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Chapitre I : Place de l’ARN dans l’évolution et Traduction bactérienne

B. Rouages de la traduction bactérienne

2. Démarrage de la traduction

Cette partie s’articulera autour des constituants ribosomiques et non ribosomiques nécessaires au démarrage de la traduction, une étape limitante primordiale pour la synthèse des protéines et dont les mécanismes ont été étudiés avec une extrême minutie dans la littérature.

a. Sous-unité ribosomique 30S et complexe de pré-démarrage

Le démarrage de la traduction nécessite la formation d’un complexe de pré-démarrage de la traduction, réunissant un certain nombre de facteurs protéiques et d’ARN qui seront détaillés ici. Chez les bactéries, cette étape de la traduction repose notamment sur la sous- unité 30S du ribosome.

L’une des clés du démarrage de la traduction se trouve dans la séquence de l’ARNr 16s de la petite sous-unité du ribosome. On trouve ainsi à l’extrémité 3’ de cet ARN une séquence d’une grande importance pour la formation du complexe de pré-démarrage de la traduction, à savoir la séquence anti-Shine Dalgarno (anti-SD). Celle-ci fait immédiatement référence à la séquence SD citée précédemment et faisant partie intégrante des ARNm (Fig. 8). L’anti-SD permet une reconnaissance spécifique du site de démarrage de la traduction par la sous-unité 30S, par simple appariement avec la séquence SD de l’ARNm (Jacob et al., 1987; Shine and Dalgarno, 1974). Le degré de complémentarité entre les séquences anti-SD et SD, variable d’un ARNm à un autre, est un déterminant crucial de l’affinité de la sous-unité 30S du ribosome pour un ARNm donné. En découlent la stabilité du complexe de pré-démarrage de la traduction et la fréquence à laquelle cet ARNm va être traduit en protéine. Les séquences SD et anti-SD sont donc d’une grande importance pour l’expression génétique chez les bactéries, et représentent une partie de ce que l’on appelle le site de fixation du ribosome ou « ribosome binding site » (RBS, voir Introduction II.C.1 et Fig. 18).

Hormis le degré de complémentarité entre SD et anti-SD, l’accessibilité de la séquence SD – c’est-à-dire l’absence de structure secondaire de l’ARNm au niveau du RBS, régit également la capacité du ribosome à reconnaître son site de fixation (de Smit and van Duin, 1994) (voir Introduction II.C.2.c). Par ailleurs, le codon de démarrage lui-même varie d’un

34 messager à un autre, et si les codons de démarrage AUG sont majoritaires, la traduction peut démarrer à des codons GUG, UUG, voire même AUC (Chalut and Egly, 1995), AUA (Romero and García, 1991) ou encore AUU pour le gène infC codant le facteur de démarrage IF3 (Butler et al., 1986; Tedin et al., 1999). D’une manière générale, un codon de démarrage AUG est bien plus favorable à une forte expression génétique que les autres (Ringquist et al., 1992; Romero and García, 1991). Un point de vue intéressant sur la présence de codons de démarrage alternatifs pour certains gènes est que cette caractéristique a pu être favorisée évolutivement par un avantage sélectif lié à la régulation gènes en question (voir Introduction II.C.1.c). Dans d’autres cas, une dérive génétique a pu avoir lieu, et des codons alternatifs ont pu apparaître simplement parce qu’une expression faible des gènes considérés était suffisante à la survie normale des bactéries.

Un autre déterminant d’une grande importance pour la formation du complexe de pré- démarrage de la traduction est la distance entre le SD et le codon de démarrage de la traduction (Chen et al., 1994; Gualerzi and Pon, 2015). Cela découle du fait que le codon de démarrage de la traduction est un élément de l’ARNm reconnu par le complexe formé par la sous-unité 30S avec l’ARNtfMet de démarrage sous sa forme aminoacylée (fMet-ARNtfMet). En

effet, ce derniera ceci de particulier qu’il n’interagit pas avec le ribosome sous sa forme entière 70S contrairement aux autres ARNt. Au lieu de cela, il interagit spécifiquement avec la sous-unité 30S, au niveau d’une région appelée site P (pour « peptidyl-tRNA ») – alors qu’un ARNt aminoacylé classique interagit avec le site A (pour « aminoacyl-tRNA »). On note que cette interaction entre site P et fMet-ARNtfMet semble pouvoir avoir lieu avant ou après la

reconnaissance d’un SD par la petite sous-unité du ribosome (Gold, 1988; Gualerzi and Pon, 2015). Cette interaction positionne la boucle anticodon de l’ARNtfMet à faible distance de l’anti-

SD de l’ARNr 16S, d’où l’existence d’une distance optimale entre SD et codon de démarrage de la traduction sur l’ARNm, d’environ 6 à 10 nt (Ringquist et al., 1992).

