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Chapitre II : Expression génétique et sa régulation par l’ARN chez les entérobactéries

A. Transcription et régulation transcriptionnelle

2. Régulateurs ARN de la transcription

Si les ARN régulateurs connus à ce jour agissent dans leur grande majorité au niveau post-transcriptionnel, il est intéressant de s’attarder sur ceux opérant au niveau transcriptionnel, afin de percevoir au mieux l’étendue de la diversité des mécanismes à travers lesquels les ARN peuvent réguler l’expression génétique.

a. ARN 6S : un ARN mimant un ADN

L’ARN 6S a été le premier petit ARN non-codant identifié (Banerjee et al., 1969), mais sa fonction dans la régulation transcriptionnelle n’a été élucidée que trente ans plus tard (Wassarman and Storz, 2000), alors que la science vivait un grand bouleversement lié à la découverte du rôle de nombreux petits ARN régulateurs dans le contrôle de l’expression génétique, et ce dans les trois domaines du vivant. Conservé chez les bactéries, cet ARN 6S est aujourd’hui l’un des mieux connus. On sait ainsi qu’il séquestre des ARNpol associées à σ70 et permet l’expression de gènes dépendants d’autres facteurs σ. On sait ainsi qu’en phase stationnaire, où il est le plus abondant, l’ARN 6S séquestre les ARNpol associées à σ70 et permet ainsi l’expression de gènes dépendants d’autres facteurs σ comme, par exemple, σS (Cavanagh et al., 2008; Trotochaud and Wassarman, 2005). On remarque ici la subtilité de ce mécanisme, puisque la structure et la séquence du 6S ont évolué pour imiter celles d’un promoteur σ70-dépendant, dès lors reconnues par les ARNpol associées à σ70. Cette séquestration est levée dès lors que les cellules rentrent à nouveau en phase exponentielle de croissance, avec la dégradation de l’ARN 6S. (Pour plus de détails : voir Revue n°2).

46 b. Riboswitches et terminaison transcriptionnelle

Il existe deux mécanismes principaux via lesquels la transcription d’un ARN peut s’achever, impliquant des terminateurs de transcription. D’une part, 20 à 30% des gènes bactériens ont des terminateurs Rho-dépendants et dépendent de l’intervention du facteur protéique Rho, capable de se fixer à l’ARN et de déloger l’ARNpol lors d’une pause transcriptionnelle (Boudvillain et al., 2013). D’autre part, on trouve dans la majorité des gènes chez les bactéries des terminateurs Rho-indépendants (Fig. 16). Ces régions situées à l’extrémité 3’ des ARN forment une structure secondaire en tige-boucle et fonctionnent de concert avec une séquence poly-U en aval de la tige-boucle, qui forme un hybride instable avec la séquence poly-A du brin ADN utilisé comme matrice par l’ARNpol, permettant le détachement de l’ARNpol (Greive and von Hippel, 2005).

Figure 16 – Terminateur transcriptionnel Rho-indépendant

L’ARN est représenté en vert et apparié avec le brin matrice de l’ADN en bleu ici. Cet appariement implique un hybride entre une séquence ARN poly-U et une séquence ADN poly-A. La bulle de transcription correspond ici à la portion d’ADN qui ne forme pas une double hélice entre le brin sens et le brin matrice, car ce dernier est occupé par l’ARNpol et l’ARN néo-synthétisé. D’après (Greive and von Hippel, 2005).

Dans un grand nombre de cas la terminaison de la transcription est un phénomène non régulé. Cependant, certains gènes ont la capacité de moduler leur propre expression en tirant avantage de l’aptitude de certaines structures ARN à mettre prématurément fin à la transcription – on appelle ce mécanisme l’atténuation transcriptionnelle (Naville and

47 Gautheret, 2010). Cela peut se faire via l’action de riboswitches, des senseurs ARN détectant la présence de molécules spécifiques, telles que des métabolites ou des ions, et s’y liant via une région aptamère. Cette interaction va entraîner le changement de structure d'une seconde région, la plateforme d’expression. Ce changement de structure (ou « switch ») peut notamment faire apparaître un terminateur précoce de la transcription ou au contraire d’un anti-terminateur perturbant la structure d’un terminateur préexistant, permettant ainsi la régulation génétique (Serganov and Nudler, 2013).

