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51 Un projet artistique structuré autour de plusieurs choix forts A Une des fortes singularités du projet artistique de la compagnie est d'exemplifer la

nature composite du phénomène théâtral et de son esthétique. En effet, que ce soit dans les variations autour du terme de "nada", dans l'énoncé des objectifs, dans le contenu des actions proposées, apparaît constamment l'idée d'une ouverture à plusieurs disciplines artistiques, d'une évolution de l'esthétique particulière à Nada par croisement d'apports artistiques différenciés, ou encore de partenaires artistiques issus de différents modes ou genres artistiques.

Certes, un ancrage historique fort est signalé du côté du théâtre d'objets, ou plus précisément de la place dynamique de l'objet dans l'événement scénique et des relations induites aux publics. De même, la dimension gestuelle est souvent mentionnée comme centrale.

Mais l'enjeu prioritaire porte fnalement sur la "spécifcité du langage théâtral contemporain", avec la mise en oeuvre d'une recherche qui voudrait tenir compte des singularités de tous les différents "matériaux-langages" que sont les mots, les sons, la lumière, les matières et les objets, la corporalité et le jeu de l'acteur.

Croisement, détournement, frottement, franchissement des frontières, fuite, géométrie variable... : les termes métaphoriques abondent, qui renvoient à cette visée de combinaison - métissage qu'on voudrait n'être jamais "fxée", toujours reprise et ouverte, et dont on s'interdit même, semble-t-il, de hiérarchiser les différentes composantes.

Il n'est pas surprenant que référence soit alors faite à une théâtralité qui se sent plus à l'aise avec des formes et des ambiances "élisabéthaines" plutôt que "jansénistes". Il y a là comme la recherche d'une sorte d'option baroque qui serait adaptée à notre temps, mais tout autant actualisée à chaque fois de manière différente selon les opportunités de rencontre et les oeuvres mises en chantier.

Une des lectures négatives possibles de ce choix général pourrait être de dire que la confrontation - agrégation de matériaux divers risque de se diluer dans une sorte de syncrétisme ludique ne dépassant guère l'assemblage opportuniste de formes et de matières diverses.

Les réalisations spectaculaires de Nada montrent, à notre avis, que ce glissement toujours possible est largement conjuré quand plusieurs de ces matériaux-langages accèdent chacun à une réelle force et singularité, tant dramaturgique que simplement dramatique : des acteurs qui jouent des personnages clairement dessinés ou qui jonglent avec des niveaux d'énonciation à chaque fois pertinents, des objets qui accèdent à une évidence de personnages - énonciateurs réellement actifs du point de vue de la fable ou de la structure narrative, un texte et des mots qui ont leur propre charge sémantique, rythmique, poétique...

B - Une autre perspective, qu'on pourrait dire culturelle, marque aussi fondamentalement le projet artistique de la compagnie. Elle porte sur la volonté d'inventer des relations plus directes et intensives, tant avec les publics touchés qu'avec les partenaires avec lesquels s'inventent et se réalisent les projets.

Du côté d'un rapport plus immédiat aux publics, c'est la référence à "un art forain loin de tout naturalisme" qui serait plutôt convoqué. Truculence, joie de vivre, invention d'une nouvelle mythologie contemporaine "fabuleuse et onirique" apparaissent comme des vecteurs de principe sur ce point. Mais aussi volonté, à chaque fois que possible, de diversifer les relations avec ces publics en restant au moins quelques jours à son contact.

De toute évidence, le choix esthétique général d'une approche du théâtre selon plusieurs de ses composantes, selon des combinatoires-compositions variables de ses éléments fournit à la compagnie une capacité d'adaptation, de modulation des modes d'approche et de travail avec différents publics. Aboutit-on par là à un échange plus direct et immédiat ? Sans doute autant par la capacité d'invention d'un mode de relation pertinent pour tel ou tel groupe, que par la plus grande évidence ou immédiateté des "matières" artistiques mobilisées. Un art de la relation culturelle et sociale, en quelque sorte, peut-être plus qu'une meilleure transparence des outils artistiques et techniques utilisés. Ce qui n'est déjà pas "rien", de notre point de vue!

Les mêmes présupposés et dynamiques fondent les essais d'expérimentation, de confrontation artistiques entre artistes ou entre compagnies. L'aventure engagée du compagnonnage avec une autre compagnie apparaît comme une des déclinaisons les plus intensives et radicales de cette volonté de brassage - proximité, qui constitue une polarité centrale de la compagnie.

Le travail prolongé d'implantation dans un territoire en serait une autre application. Tout comme l'objectif d'impliquer le plus possible et tout au long du processus de production - diffusion différents partenaires professionnels et institutionnels.

Ces derniers exemples permettent également de toucher à quelques limites pratiques ou génériques du parti pris culturel qu'on vient d'évoquer. Intensifer et rendre qualitativement plus pertinente toute une série de relations avec des personnes et partenaires divers font partie des nécessités, tant éthiques ou politiques que pragmatiques ou civiques, de notre société contemporaine dissociée et hiérarchisée. Néanmoins, il s'agit toujours de relations sociales, c'est-à-dire nécessairement médiées par un ensemble de rites, codes, procédures, symboliques, dont on ne peut oublier qu'ils ont aussi pour but de préserver comme de réguler les individualités et les subjectivités de chacun.

