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Chapitre III : Adaptation des entérobactéries à l’environnement, réponse au stress et ARN régulateurs

C. Cas de figure : la réponse à la carence en fer

2. Import de fer : sidérophores et transporteurs

a. Sidérophores

Les entérobactéries sont souvent confrontées à des conditions de rude compétition pour l’accès au fer, notamment lorsqu’elles interagissent avec un hôte et avec d’autres bactéries. À cela s’ajoute le problème de rendre le fer soluble quand il se trouve sous sa forme oxydée Fe3+. Pour répondre à ce problème, de nombreux organismes synthétisent des

molécules ayant une très grande affinité pour le fer que l’on nomme sidérophores, pouvant former des complexes fer-sidérophores solubles (Braun and Killmann, 1999; Wandersman and Delepelaire, 2004). Les sidérophores de très loin les plus efficaces sont ceux synthétisés par les bactéries et plus particulièrement les entérobactéries, peut-être parce que ces organismes ont subi une grande pression de sélection pour l’accès au fer. Je me concentrerai principalement sur l’entérobactine, plus directement liée au travail effectué au cours de ma thèse.

Figure 41 – La molécule d’entérobactine

Représentation schématique d’une molécule d’entérobactine. Une molécule d’entérobactine entre en interaction avec une molécule de fer Fe3+. Ce sont six atomes d’oxygène de l’entérobactine qui partagent leurs électrons avec l’atome de fer au sein d’un complexe extrêmement stable et chargé négativement. D’après (Zheng et al., 2012).

108 L’entérobactine (Fig. 41), synthétisée notamment par E. coli et S. enterica, a une constante d’affinité pour le fer de 1051M-1 : il s’agit de la molécule ayant la plus forte affinité

pour le fer connue à ce jour (Carrano and Raymond, 1979; Raymond et al., 2003). L’entérobactine se décompose en trois molécules de dihydroxybenzoyl-serine (DHB-Ser), qui ont également une activité chélatrice du fer utilisée par les bactéries, quoique leur affinité pour le fer soit moindre que celle de l’entérobactine. Ce sont les gènes entCBAEFD, codant notamment des peptide-synthétases non ribosomiques, qui sont responsables de la biosynthèse de l’entérobactine à partir du shikimate (Kwon et al., 1996; Raymond et al., 2003). Celle-ci est ensuite exportée au périplasme par EntS puis sécrétée par l’OMP TolC (Bleuel et al., 2005). Du fait de la forte stabilité des complexes fer-entérobactine, une molécule de fer liée à l’entérobactine le restera à moins que cette dernière ne soit dégradée. C’est le rôle de l’estérase Fes qui scinde l’entérobactine en trois molécules de DHB-Ser, libérant l’atome de fer une fois le complexe fer-sidérophore intégré dans la cellule (Greenwood and Luke, 1978)

On pourra noter l’existence d’autres sidérophores semblables, comme la salmochéline synthétisée par les salmonelles, ou encore la yersiniabactine synthétisée par les bactéries du genre Yersinia. D’une manière générale, la voie de biosynthèse d’un sidérophore n’est souvent conservée qu’au sein d’une ou de quelques espèces bactériennes. Cela étant dit, les bactéries peuvent également tirer profit des molécules chélatant naturellement le fer à l’image du citrate, mais aussi des sidérophores et autres molécules liant le fer synthétisés non seulement par les autres bactéries, mais aussi par l’hôte, à l’image des hèmes (Wandersman and Delepelaire, 2004).

b. Transporteurs de fer

Pour les bactéries à Gram négatif, le moyen le plus simple d’importer du fer dans la cellule est certainement le transport du fer Fe2+ lorsqu’il est disponible, notamment en milieu

anaérobie où il est moins oxydé en Fe3+. En effet, cet ion diffuse librement à travers diverses

porines vers le périplasme, après quoi la protéine de membrane interne FeoB est chargée de son import vers le cytoplasme (Lau et al., 2016). Néanmoins lorsque cette forme du fer vient à manquer, les bactéries disposent d’une grande diversité d’OMP dont la fonction est de reconnaître et d’importer divers chélates de fer (Wandersman and Delepelaire, 2004). C’est par exemple le cas de FecA, le transporteur spécifique du citrate de fer.

