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La nature de la prestation

Dans le document Les relations numériques de travail (Page 51-56)

Section 1 La rémunération de la prestation immatérielle de travail

B. La nature de la prestation

42. Forme de la prestation de travail – La prestation numérique recouvre une certaine immatérialité qui peut rendre plus difficile sa mise en évidence (1). Or en droit

ces intervenants ne se trouvaient pas intégrés dans un service organisé par le centre. Cass. soc., 22 mars 1989, pourvoi n°86- 15.020, Bull. civ., V, n°238.

237 Supra. Partie 1, titre 1, chapitre 1, section 3, I, A, « le salaire, un critère nécessaire mais insuffisant ». 238 C. trav. art. L. 8221-3.

239 C. trav. art. L. 8221-5. 240 C. trav. art. L. 8224-1

241 Cass. crim., 4 sept. 2012, pourvoi n°11-87.225, Bull. crim. 2012, n°180.

242 A. Cerf-Hollender, « Le délit de recours au travail dissimulé suppose le recours à ... une prestation de travail », RCS, 2012, p.

du travail, s’il importe peu de s'attacher à la forme de la prestation de travail accomplie, qui peut être intellectuelle et/ou physique, ni au type de secteur professionnel qu'elle concerne243, cette prestation doit pouvoir être déterminée (2).

1) La forme de la prestation de travail

43. Travail invisible, prestation réelle - « Lorsqu'un salarié n'est pas en mesure de fournir la prestation inhérente à son contrat de travail, son employeur n'est pas tenu de lui verser un salaire sauf disposition légale, conventionnelle ou contractuelle particulière »244. A contrario, dans les relations numériques on peut relever des situations de « travail invisible », notamment lorsque les activités personnelles ou professionnelles tendent à se confondre parce que le salarié travaille à distance ou en dehors du temps de travail ou bien encore sur un objet difficilement matérialisable. Par opposition au travail visible qui donne lieu à un contrat de travail (ou à un contrat de prestation de services) et à un salaire en contrepartie et qui est mesuré et rémunéré en temps de présence physique245, le travail invisible n’est pas quantifiable en heure. Seul

le forfait jours prend en compte cette nouvelle dimension de la prestation de travail246.

Ainsi, la veille est l’une des nouvelles compétences des travailleurs du savoir. Cette activité suppose la recherche d’information, la lecture et l’archivage. Grâce aux TIC, la lecture devient équipée, elle se développe à travers de nouvelles formes de lecture et d’accès à l’information à travers l’indexation, les mots-clefs ou les moteurs de recherche. Cette activité est particulièrement consommatrice de temps. Or la représentation de cette activité est toujours associée aux loisirs, ce qui accentue « l’invisibilité des lectures de travail (…). Cette activité chronophage n’est pas considérée comme du travail par les collègues et la hiérarchie en raison d’une représentation du travail encore liée à la force physique et au faire »247. Lorsqu’un

supérieur hiérarchique surprend un salarié en train de lire pour son travail, il pourrait le considérer comme inoccupé aura tendance à le considérer comme inoccupé et lui donnera du travail supplémentaire. Quasi clandestine au travail, l’activité de vieille est souvent déportée dans le hors travail, que ce soit à domicile, pendant les temps de

243 Y. Aubrée, « Contrat de travail (existence - formation) », op. cit. 244 Cass. soc., 9 avr. 2015, pourvoi n°14-10.531, inédit.

245 F. Labadie et F. Rouet, « Régulations du travail artistique », Culture prospective, vol. n°4, no 4, 1 octobre 2007, p. 12. 246 Infra. Partie 1, titre 2, chapitre 1, section 2, II, A, « l’insécurité du droit de la durée du travail ».

transports, ou au travail pendant les heures supplémentaires248. Les raisons de cette

clandestinité sont liées aux conditions de travail, manque de temps, de lieu, et aux interruptions difficilement compatibles avec l’activité de lecture249. En définitive, la prestation numérique, peu importe sa nature, peut être qualifiée de prestation de travail, mais ces activités sont parfois très difficiles à prendre en compte en raison de leur immatérialité.