Une prise en compte des seuls discours de principe de Nada, à propos de cette visée de rapport plus intensif et direct, pourrait conduire à une lecture purement "relationniste", à une conception où les relations inter-personnelles directes suffraient et seraient à elles seules pertinentes pour rénover nos manières de faire du théâtre (pour faire du théâtre "autrement"). Une chose est de remarquer qu'on trouve souvent ce type d'a priori dans les discours d'aujourd'hui, et pas seulement dans les milieux artistiques (sur le plan théorique, cette véritable position de valeur trouve des formalisations en particulier dans ce qu'on appelle l'individualisme méthodologique). Notre propre position de valeur a plutôt tendance à tenir grand compte de tous les processus d'organisation collective, de médiation sociale, d'institutionnalisation dans l'élaboration et la mise en oeuvre des relations interhumaines.

Ainsi, dans le cas étudié, les éléments sous-jacents concernant l'organisation collective concrète de la compagnie nous semblent aussi largement déterminants pour mieux comprendre les possibilités comme les limites de sa visée relationnelle. Sur le plan plus strictement administratif, la section suivante reviendra sur cette question. Bornons nous ici à souligner combien ce souci relationnel du projet de Nada implique, cas par cas, des mises en forme contractuelles, tout comme l'élaboration et la mise en oeuvre de dispositifs organisationnels particuliers (depuis les repères et réglages collectifs par lesquels se construit la mise en compagnonnage de Nada et de la compagnie du Cercle, jusqu'à ceux qui permettent les actions de sensibilisation auprès des publics locaux ou bien les résidences

provisoires de la compagnie). Plus qu'un simple relationnisme, il faudrait donc parler d'une réelle dialectique relation interpersonnelle / formes contractuelles de régulation sociale.

A rebours de certaines idéologies contemporaines, on pourrait aussi dire qu'une meilleure intensité ou proximité relationnelle n'exige pas moins, mais au contraire bien plus de socialisation, d'institution, d'organisation collective.

C - Une dernière polarité du projet artistique de l'association très forte centration de Nada sur ses activités de création et de diffusion de spectacles. Non seulement celles-ci apparaissent comme le domaine stratégique fondateur de l'association, mais le domaine des expérimentations et confrontations artistiques se présente également comme un secteur de Recherche et Développement (R&D), dont la fonction est d'alimenter ce domaine fondateur et dominant. On pourrait même interpréter certaines remarques faites par l'association, sur le fait qu'elle est amenée à réaliser sur le territoire des Ulis un nombre d'heures de sensibilisation plus de deux fois supérieur à ce qui est convenu dans son contrat avec les Collectivités Territoriales, comme l'indice qu'elle ne voudrait pas développer beaucoup plus ce troisième domaine stratégique d'activité. Sur le plan des contenus proposés, celui-ci est d'ailleurs lui aussi assez nettement référé au domaine de la création spectaculaire.

Si cette polarité est en soi habituelle chez les compagnies théâtrales dites indépendantes, elle est pour le moins nettement affrmée par Nada, là encore tant dans ses discours que dans son mode concret d'organisation et de gestion. Dans le langage contemporain des entreprises, Nada revendique ainsi un véritable métier central, auquel cherche constamment à se référer la moindre de ces activités.

Ce qui est alors fondamentalement en jeu dans le développement de la compagnie, c'est comment ce métier central se décline, évolue et s'adapte compte tenu des autres valences internes ou contextuelles de son projet.

De ce point de vue, Nada fournit une illustration particulière des problématiques contemporaines qui se posent à toute compagnie professionnelle indépendante : singularité des choix esthétiques concernant le processus créatif (formes des oeuvres et des modes de rapport de celles-ci aux publics), "fertilisation croisée" du processus créatif par d'autres disciplines artistiques, mais également par certaines des attentes contemporaines des publics, prise en compte de la diversité de ceux-ci tout autant que de la structuration et des réseaux actuels du champ théâtral, dialectique entre ancrage local et essaimage par itinérance...

Sur cette question, la tension que nous avons décrite entre les trois processus d'ancrage - implantation local, d'itinérance - essaimage par nomadisme, de variation - stabilisation d'un réseau de partenaires privilégiés représente un triangle contemporain stratégique, vis-à-vis duquel chaque compagnie professionnelle est amenée à se situer de manière singulière.

Au bout du compte, les différentes polarités qu'on vient de souligner montrent la complexité particulière du compromis stratégique que Nada tente d'élaborer et de réaliser. Les questions abordées montrent d'ailleurs l'intrication constante entre facteurs internes à Nada et facteurs contextuels à l'entreprise, mais aussi entre facteurs plutôt idéologiques et facteurs relevant de l'organisation même de la compagnie. Si ce constat renforce notre propre a priori générique de la nécessaire prise en compte d'une pluralité de logiques, irréductibles les unes aux autres, il pointe également combien la fonction transversale de coordination - gestion générale ne peut en aucun cas être considérée comme une simple fonction d'"intendance", mais se trouve bien au coeur même du projet artistique et de ses possibilités de réalisation.

52 - Une organisation d'entreprise usuelle

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