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361 La question centrale des partenaires et réseaux privilégiés La question de la promotion et du développement des compagnies théâtrales est

souvent explorée, de prime abord, selon la dialectique sédentarité par implantation locale / essaimage par nomadisme extensif. Même si cette question a une réelle pertinence, les cas étudiés montrent qu'il faut d'abord la resituer par rapport à une autre qui touche à la nature de s partenaires privilégiés et des réseaux auxquels appartient une organisation donnée. C'est en effet ceux-ci qui déterminent très concrètement les capacités de réalisation de l'entreprise.

A - De ce point de vue, la problématique stratégique et pragmatique que chaque organisation théâtrale a aujourd'hui à résoudre renvoie aux choix fondamentaux d'orientation, à l'articulation possible, au partage des moyens disponibles entre trois et non pas deux vecteurs de fonctionnement et de développement.

1 - L'appartenance à des réseaux et pour le moins la concrétisation d'un réseau de partenaires privilégiés. A ce niveau, ce n'est pas tant la localisation, mais le fux d'informations et les possibilités de coopération entre l'entreprise et d'autres organisations qui comptent au premier rang.

2 - Le nomadisme impliqué par la diffusion, l'essaimage du projet et d'abord des activités (tournées de spectacle ou/et implantations temporaires et diversifées, par exemple). D'une certaine façon, la logique de réseaux et de partenaires privilégiés implique toujours une nécessité minimale de mobilité. Mais celle-ci est amplifée dans le cas des compagnies théâtrales ne disposant pas localement d'un public potentiel suffsamment étendu, phénomène historique que ne fait que renforcer la concurrence contemporaine accrue de l'offre disponible de spectacles.

3 - La sédentarisation, impliquée par un ancrage local, social et territorial, fort. Outre les justifcations liées au projet général de l'organisation (en particulier dans sa dimension de travail approfondi avec des populations données), force est de constater que cet aspect s'est développé dans notre pays en parallèle avec la montée en puissance des Collectivités

Territoriales comme partenaires fnanciers de plus en plus incontournables en ce qui concerne le développement culturel 30.

Alternance dans le temps entre sédentarisation et nomadisme, mise en interconnexion de diverses organisations locales ou plus éloignées, participation à de véritables réseaux vis- à-vis desquels le lieu d'ancrage de la compagnie peut simultanément avoir une fonction de "centre ressource" et de "lieu destinataire".... Ce qui différencie de plus en plus les projets des entreprises théâtrales, leurs fonctionnements, leurs modes de valorisation sociale tient sans doute pour une large part à la combinaison possible et réalisée de ce genre d'éléments, à l'alchimie que chacune de ces organisations veut ou peut mettre en oeuvre au fl des années.

B - Les différents cas étudiés confrment que la nature, l'extensivité et l'intensivité des partenaires privilégiés et des réseaux correspondants constituent le socle non seulement des capacités de développement de l'entreprise, mais encore des stratégies, possibles et/ou à mettre en oeuvre, de promotion de son activité.

A un premier niveau d'analyse, deux types de partenaires et de réalités, souvent pour bonne partie liés dans le cas du système culturel français, sont à prendre en considération :

1 - La nature et l'extension géographique des partenaires privilégiés avec lesquels des actions et projets particuliers peuvent être élaborés et mis en oeuvre : organismes éducatifs, sociaux, artistiques de proximité, lieux d'accueil et de diffusion de spectacles, organismes culturels permettant des implantations provisoires ou plus approfondies... C'est avec et selon les partenaires possibles de ce premier type que l'entreprise va pouvoir ou non développer son activité. De ce point de vue, nos cas illustrent une des césures les plus problématiques qui se sont inscrites depuis quelques décennies dans le paysage français, selon que les actions menées le sont ou non avec des organismes relevant explicitement du champ artistique et culturel au sens restreint (et qui relèvent centralement, sur le plan de la tutelle d'Etat, du ministère de la Culture) 31.

La césure assez "sèche" qui perdure aujourd'hui (et dont les cas étudiés sont exemplaires) est en effet celle qui distingue socialement les entreprises ayant pu s'inscrire dans ce champ artistique et culturel restreint de celles qui n'ont jusqu'ici pu mener leurs actions qu'auprès d'organismes relevant d'autres champs, dont l'éducatif et le social (avec des ministères de tutelle autres que celui de la Culture). A ce sujet, nous n'hésiterons pas à énoncer que la valorisation et la notoriété sociales qu'une organisation théâtrale peut acquérir dans notre pays (pour en rester à ce niveau territorial) dépend d'abord et davantage de cette distinction sociale que de l'évaluation approfondie de ses singularités esthétiques réellement constatables (sur cette notion, voir supra, sections 331 et 332).

On retrouve ici une dynamique plus générale repérée par certaines théories qui montrent que la réussite d'une innovation provient moins de ses qualités et valeurs intrinsèques que de ses capacités à avoir su mobiliser pour et autour d'elle tout un véritable réseau d'"alliés".

