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E-réputation des candidats à l’emplo

Dans le document Les relations numériques de travail (Page 173-176)

Section 1 Le marché numérique de l’emplo

A. E-réputation des candidats à l’emplo

201. Incertitudes sur le spectre d’application – La première question qui se pose en matière de recrutement en ligne est celle du champ d'application des principes généraux de recrutement. Les entreprises d'intermédiation sont-elles tenues aux règles encadrant le recrutement prévu par le Code du travail ? La réglementation est-elle applicable aux réseaux sociaux professionnels comme Viadeo ou LinkedIn ? Une circulaire du 15 mars 1993 précise que les principes de respect des droits des personnes et des libertés individuelles édictés par la loi, s'appliquent non seulement aux relations entre l'employeur et le candidat, mais aussi aux cabinets de conseil en recrutement ou aux intermédiaires intervenant dans la phase de recrutement821. Au regard de la rédaction restrictive de cette circulaire, la réponse semble être négative. La technique a dépassé la réalité, car si ces réseaux permettent de recruter des candidats à un emploi, ils n’ont pas de liens avec l’entreprise qui souhaite embaucher822. En revanche, les réseaux sociaux sont soumis à la loi informatique et libertés et au règlement européen sur la protection des données personnelles.

820 C. Vacarie-Bernard, Sous l’œil du recruteur 2.0, Mémoire Master Management et protection des données à caractère

personnel, ISEP, 2009, p. 13.

821 Circ. min. n° 93-10, 15 mars 1993 : BO Travail 1993, n° 10.

202. E-réputation – Au cours d'une procédure de recrutement, la tentation est grande pour l'employeur d'interroger la toile sur le passé d'un salarié potentiel. Les réseaux sociaux professionnels sont devenus une vitrine incontournable pour les candidats et les responsables de ressources humaines. Les entreprises, cabinets de recrutement ou DRH peuvent-ils utiliser les réseaux sociaux pour recruter ? Compte tenu de la difficulté pour un salarié de prouver que son futur employeur a eu accès à des informations qui auraient pu être qualifiées de discriminantes s'il les avait demandées expressément dans le cadre d'un recrutement, quelques précautions s'imposent au salarié qui doit désormais être attentif à son e-réputation. Il doit au préalable mesurer les risques qu'il prend lorsqu'il s'exprime sur internet823. Rappelons que la mémoire du Web est infinie et que la question du droit à l'oubli numérique est l'un des enjeux majeurs de la protection des citoyens et du respect du droit à la vie privée, voire même de l'existence d'un droit à l'erreur et de la possibilité de se racheter824.

203. Un critère pertinent - « L’absence numérique rend invisible, introuvable. Pire, elle est suspecte et questionne le profileur sur la capacité du candidat à s’adapter au monde d’aujourd’hui »825. Pour les entreprises, recruter des personnes influentes sur les réseaux sociaux tels que Snapchat, Twitter, Facebook ou Google+ est certainement un avantage, surtout dans les métiers liés à la communication. Faut-il pour autant aller jusqu'à en faire un critère de recrutement ? En juin 2015, le tribunal administratif de Nantes a suspendu la décision de l'université d'Angers qui refusait l'accès en master 2 « Marketing et TIC » à l'un de ses étudiants. La raison invoquée ? Le jeune homme n'était pas présent sur les réseaux sociaux Twitter et Linkedin. Un doute a été soulevé quant à la légalité de la décision prise par l'université826. L’usage privé des réseaux sociaux n’est pas un critère pertinent de sélection. Cette décision administrative pourrait inspirer la justice prud’homale au regard de l’exigence de transparence. La pertinence de l’information est en revanche sujette à discussion. On pourrait se demander s’il ne serait pas opportun de savoir que le candidat maîtrise les réseaux sociaux lorsqu’il prétend occuper un poste à l’occasion duquel il devra les utiliser. En août 2012, la marque

823 E. Walle et S. Savaïdes, « L’e-réputation sous le prisme du droit du travail », Gaz. Pal., no 288, 15 octobre 2011, p. 26. 824 Supra. Partie 1, titre 1, chapitre 2, section 1, II, B : la conservation des informations sur le candidat.

825 L. Morin, « Recrutement : le 2.0 fait data », op. cit.

826 Angers. L’étudiant lésé faute de compte Twitter bientôt réinscrit ?, http://www.ouest-france.fr/justice-letudiant-lese-faute-de-

Quechua a partagé une offre de stage827 sur laquelle on peut lire que le candidat devra, entre autres compétences, « avoir un score Klout d’au moins 35 »828. L’annonce avait fait beaucoup parler sur les réseaux sociaux829, mais les juristes pas du tout. Si l’initiative est restée isolée, elle révèle toutefois une tendance plus forte où le recrutement et les promotions dépendent en partie de la « réputation sociale ».

