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Chapitre III : Adaptation des entérobactéries à l’environnement, réponse au stress et ARN régulateurs

C. Cas de figure : la réponse à la carence en fer

3. Réponse à la carence en fer

Le fer est donc une ressource à la fois vitale pour de nombreux processus cellulaires, et potentiellement toxique en trop grande quantité. La régulation de son import est de ce fait strictement régulée génétiquement, aussi bien en présence de fer qu’en situation de carence. Le régulateur central de l’homéostasie du fer est le répresseur transcriptionnel Fur, dont la fonction est notamment complétée par l’action du sRNA Hfq-dépendant RyhB. J’aborderai le fonctionnement de ces deux régulateurs, après quoi je consacrerai la fin de cette introduction aux régulations existant autour du gène fepA et des gènes impliqués dans l’utilisation de l’entérobactine.

a. Fur et RyhB : la régulation de l’homéostasie du fer

Fur est un répresseur transcriptionnel réprimant la synthèse de sidérophores de fer, de même que celle de l’ensemble des transporteurs de fer cités dans la partie précédente. (Cornelis et al., 2011; Lee and Helmann, 2007). Plus précisément, c’est la forme de Fur associée

111 à un ion Fe2+ (Fur-Fe2+) qui réprime l’expression de nombreux gènes. En effet, Fur-Fe2+

reconnaît et s’associe à une boîte Fur de l’ADN à proximité des promoteurs de ses cibles, prévenant la fixation de l’ARNpol et donc la transcription de ces gènes (Baichoo and Helmann, 2002). La régulation de l’import de fer par Fur suit une logique simple : en présence de fer, il faut empêcher un apport trop important afin d’éviter d’atteindre des concentrations en fer toxiques pour la cellule. La levée de la répression par Fur en situation de carence en fer permet ainsi la synthèse de l’ensemble de la machinerie d’import du fer depuis les sidérophores jusqu’aux transporteurs, préparant la cellule à la compétition pour l’accès au fer. En outre, Fur réprime l’expression de gènes impliqués dans de nombreuses autres fonctions, y compris la réponse au stress oxydatif. Ainsi Fur contrôle négativement l’expression du gène sodA (Tardat and Touati, 1993), codant une superoxyde-dismutase produisant notamment des molécules de H2O2. Celles-ci sont dangereuses en présence de fer comme nous l’avons vu

précédemment, d’où l’importance de la répression par Fur lorsque le fer n’est pas limitant.

Figure 43 – Régulons simplifiés de Fur et du sRNA RyhB

Sont notamment réprimés par Fur l’ensemble des protéines permettant l’import de fer (TBDT : « TonB Dependent Transporters »), de même que le système Suf de production de centres Fe-S, ainsi que l’enzyme SodA permettant de répondre au stress oxydatif. En situation de carence en fer, ces répressions sont levées, permettant entre autres, via la synthèse de RyhB, l’activation post-transcriptionnelle de la synthèse de certains TBDT tels que CirA chez E. coli ou encore IroN, le récepteur aux complexes fer- salmochéline chez S. enterica (Balbontín et al., 2016). RyhB va par ailleurs réprimer la synthèse d’une vingtaine de protéines contenant des centres Fe-S (« Iron Containning Proteins », ICP). Enfin, on note qu’entre la présence du fer et la carence en fer, les bactéries passent du système Isc au système Suf pour la synthèse des centres Fe-S. ME : membrane externe ; MI : membrane interne.

112 Le régulon de Fur (Fig. 43) comprend par ailleurs un sRNA dont l’action est particulièrement importante, à savoir RyhB, qui est donc induit dans des conditions de carence en fer (Massé and Gottesman, 2002; Salvail and Massé, 2012). Ce sRNA réprime la synthèse de nombreuses protéines non-essentielles contenant du fer, à l’image de protéines à centres Fe-S telles que la succinate-déshydrogénase SdhCAB ou encore l’aconitase AcnB (Massé and Gottesman, 2002). Cela permettrait de récupérer ce fer pour assurer les fonctions les plus vitales des bactéries, à l’image du processus de respiration. RyhB active également la synthèse du transporteur de DHB-Ser CirA (Salvail et al., 2013). Enfin, RyhB exerce une répression sur la synthèse de Fur via un effet sur une ORF située dans le 5’UTR de l’ARNm de fur (Vecerek et al., 2007). Cela engendre une transition rapide entre l’expression de Fur et celle de RyhB et des cibles de Fur (Arbel-Goren et al., 2016), permettant une réponse efficace à la carence en fer.

On remarque avec intérêt la forte conservation du sRNA RyhB, et même au-delà du sRNA, de sa fonction de régulation de protéines contenant du fer en situation de carence en fer (Salvail and Massé, 2012). En effet, si cette fonction est assurée par RyhB chez les entérobactéries et les vibrionaceae, voire par deux versions de RyhB issues d’une duplication génétique chez S. enterica notamment (Padalon-Brauch et al., 2008), elle est également assurée par d’autres sRNA chez des bactéries plus éloignées tels que PrrH chez Pseudomonas aeruginosa, ou encore NrrF chez Neisseria meningitidis (Salvail and Massé, 2012). Cela souligne l’importance de cette fonction régulatrice, qui apporte très vraisemblablement un avantage sélectif déterminant lors d’une situation de carence en fer (Jacques et al., 2006). Cela pose également la question de l’importance de régulations exercées spécifiquement par des sRNA plutôt que par des protéines (voir Revue n°2).

b. Régulation de fepA et de l’utilisation de l’entérobactine

J’ai consacré l’essentiel de ma thèse à la compréhension de la régulation de l’expression du gène fepA, c’est pourquoi j’ai décidé d’employer la dernière partie de cette introduction à dresser l’état des régulations connues avant le début de cette thèse. Cette partie sera élargie à la régulation de l’utilisation de l’entérobactine, afin d’intégrer la régulation de l’expression de fepA dans un processus physiologique plus complet.