2) Le « potentiel d’action » objet de la subordination du cerveau d’œuvre

44. Le potentiel d’action – Le large développement des TIC transforme chaque acteur en travailleur de la connaissance qui évolue au sein d’une chaîne de valeurs du savoir englobant tous les autres interlocuteurs de l’entreprise250. En effet, « seule une main-d'œuvre, qui ne soit pas considérée comme une machine, peut s'adapter à un contexte organisationnel en perpétuelle évolution ». Ainsi, l’objet de la subordination va bien au-delà du corps, le salarié confie la gestion de ses compétences, de sa capacité créative, de sa réputation, de son employabilité, etc. Il faut en réalité considérer l’ensemble des capacités d’action qui permettent de produire de la valeur. La notion de travail numérique implique une certaine globalité, c’est « l’ensemble des facultés corporelles et intellectuelles par lesquelles l’homme travaille »251 indique déjà Marx en

1867, dont on ne retiendra pour autant pas l’ensemble de l’analyse. « En acceptant les directives de l’employeur, on ne cède pas de droit sur son corps ou sur son potentiel. On ne cède pas non plus ses capacités d’action. Pour être plus précis, on cède le droit de gérer ces capacités, autrement dit de décider de l’usage qui en sera fait, et donc de leur valeur future »252. Ainsi, l’expression du « potentiel d’action individuel pour désigner

l’ensemble de ces capacités, qui sont autant de promesses de revenus futurs »253 est

particulièrement adaptée aux relations numériques de travail. Ce potentiel d’action individuel renvoie à la fois au patrimoine individuel au sens classique, aux compétences, au savoir-faire des individus, aux capacités créatives, mais comporte aussi une

248 D.-G. Tremblay, Articuler emploi et famille: le rôle du soutien organisationnel, PUQ, 2012, p. 96.

249 F. Moatty et F. Rouard, « Lire et écrire durant les heures supplémentaires », Tempos, la revue de l’institut Chronopost, , no 3,

p. 53‑62.

250 F. Dupuich, « Impact des technologies de l’information et de la communication (TIC) sur la gestion des ressources humaines

GRH dans les firmes “high-tech” », Management & Avenir, no 9, mars 2006, p. 83.

251 K. Marx, « Chapitre VI : Achat et vente de la force de travail », dans Le Capital - Livre premier, 1867, .

252 A. Hatchuel et B. Segrestin, « Subordination formelle, subordination réelle : quand le contrat de travail cache l’entreprise »,

Communication au Forum des économistes de la Régulation, 2009, p. 7.

dimension collective à travers leurs réseaux, leur réputation, leur « capital social ». La notion de potentiel généralise ainsi l’idée de patrimoine comme celle de force de travail. Elle a le mérite de sortir du clivage traditionnel entre capital et travail, tout en permettant de revisiter la notion de prestation de travail. La difficulté c’est que cette notion est aussi beaucoup plus difficile à appréhender et à décrire dans le contrat en raison de son évolutivité. Si le poste de travail désigne l’ensemble des tâches matérielles ou fonctions auxquelles le salarié est affecté, il n’est que le reflet d’une forme d’organisation du travail. « La détermination contractuelle de l’emploi occupé pourrait, à l’extrême, ne plus faire référencé à aucun poste. L’employeur achèterait un ensemble de compétences, susceptibles d’être utilisées dans des affectations très différentes »254.

45. Liberté de participer - On peut supposer effectivement que « les TIC

engendrent « des agents intelligents » capables d’affronter les aléas, la complexité, les nouveautés »255. Toutefois, d’un point de vue juridique, le salarié ne saurait être tenu à

l’accomplissement de taches autres que celles contractuellement prévues256, ce que la

jurisprudence a d’ailleurs eu l’occasion de confirmer à de nombreuses reprises257. Il

conviendrait donc de s’appuyer sur une nouvelle « orthodoxie juridique ». Cette dernière pourrait s’inspirer des travaux du prix Nobel d’économie, Amartya Sen, qui met au centre de sa conception du développement, l'institution d'une « liberté de participer au marché du travail »258. Cette liberté est liée à une conception du travail comme

manifestation de la capacité des individus à s’engager dans une activité collective. Elle se conçoit dans le cadre d'un État de droit garantissant tout un ensemble de libertés fondamentales. Il suggère de considérer le contrat de travail comme une transaction définissant un « apport en capacité » du salarié à un collectif de travail qui contribue à définir l'entreprise elle-même, à l'instar de l'apport en capital des actionnaires259. Le travail ne serait plus un coût qu'il conviendrait de réduire mais un apport de compétences. Il faudrait ainsi passer du travailleur taylorien, force de travail, au travailleur cognitif, qui va chercher ailleurs les compétences qui lui manquent pour

254 M.-L. Morin et L. Mallet, « La détermination de l’emploi occupé », Dr. soc., 1996, p. 660.

255 L. Roche et Y. Chatelain, « L’impact des nouvelles technologies de l’information et de la communication sur les hommes et

les femmes », Humanisme et entreprise, no 242, août 2000, p. 98.