204. Recrutement prédictif - Pour diminuer l’incertitude du recrutement, des solutions logicielles fournissent aux entreprises des outils de mesure des informations contenues sur les sites de carrières et les réseaux sociaux professionnels : compétences, cursus, expérience. Un modèle informatique capable d’analyser des informations depuis un CV, les réseaux sociaux, des tests de personnalité (…) aurait plus de chance de sélectionner les meilleurs candidats que les employeurs830. « Quand on corrèle ces informations aux tests de capacités et d’analyse comportementale, on est en mesure de prédire l’adéquation et la performance d’un individu dans un environnement donné »831. La difficulté majeure réside dans l’utilisation d’informations qui ne devraient pas être prises en compte dans le recrutement et dans la capacité à rapporter l’existence d’une pratique contraire aux principes généraux du recrutement. Pour le moment du moins, le recrutement « prédictif » n'a pas vocation à remplacer les décisions des humains, mais à servir de premier filtre. Il serait d’ailleurs plus objectif, car fondé sur des indicateurs chiffrés. Le frein majeur au déploiement de cette technologie, c'est qu'il faut rassembler des données avant que l’ordinateur ne construise un modèle référentiel. Or la loi informatique et liberté prévoit que la collecte et le traitement des informations doit avoir un objectif déterminé, légitime et explicite. Les informations collectées doivent être en lien avec la finalité du recrutement.

205. Une charte de bonnes intentions - En attendant que ces questions soient relevées par le législateur, l'engouement pour les réseaux sociaux a conduit des professionnels du recrutement à rédiger une charte pour prévenir les dérapages liés à

827 Pas influent sur les réseaux sociaux ? Quechua ne vous embauche pas, http://www.numerama.com/magazine/23430-pas-

influent-sur-les-reseaux-sociaux-quechua-ne-vous-embauche-pas.html, consulté le 10 juillet 2015.

828 Klout.com analyse la présence, l’activité et les relations sur différents réseaux sociaux pour en déduire le «Klout score», un

score dit d’influence entre 1 et 100. Klout c’est quoi exactement, et à quoi ça sert ?, http://www.presse-citron.net/klout-cest- quoi-exactement-et-a-quoi-ca-sert/, consulté le 10 juillet 2015.

829 L’e-reputation, un nouveau critère d’embauche?, http://www.lesinrocks.com/2012/08/16/actualite/le-reputation-le-nouveau-

critere-de-recrutement-11285928/, consulté le 9 juillet 2015.

830 D. Klieger, D. Ones et N. Kuncel, In Hiring, Algorithms Beat Instinct, https://hbr.org/2014/05/in-hiring-algorithms-beat-

instinct, consulté le 7 juillet 2015.

l'utilisation abusive des données privées trouvées sur le Web. Cette charte, à valeur « pédagogique », préconise ainsi à ses signataires de « limiter le recours aux réseaux personnels, du type Facebook ou Copains d'avant [...] à la seule diffusion d'informations, plus particulièrement d'offres d'emplois à des utilisateurs ayant manifesté leur intérêt pour de telles informations ». Elle suggère ensuite de « privilégier l'utilisation des réseaux professionnels, du type Viadeo ou LinkedIn » et, surtout, « de ne pas utiliser les moteurs de recherche ni les réseaux sociaux comme outils d'enquête pour collecter des informations d'ordre personnel [...] »832. Que les candidats trop bavards sur les réseaux sociaux se « rassurent » : plusieurs organisations dont le MEDEF, l'association nationale des directeurs de ressources humaines, l'APEC et le SYNTEC-recrutement ont signé ledit document. Plus engageante, la charte de déontologie du Syntec Conseil en recrutement précise dans son article 1er que le conseil en recrutement « exerce sa profession dans le respect des droits fondamentaux de la personne humaine. Il est, en particulier, respectueux de la vie privée et ne pratique aucun principe de discrimination fondée sur l’origine, le sexe, la situation de famille, la grossesse, l’apparence physique, le patronyme, l’état de santé, le handicap, les caractéristiques génétiques, les mœurs, l’orientation ou l’identité sexuelle, l’âge, les opinions politiques, les activités syndicales, l’appartenance ou la non-appartenance vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée »833. Il ne fait au demeurant aucun doute que ces éléments se déclinent parfaitement sur internet au regard de la quantité d’informations disponibles.

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