109 D’autres OMP sont dédiées à l’import des sidérophores synthétisés par la cellule ou par d’autres bactéries, et ce uniquement si le sidérophore est complexé avec une molécule de fer. C’est le cas de FepA, une OMP qui reconnaît très spécifiquement les complexes fer- entérobactine, avec une bien meilleure affinité que pour l’entérobactine seule (Hollifield and Neilands, 1978; Ichihara and Mizushima, 1978; Raymond et al., 2003). De façon surprenante, on la retrouve chez de nombreuses espèces incapables de synthétiser l’entérobactine (Rutz et al., 1991), ce qui démontre son importance dans la compétition pour l’accès au fer dans des environnements où ces bactéries sont amenées à se rencontrer.

Figure 42 – FepA et l’import de fer TonB-dépendant

A. Structure tridimensionnelle de FepA. Le tonneau β de l’OMP est représenté en vert, de même que les boucles extracellulaires (L pour « loop »). Certains feuillets β ont été rendus transparents afin de laisser apparaître le domaine globulaire en rouge, jaune et orange. La sphère rouge représente l’emplacement de l’atome de fer au moment où le complexe fer-entérobactine entre en interaction avec le récepteur. D’après (Buchanan et al., 1999). B. Fonctionnement des transporteurs de fer TonB-dépendants (« TonB dependent transporter », TBDT). Ces OMP sont chacune spécifiques d’un complexe fer-sidérophore différent, et portent une « TonB box » à proximité de leur région N-terminale interagissant avec TonB. Le complexe TonB-ExbB-ExbD fournit au transporteur l’énergie nécessaire au transport grâce à la force protomotrice. Une fois dans le périplasme, le complexe fer-sidérophore interagit avec une protéine périplasmique spécifique – FepB dans le cas de l’entérobactine. Puis ce complexe est importé vers le cytoplasme par un transporteur à domaine ATPase (« ATP Binding Cassette » ABC-transporter), constitué des protéines FepC, FepD et FepE pour l’entérobactine. Enfin, le sidérophore est clivé pour être éventuellement recyclé (par Fes pour l’entérobactine), tandis que le fer est relâché sous forme Fe2+

dans le cytoplasme ou bien pris en charge par diverses enzymes pour la synthèse de complexes Fe-S. Adapté de (Noinaj et al., 2010). ME : membrane externe ; MI : membrane interne.

La structure de FepA a été résolue il y a une vingtaine d’années (Buchanan et al., 1999) (Fig. 42.A) : il s’agit d’une OMP à tonneau β dont le tunnel est obturé par un domaine N- terminal globulaire. Cette structure a permis de proposer puis de démontrer l’intrigant

110 mécanisme de transport du complexe fer-entérobactine (Ma et al., 2007). Ainsi, le domaine N-terminal globulaire de FepA se déplace vers le milieu extérieur afin d’interagir avec un complexe fer-entérobactine, puis traverse le tonneau β de FepA afin de conduire ce complexe vers le périplasme. C’est le système à transduction d’énergie Ton, impliquant les protéines TonB, ExbB et ExbD, qui fournit l’énergie nécessaire à ce mécanisme (Ma et al., 2007; Rutz et al., 1992).

On remarquera avec intérêt que le complexe Ton fonctionne avec beaucoup d’autres systèmes d’import de fer dits « TonB-dépendants » (Fig. 42.B.), et plus généralement avec un grand nombre de transporteurs spécifiques (ou TBDT pour « TonB dependent transporter ») (Noinaj et al., 2010; Wandersman and Delepelaire, 2004). Cela inclut l’OMP FecA citée auparavant, mais aussi le récepteur FhuA aux complexes fer-ferrichrome, un autre sidérophore de fer. Il en est de même pour CirA, un récepteur spécifique aux complexes fer- DHB-Ser, le précurseur de l’entérobactine. Enfin, Ton fournit également l’énergie nécessaire à l’import d’autres ions et nutriments, tels que la vitamine B12, une molécule liant un atome de cobalt et importée dans la cellule par le récepteur BtuB.