256 N. Collet-Thiry, L’encadrement contractuel de la subordination, op. cit., p. 32.

257 A propos d’une dessinatrice-projeteuse qui se voit confier des tâches administratives de documentation technique. Cass. soc.,

17 janv. 2006, pourvoi n°04-40.965, inédit.

258 A. Sen, Un nouveau modèle économique. Développement, justice, liberté, Paris, Editions Odile Jacob, 2000, p. 124.

259 C. Didry, « Le travail comme apport en capacité, la portée socio-historique de l’approche par les capacités d’Amartya Sen »,

résoudre des problèmes, qui travaille avec les autres dans un but précis. La difficulté c’est que nous sommes actuellement dans une période de transition et d’acquisition de nouveaux codes sociaux, entre une activité principalement basée sur des compétences techniques et un travail requérant, outre les compétences techniques, des compétences culturelles et relationnelles260.

46. Transition – Si la prestation de travail est l’élément essentiel du contrat de travail, elle est insuffisante à déterminer à elle seule l’essence du contrat de travail. En effet, la nature de la prestation travail n'est pas déterminante pour qualifier un contrat de travail dans une relation de travail numérique, d’autant plus que sa définition demeure imprécise. Par ailleurs la prestation de travail existe aussi dans le contrat d'entreprise ou le bénévolat. De fait, la notion peine à délimiter précisément l’économie numérique, basée sur l’échange d’informations et des modes alternatifs de consommation. Dès lors, pour déliminter la notion de relation de travail numérique, il convient de recourir à la notion de rémunération.

II. La rémunération d’une prestation numérique

47. Rémunération - Le deuxième élément de la définition du contrat de travail est la rémunération. Il s’agit de la contrepartie financière des obligations du salarié. Pothier écrivait au XVIIIème siècle qu’il « n’y a que les services ignobles et appréciables à prix d’argent qui soient susceptibles du contrat de louage, tels ceux des serviteurs et servantes, des manœuvres, des artisans etc. Ceux que leur excellence ou la dignité de la personne qui les rend empêche de pouvoir s’apprécier à prix d’argent n’en sont pas susceptibles »261. Par la suite, s’est installée la distinction entre le salaire, qui est le prix

du travail qui s’achète et se vend sur le marché, et l’honoraire, qui vient récompenser le service, au demeurant inestimable, de l’homme de l’art262. Mais la rémunération est-elle

encore un critère pertinent du contrat de travail ? Comment apprécier à sa juste valeur une prestation par nature immatérielle ?

260 G. Colletis, L’urgence industrielle!, Le bord de l’eau, coll.« Retour à l’économie politique », 2011, p. 103. 261 R.J. Pothier, Oeuvres complètes : Traité du contrat de louage, Chez Thomine et Fortic, 1821, p. 8. 262 G.H. Camerlynck, Le contrat de travail, Paris, France, Dalloz, 1982, p. 5.

48. L’activité économique numérique – La définition traditionnelle du salarié appréhendé par le droit du travail, ne permet pas de rendre compte fidèlement de la réalité de l’occupation et de l’activité économique des travailleurs de l’économie numérique263. « À la croisée des chemins, lorsqu'un salarié est auteur, l'application des règles est contredite par la logique économique »264. D’une part, le salarié se rapproche de plus en plus de l’entrepreneur qui fournit des prestations265. Les dispositions légales, qui régissent depuis longtemps, de manière supplétive, les inventions de salariés sont particulièrement significatives du statut atypique que peut occuper l’inventeur salarié qui va, selon les circonstances, être considéré comme un salarié (inventions dites de missions) ou comme un prestataire de services (inventions hors missions)266. D’autre

part, l’économie numérique a vu naître des plateformes dans lesquelles une partie du travail nécessaire à la réalisation du service est réalisée, non par l’entreprise à l’origine de la plateforme, mais par une partie de ses utilisateurs. Or, de plus en plus de citoyens s’investissent dans l’économie collaborative aussi bien en tant qu’offreurs que demandeurs. Elle constitue une part croissante de leurs revenus, de leurs dépenses et de leur « temps de travail »267. Il convient de s’interroger, dans un premier temps, sur le fait

que la prestation de travail numérique fasse ou non l’objet systématique d’une rétribution matérialisée en droit du travail par un bulletin de paie (A). Dans un second temps, la confusion entre les artistes, les inventeurs et les salariés entretenue par une économie qui repose sur l’information et l’innovation doit conduire à s’interroger sur les mécannismes permettant d’apprécier en droit la prestation immatérielle de travail (B).

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