2 - La nature et le poids des commanditaires - fnanceurs centraux, qui dans le cas français sont très majoritairement constitués par les différentes Collectivités Publiques et la pluralité des organismes d'impulsion et de gestion qui leur sont associés. Si le niveau de subvention varie très fortement selon les cas étudiés - d'environ 30 (N) à pratiquement 90% (S) du budget réalisé -, c'est seulement de différents niveaux de Collectivités Publiques (du niveau de la Municipalité à celui de l'Union Européenne) que proviennent ces fnancements indispensables pour la vie et le développement des entreprises considérées. A contrario donc, nulle trace d'un quelconque mécénat privé.

30/ Rappelons à ce sujet que les Municipalités sont dans notre pays les Collectivités Publiques qui, de

loin, participent le plus au fnancement public de la création artistique et des pratiques culturelles. Pour une présentation globale de cette question, voir Pierre Moulinier, Politique culturelle et

décentralisation, Editions du CNFPT, 1995, 304 p.

31/ Pour une mise en perspective de cette question dans une description systémique plus large du

champ théâtral dans notre pays, on pourra se reporter à notre article, « L'organisation du théâtre professionnel en France : une scène socio-économique à étudier de près et à adapter », Art. cit.

Les subventions, qualitativement déterminantes, du ministère de la Culture (via les DRAC) représentent quant à elles entre 7,5 (P) et 16% (S) du budget des compagnies étudiées. Mais par rapport au total des subventions publiques reçues, la part des DRAC peut varier d'autour 15% (P, S) à un peu plus de 40% (N).

C - Mais à un niveau plus général d'analyse, il doit être souligné que si le monde du théâtre (et plus largement le monde artistique) est organisé depuis longtemps selon une dynamique de réseau, la nouvelle société informationnelle qui s'affrme de plus en plus comme le nouveau mode de production dominant de nos sociétés dites post-industrielles ne fait, quels que soient nos jugements de valeur à ce propos, qu'intensifer et rendre encore plus radicalement décisif la constitution de réseaux et l'intensifcation de leurs logiques, tout comme le développement d'organisations fexibles que ces dynamiques impliquent 32.

Nous pensons d'ailleurs que cette question ne peut être seulement identifée et rabattue à celle, par ailleurs incontestable, d'une nouvelle modalité émergente du capitalisme (qui, dialectiquement, se développe en effet grâce à la structuration fexible de réseau, permise par les innovations et intégrations technologiques récentes). Dit autrement, ce qui pouvait encore être considéré jusqu'à peu comme un mode de production et de fonctionnement singulièrement structurant pour les mondes de l'art devient progressivement la dynamique dominante de nos sociétés, sous des formes nouvelles qui en retour modifent radicalement et structurellement l'ensemble de tous nos fonctionnements (dont artistiques et culturels).

Les organisations théâtrales se trouvent alors, individuellement et collectivement, face à un double déf. Non seulement, elles ont chacune à constituer, développer, reformer constamment leur propre réseau de partenaires privilégiés. Mais elles ont également à inventer de nouvelles formes de mise en réseau - collaboration dans un environnement sociétal (dont de médiatisation) en train d'être profondément et structurellement modifé. Rien de moins évident pour les compagnies. On a déjà souligné (supra, section 352) la nécessité de (re)mobilisation d'un réseau particulier de partenaires - diffuseurs pour chaque nouvelle création. On peut également évoquer les réelles diffcultés auxquelles se heurtent de nos jours les compagnies dans leurs diverses tentatives de mise en réseau un tant soit peu opérante : manque de temps, et plus généralement moyens affectables la plupart du temps dérisoires ; globalité et fottement des objectifs, incapacité d'autant plus grande à embrayer sur le réel que les esthétiques ou les modes d'organisation des compagnies concernées ont peu d'évidentes "compatibilités" entre elles, ou ne sont pas réellement pris en considération ; jusqu'à sentiment d'"opportunisme - kleenex" parfois, face à des comportements d'abord préoccupés par la survie personnelle. Autant d'indices que la nécessité renouvelée de constituer - appartenir à des réseaux n'a rien de facile ou d'évident.

Quoi qu'il en soit, ce qu'on vient d'évoquer renforce la place absolument décisive dans les entreprises de ce que nous avons appelé la fonction transversale de coordination - gestion générale et des stratégies de communication, médiation, développement dont cette fonction a centralement la charge. Loin d'apparaître comme une simple fonction technicienne ou d'accompagnement, elle se révèle pour chaque organisation comme un des lieux majeurs de son projet général et de ses concrétisations possibles. Et ce, tant dans les arbitrages qu'elle prend et les coopérations qu'elle génère au sein même de l'entreprise, que dans ceux qu'elle permet de développer avec différents partenaires de son environnement.

362 - Nature des réseaux et formes induites du développement

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