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53 Entre nomadisme et sédentarité, la question de la nature et de la variété des partenaires privilégiés

A - Le fait de disposer d'un théâtre équipé à Stains, ainsi que les liens contractuels très forts avec la Municipalité de cette ville, renforcent la dimension de sédentarité de la compagnie. Les partenaires privilégiés de l'entreprise sont ainsi d'abord des organismes publics ou para-publics ainsi que des associations civiles de proximité.

Cette situation est intimement liée aux choix fondamentaux de la compagnie. Elle a aussi pour conséquence de limiter les capacités d'essaimage, au-delà de l'environnement proche, de ses activités. On a par ailleurs souligné combien la première phase de conception et d'élaboration des créations induit des temps importants à consacrer à des groupes locaux particuliers, ce qui ne fait que surdéterminer le caractère de nomadisme limité de la compagnie.

Hors de toute position de valeur ou de tout a priori idéologique concernant la question de l'équilibre pertinent pour telle ou telle compagnie théâtrale entre ancrage sédentaire et essaimage nomade, la dynamique propre au Studio Théâtre de Stains limite de fait ses capacités de tournée.

Mais cette limitation est renforcée par la nature du réseau de partenaires qui souhaitent accueillir les spectacles de la compagnie. Il est en effet signifcatif que ce sont d'abord les groupements ou organismes de proximité, avec lesquels un travail d'implication dans le processus créatif est en cours ou a pu être mené, qui constituent la base des potentialités de tournée. Comme ces organisations relèvent surtout des secteurs socio- culturels ou sociaux, la capacité de plus grande médiatisation des productions artistiques s'en trouve restreinte. Non seulement parce que ces organisations n'ont généralement elles- même qu'une audience localisée, des moyens d'accès souvent limités aux média offciels, une capacité induite faible à développer l'information par d'autres réseaux que ceux de voisinage immédiat. Mais aussi, parce que joue encore très fortement dans notre pays une de ces césures idéologiques et institutionnelles particulièrement sensible depuis la fn des années 1960, qui maintient à distance ce qui se fait dans les associations civiles locales et les équipements sociaux ou de quartier d'une part, ce qui se fait dans les équipements "artistiques" généralement plus lourds d'autre part.

Il est signifcatif qu'aucun organisme relevant d'une mission de service public de production - diffusion théâtrale n'apparaisse comme partenaire privilégié de la compagnie. On notera que ce phénomène ne se limite pas à ses environnements extra-régionaux, mais qu'il joue déjà dans tous ses environnements proximaux (en Seine-Saint-Denis notamment).

B - On peut alors comprendre le "sentiment d'injustice" qui s'entend dans nombre de commentaires des membres de la compagnie. On peut a contrario souligner que l'entreprise dispose d'un réel capital symbolique de par la cohérence, la longévité, la réalité de ses réalisations. C'est donc la question de ses capacités, même restreintes, de valorisation élargie de ce capital qui mérite d'être posée.

Loin de toute prétention à quelque "solution" que ce soit, on peut noter qu'un document annuel, descriptif et de synthèse sur la nature et la réelle intensivité des ateliers- rencontres comme des actions culturelles (dont le festival du jeune théâtre) pourrait être utile comme support de médiatisation locale ou plus élargi. Nous avons de même suggéré dans la section précédente combien les singularités esthétiques du travail accompli nous semblent importantes à souligner.

Remarquons aussi que cette question n'est pas propre à cette entreprise. A titre d'exemple, signalons la tentative de médiatisation collective que plusieurs compagnies organisent au printemps 1998, à partir des locaux dont disposent le Théâtre de l'Opprimé à Paris et le Théâtre du Fil à Savigny-sur-Orge autour du thème des "Théâtres de l'autre" (si le Studio Théâtre de Stains ne donne pas de représentations dans le cadre de cette programmation collective, dans la mesure où sa nouvelle création "Stigmates" se déroule sur la même période, celle-ci est mentionnée dans le tract d'annonce de la manifestation).

Quoi qu'il en soit, le monde du théâtre (et plus largement le monde artistique) est organisé depuis longtemps selon une dynamique de réseau. Et la nouvelle société informationnelle qui s'affrme comme le nouveau mode de production dominant de nos sociétés dites post-industrielles ne fera probablement qu'intensifer et rendre encore plus radicalement déterminants la constitution de réseaux et l'intensifcation de leurs logiques, tout comme le développement d'organisations fexibles que ces dynamiques impliquent.

C - Nous pensons que cette dernière question ne peut être seulement identifée et rabattue à celle, par ailleurs incontestable, d'une nouvelle modalité émergente du capitalisme (qui, dialectiquement, se développe en effet grâce à la structuration fexible de réseau que permettent les innovations et les intégrations technologiques récentes). Dit autrement, ce qui pouvait encore être considéré jusqu'à peu comme un mode de production et de fonctionnement singulièrement structurant pour les mondes de l'art devient progressivement et avec de nouvelles formes la dynamique dominante de nos sociétés.

Les organisations théâtrales se trouvent alors, individuellement et collectivement, face à un double déf. Non seulement, elles ont chacune à constituer, développer, reformer constamment leur propre réseau de partenaires privilégiés. Mais elles ont également à inventer de nouvelles formes de mise en réseau - collaboration dans un environnement sociétal (notamment de médiatisation) en train d'être structurellement modifé.

D'un point de vue stratégique et pragmatique, la problématique contemporaine que chaque organisation théâtrale a aujourd'hui à résoudre renvoie alors aux choix fondamentaux d'orientation, à l'articulation possible, au partage des moyens disponibles entre trois et non pas deux vecteurs de fonctionnement et de développement :

la sédentarisation impliquée par un ancrage local et territorial fort ;

l e nomadisme impliqué par la diffusion, l'essaimage du projet et des activités (tournées de spectacle ou/et implantations temporaires et diversifées, par exemple) ;

l'appartenance à des réseaux, où ce n'est pas d'abord la localisation, mais le fux d'informations et les possibilités de coopération qui comptent.

Alternance dans le temps entre sédentarisation et nomadisme, mise en interconnexion de diverses organisations locales ou plus éloignées, participation à de véritables réseaux vis- à-vis desquels le lieu d'ancrage de la compagnie peut simultanément avoir une fonction de "serveur" et de "destinataire". Ce qui différencie de plus en plus les projets, les fonctionnements des entreprises théâtrales, leurs modes de valorisation sociale tient désormais pour une large part, pensons-nous, à la combinaison possible et réalisée de ce genre d'éléments, selon l'alchimie que chaque organisation veut ou peut mettre en oeuvre dans les années qui viennent.

Pour le moins, ce qu'on vient de dire renforce la place absolument décisive de ce que nous avons appelé la fonction transversale de coordination - gestion générale. Loin d'apparaître comme une simple fonction technicienne ou d'accompagnement, elle se révèle pour chaque entreprise comme un des lieux majeurs du projet et de sa concrétisation. Et ce, tant dans les arbitrages qu'elle prend et les coopérations qu'elle génère au sein même de l'entreprise, que dans ceux qu'elle permet de développer avec différents partenaires de son environnement.

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