qui peut accueillir les spectacles d'une compagnie est essentiellement constitué de groupements ou organismes de proximité (dont ceux avec lesquels un travail d'implication dans le processus créatif est en cours ou a pu être mené). Et quand ces organisations relèvent des secteurs socio-culturels, éducatifs ou sociaux, la capacité de médiatisation élargie des productions artistiques de la compagnie s'en trouve souvent d'emblée restreinte. Non seulement parce que ces organisations n'ont généralement elles-même qu'une audience localisée, des moyens d'accès souvent limités aux média offciels, une capacité induite faible de développer l'information par d'autres réseaux que ceux de voisinage immédiat. Mais aussi, parce que joue encore très fortement dans notre pays une de ces césures idéologiques et institutionnelles, déjà mentionnée et particulièrement sensible depuis la fn des années 1960, qui maintient à distance ce qui se fait dans les associations civiles locales et les équipements sociaux ou de quartier d'une part, ce qui se fait dans les équipements "artistiques" généralement plus lourds d'autre part.

Entre une réelle médiation de proximité, qui constitue d'ailleurs un des fondements irréductibles du spectacle vivant33, et la diffculté constamment renouvelée d'accès à de plus

nombreuses opportunités de diffusion, on peut alors comprendre le "sentiment d'injustice" qui s'entend dans nombre de commentaires des équipes permanentes de certaines compagnies. Sentiment de relégation sociale, où les compagnies devraient déjà être contentes

33/ Beaucoup de raisonnements sur la fréquentation des théâtres par les publics ne font qu'appliquer

des méthodes de mesure et d'interprétation adaptés dans le meilleur des cas aux média industriels n'exigeant pas la proximité physique des artistes et des publics. Comme le montre le travail de nombreuses compagnies ou de centres culturels territorialement impliqués, ce n'est pas en essayant de mobiliser des techniques visant des fux quantitativement forts d'audience qu'on arrive à remplir à longueur d'année des salles de spectacle dont la taille permet justement une relation proximale intense.

des aides et de la reconnaissance partielle qu'elles ont obtenues ; sentiment d'être désormais bloqués par une structure politique et intellectuelle où les banlieues, par exemple, permettent de recréer les frontières néo-coloniales d'un "bled", circonscrit et juste retenu chaque année de se désintégrer totalement : les formulations disent parfois sans détour l'excès du mépris ressenti et, de fait, subi.

En défnitive, cette question de la nature des réseaux auxquels participe ou qu'a pu constituer une organisation donnée est largement déterminante non seulement vis-à-vis du type et de l'intensité de développement qu'elle peut espérer, mais encore du mode et du niveau de fnance-ment qu'elle pourra réaliser.

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