En résumé, le complexe de pré-démarrage de la traduction est composé de la sous- unité 30S du ribosome en association avec l’ARNm au niveau du RBS, et de l’ARNtfMet

aminoacylé en interaction avec le site P du ribosome et avec le codon de démarrage de la traduction de l’ARNm. La formation de ce complexe s’observe d’ailleurs assez aisément in

35 vitro, en l’absence d’autres facteurs de démarrage de la traduction, par de simples expériences de RT que l’on nomme « toeprints » (Hartz et al., 1988) (voir Revue n°1).

b. Autres facteurs nécessaires au démarrage de la traduction

Plusieurs protéines ribosomiques et facteurs de démarrage (IF pour « Initiation factor ») sont nécessaires à la séquence d’évènements aboutissant à la formation du complexe de démarrage de la traduction ; cette partie du propos leur sera consacrée.

Chez les bactéries, il existe trois facteurs de démarrage connus à ce jour : IF1, IF2 et IF3 (Simonetti et al., 2009), dont la structure en interaction avec la sous-unité 30S du ribosome a été résolue (Hussain et al., 2016; Simonetti et al., 2008) (Fig. 12). L’une des fonctions importantes de ces facteurs concerne l’incorporation de l’ARNt de démarrage au complexe de démarrage de la traduction. En effet, cet ARNt de démarrage nécessite une étape de maturation après son aminoacylation. Il est aminoacylé par un résidu méthionine classique par la méthionyl ARNt synthase, et ce résidu doit donc subir l’ajout d’un groupement formyl avant de pouvoir être intégré au complexe de pré-démarrage de la traduction ; c’est le rôle de la méthionyl-ARNt formyltransférase (Kozak, 1983; RajBhandary, 1994; Ramesh et al., 1997). En l’absence de cette modification, l’ARNt de démarrage ne peut être reconnu par le facteur IF2, ce qui empêche son incorporation au site P de la sous-unité 30S. La littérature semble d’ailleurs s’accorder sur le fait qu’IF2 interagit de prime abord avec la sous-unité 30S ou avec le fMet-ARNtfMet, tandis qu’un cas de figure où l’ARNt de démarrage interagirait d’abord avec

la sous-unité ribosomique serait plus rare (Milon et al., 2010; Tsai et al., 2012).

Par la suite, IF3 permet d’assurer que le bon ARNt de démarrage est parvenu au site P et participe à la reconnaissance du codon de démarrage par l’anticodon, puis aux changements de conformation nécessaires à la poursuite du processus de démarrage de la traduction. Le rôle particulier d’IF3 dans la discrimination des codons de démarrage de la traduction a été relevé de nombreuses fois dans la littérature (Meinnel et al., 1999; Sussman et al., 1996; Tedin et al., 1999) tandis qu’IF1 occupe le site A de la sous-unité 30S et fournit des sites de d’ancrage à IF2 et IF3. Ces facteurs de démarrage entrent donc chacun en interaction avec la sous-unité 30S pour le bon déroulement du processus de démarrage (Gualerzi and Pon, 2015; Hussain et al., 2016; Simonetti et al., 2009) (Fig. 12). Il convient de

36 spécifier que l’importance du groupement formyl de l’ARNt de démarrage et du point de contrôle effectué par les trois facteurs IF tient notamment au fait qu’ils empêchent l’allongement précoce de la traduction.

Figure 12 – Complexe de pré-démarrage de la traduction

A. Schéma des interactions entre divers composants du complexe de pré-démarrage de la traduction avec l’ARNm. Le corps et la tête de la sous-unité 30S du ribosome sont représentés avec certaines protéines ribosomiques qui y sont associées. L’ARNm est situé au niveau du tunnel ARN, avec les séquences représentatives du RBS indiquées en vert. Le fmet-ARNtfMet de démarrage est représenté en