113 L’utilisation de l’entérobactine requiert la synthèse de ce sidérophore ainsi que d’un ensemble de protéines membranaires impliquées dans sa sécrétion puis sa récupération dans la cellule une fois associé au fer. La synthèse d’entérobactine ainsi que de cet ensemble de protéines est coûteuse en énergie et en ressources, c’est pourquoi elle n’est activée que dans des conditions de carence en fer, où la bactérie va devoir utiliser tous les moyens à sa disposition pour acquérir le fer dont elle a besoin. Fur-Fe2+ réprime ainsi la transcription des

opérons entCEBAH, fes-ybdZ-entF-fepE, fepDGC, fepA-entD ainsi que des gènes entS, fepB et tolC. Ce faisant, Fur-Fe2+ prévient à la fois la synthèse de l’entérobactine par les synthétases

Ent, sa sécrétion par EntS et TolC, l’import des complexes Fer-entérobactine par les protéines Fep ainsi que le relargage de fer dans la cellule par l’estérase Fes (Fig. 44). Le corollaire de ces régulations par Fur est qu’en absence de fer, tous ces gènes s’expriment de manière coordonnée et permettent la synthèse et l’utilisation de l’entérobactine pour accéder au fer Fe3+ de l’environnement. On remarque ici qu’hormis tolC, l’ensemble de ces gènes sont situés

au même locus chromosomique, ce qui pourrait permettre une utilisation parcimonieuse et efficace de Fur dans la mesure où tous les promoteurs à réguler sont réunis au même endroit. On note en outre que la régulation par Fur-Fe2+ affecte également les gènes tonB, exbB et

exbD, réprimant la synthèse du complexe Ton lorsque l’import de fer n’est pas nécessaire. Comme beaucoup de voies de biosynthèses, les premières étapes requièrent des régulations efficaces afin d’effectuer le plus d’économies possible sur la synthèse de protéines et les modifications des précurseurs. C’est l’une des fonctions de RyhB, qui active la synthèse des OMP ShiA (Prévost et al., 2007) et CirA (Salvail et al., 2013), respectivement impliquées dans l’import du shikimate, un précurseur de l’entérobactine, et du DHB-Ser, à la fois précurseur de l’entérobactine et servant lui-même de sidérophore de fer. En conditions de carence en fer l’import de shikimate permet d’initier le processus de synthèse de l’entérobactine. Une autre régulation importante imputée à RyhB est celle du gène cysE, dont la répression favorise l’utilisation de serine pour la synthèse de DHB-Ser puis d’entérobactine plutôt que de cystéine (Salvail et al., 2010).

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Figure 44 – Régulation de l’expression de fepA et de l’utilisation de l’entérobactine

En présence de fer, Fur-Fe2+ est actif et réprime l’expression de la plupart des gènes impliqués dans

l’utilisation de l’entérobactine. En absence de fer, ces répressions sont levées et l’entérobactine peut être synthétisée par les protéines Ent et sécrétée par EntS-TolC. L’entérobactine peut alors chélater des ions Fe3+ dans le milieu environnant puis être réintégrée dans la cellule via les protéines Fep et grâce

à l’énergie fournie par le complexe Ton. Enfin, l’entérobactine est clivée par Fes, qui permet à la cellule de récupérer des ions Fe2+ ainsi que des précurseurs de l’entérobactine pouvant être recyclés. Par

ailleurs, le précurseur DHB-Ser peut lui-même être sécrété et servir de sidérophore de fer – on note que la voie de sécrétion du DHB-Ser est inconnue et pourrait correspondre à celle empruntée par l’entérobactine. En situation de carence en fer, RyhB permet l’expression de CirA et donc l’import de fer associé au DHB-Ser. RyhB active également l’import de shikimate et prévient l’utilisation de sérine (Ser) pour la synthèse de cystéine, rendant ces deux précurseurs disponibles pour la synthèse d’entérobactine. Par ailleurs, les régulateurs OmpR et σS répondent à divers stress et activent la transcription de plusieurs sRNA ayant des effets post-transcriptionnels sur l’expression des gènes fepA, cirA et tolC notamment.

Cependant le rôle des sRNA Hfq-dépendants dans l’homéostasie du fer ne s’arrête pas là, puisque l’expression de fepA et de cirA est négativement régulée par les deux sRNA OmrA/B (Guillier and Gottesman, 2006, 2008), tandis que celle de tolC est réprimée par SdsR (Parker and Gottesman, 2016). Ces dernières régulations peuvent être l’objet d’un questionnement vis-à-vis de leur logique physiologique : pourquoi réguler l’import de fer en conditions de pH acide pour les OmrA/B, ou en situation de stress à la fois pour OmrA et pour SdsR via σS? Ces questions ont été abordées au cours de cette thèse (voir Résultats II.B) et sont également discutées dans la conclusion (voir Discussion B.1).

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Résultats

Chapitre I : Activation de la traduction par des