rouge, au niveau du site P de la sous-unité 30S, avec sa boucle anticodon appariée au codon AUG de démarrage de la traduction. Les demi-lunes correspondent à des régions de l’ARNr 16S (voir Fig. 10.A) en interaction avec l’ARNm d’après des réactions de pontage (La Teana et al., 1995), où un triangle correspond à une interaction forte et les tirets noirs à une interaction plus faible. Il en va de même pour les protéines ribosomiques représentées en bleu, et dont les interactions fortes avec diverses régions du RBS sont indiquées par des triangles bleus, tandis que les interactions plus faibles sont représentées par des tirets gris. Pour la protéine S1, son interaction avec l’ARNm en amont du SD et sa position est déduite de (Sengupta et al., 2001). Enfin, les facteurs de démarrage de la traduction sont représentés en vert : IF1 au niveau du site A de la sous-unité 30S, IF2 en interaction avec IF1 et le groupement fMet de l’ARNt de démarrage, et IF3 à proximité du codon de démarrage de la traduction et en interaction avec les deux autres facteurs. Remarque : ce schéma correspond à une projection en deux dimensions, et les échelles ne sont pas respectées. D’après (Gualerzi and Pon, 2015; La Teana et al., 1995). B. Structure tridimensionnelle du complexe de prédémarrage de la traduction associé aux IF. Les différents domaines des facteurs IF sont ici mis en évidence. NTD : « N-terminal domain » ; CTD : « C- terminal domain » ; C2 : domaine d’interaction d’IF2 avec le groupement fmet de l’ARNt de démarrage. D’après (Hussain et al., 2016).

Certaines protéines ribosomiques ont également une fonction importante dans le démarrage de la traduction ; c’est notamment le cas de la protéine S1. Il s’agit de la plus grande protéine ribosomique, mais aussi de celle dont le lien avec le démarrage de la traduction est le plus évident, puisqu’elle stabilise l’interaction entre l’ARNm et la sous-unité 30S en interagissant avec les deux (Boni et al., 1991). Effectivement, S1 est en mesure d’interagir avec une séquence de 11 nt en amont de la séquence SD (Sengupta et al., 2001).

37 Plus récemment, son rôle dans la dénaturation de structures d’ARN à proximité du SD a été mis en évidence, permettant une meilleure reconnaissance par la sous-unité 30S (Duval et al., 2013). Des expériences de pontage (ou « crosslinking ») (La Teana et al., 1995), ainsi que les nombreuses études structurales précédemment évoquées, ont dévoilé de multiples interactions entre l’ARNm et d’autres protéines ribosomiques (Fig. 12.A).

c. Sous-unité ribosomique 50S et formation du complexe de démarrage de la traduction

L’assemblage entre les sous-unités 30S et 50S est une étape nécessaire pour former un ribosome complet. Ce n’est qu’après la formation du complexe de pré-démarrage de la traduction que le recrutement de la sous-unité 50S devient possible du fait de la dissociation d’IF3 puis d’IF1 du reste du complexe (Fabbretti et al., 2007) (Fig. 13). La relocalisation de l’ARNt de démarrage dans une position plus adéquate à l’interaction avec la sous-unité 50S est importante, et requiert l’activité GTPase d’IF2 (Antoun et al., 2003; Grigoriadou et al., 2007), qui consiste en l’hydrolyse d’une molécule de guanosine triphosphate (GTP). S’ensuit le relargage du facteur IF2, et c’est un facteur d’allongement de la traduction, nommément EF-Tu, qui va entrer en interaction avec le ribosome et amener l’aa-ARNtaa spécifié par le

deuxième codon de l’ARNm au site A (Voorhees and Ramakrishnan, 2013; Yamamoto et al., 2013), déclenchant le processus d’allongement de la traduction. L’ensemble des étapes résumant la formation des complexes de pré-démarrage et de démarrage de la traduction sont représentées dans la figure 13.

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Figure 13 – Démarrage de la traduction bactérienne

Principales étapes de la formation des complexes de pré-démarrage (A) et de démarrage (B) de la traduction. Brièvement, les facteurs IF2 et IF3 (1) puis IF1 (2) se fixent à la sous-unité 30S ; l’ARNt de démarrage est recruté par IF2 et l’ARNm entre en interaction avec la sous-unité 30S sans ordre préférentiel (3, 3’) ; les structures de l’ARNm sont défaites par l’activité hélicase du ribosome (4) et le complexe de pré-démarrage est verrouillé dans cette configuration quand IF3 ne décèle pas de problème de correspondance et de conformation entre les différents composants du complexe de pré-démarrage (5). La sous-unité 50S peut ensuite être recrutée (6), coïncidant avec le relargage d’IF3 (7) puis d’IF1 (8) ; IF2 positionne correctement l’ARNt de démarrage via l’hydrolyse d’une molécule de GTP + phosphate en GDP + pyrophosphate (10), puis IF2 est détaché du complexe (11) ; l’allongement de la traduction peut alors commencer avec l’intervention de EF-Tu qui participe au recrutement au site A de l’aa-ARNtaa décodant le deuxième codon de l’ARNm (12), suivie par la formation de la liaison

peptidique entre le fmet de l’ARNt de démarrage et l’aa du second ARNt, une réaction catalysée par le ribosome (13). Adapté de (Gualerzi and Pon, 2015).

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