L’un des premiers riboswitches régulateur de la transcription à avoir été décrit est le riboswitch présent dans le 5’UTR de l’ARNm polycistronique ribGBAHT de B. subtilis (Mironov et al., 2002). Cet opéron code les enzymes de la voie de biosynthèse de la riboflavine (ou vitamine B2), entrant dans la composition du dinucléotide flavine-adénine (FAD). Ainsi le riboswitch inclus dans le 5’UTR de l’ARNm change de structure en réponse au FAD pour former un terminateur précoce de transcription, prévenant la synthèse de flavine quand le produit final FAD utilisé par la cellule est présent en quantité suffisante, et formant une boucle de rétrocontrôle négatif. Cette régulation permettrait donc à la cellule d’économiser à la fois la synthèse des enzymes de la voie de biosynthèse de la flavine et la synthèse de la flavine elle- même, et d’utiliser plus efficacement les ressources dont elle dispose.

Il existe par ailleurs chez les entérobactéries des exemples de riboswitches provoquant l’apparition d’un terminateur rho-dépendant, c’est-à-dire en l’occurrence une structure d’ARN reconnue par Rho (Hollands et al., 2012). D’autres riboswitches peuvent néanmoins avoir des effets régulateurs post-transcriptionnels (voir Introduction II.C.2.a), tandis que l’atténuation ne se limite pas aux effets de riboswitches, et peut notamment impliquer des changements de structures d’ARNm répondant à la fixation de facteurs protéiques ou ARN (Naville and Gautheret, 2010).

c. Régulateurs transcriptionnels agissant par appariement de séquence : les ARN antisens

Certains ARN non codants peuvent avoir un effet régulateur transcriptionnel du fait de leur localisation par rapport au gène régulé. C’est le cas des ARN antisens (asRNA) transcrits à partir des brins complémentaires aux brins ADN matrices d’ARNm (Thomason and Storz,

48 2010). Ces asRNA sont très répandus du fait de la transcription cryptique ou « envahissante » (« pervasive ») à partir de nombreux locus semblables à des promoteurs. Si leurs mécanismes d’action restent généralement mal compris, plusieurs mécanismes ont été proposés et étudiés. La configuration des promoteurs convergeant peut par exemple provoquer un phénomène d’interférence transcriptionnelle où les ARNpol convergeant l’une vers l’autre lors de la synthèse de l’ARNm ou de l’asRNA entrent en collision (Fig. 17.A). C’est ce qui a été observé avec les promoteurs convergents pL et pR, déterminant respectivement les phases lysogénique ou lytique du bactériophage 186 infectant E. coli (coliphage) (Callen et al., 2004). En effet, c’est l’orientation des promoteurs qui provoque la régulation du promoteur le plus faible (pL) par le plus fort (pR), tandis qu’une expression des deux gènes à partir de loci différents ne permet plus d’observer cette régulation.

Figure 17 – Régulation transcriptionnelle par des asRNA

Le gène régulé est représenté en bleu, avec un gène antisens (as) en rouge exprimé depuis le brin ADN complémentaire. Cette configuration génétique peut entraîner une interférence transcriptionnelle (A), avec une collision entre les deux ARNpol convergeant l’une vers l’autre. Cela peut aussi aboutir au phénomène d’atténuation transcriptionnelle (B), avec l’asRNA (en rouge) s’appariant à l’ARNm néo- synthétisé (en bleu), modifiant ainsi la structure de l’ARNm pour former un terminateur arrêtant la transcription par l’ARNpol. Les flèches jaunes indiquent le sens de la transcription.

Mais ce n’est pas le seul mécanisme de régulation par les asRNA, qui peuvent également interagir directement avec l’ARNm du fait de leur complémentarité parfaite. Cela peut notamment entrainer un effet d’atténuation transcriptionnelle semblable à celui de certains riboswitches, en modifiant la structure secondaire de l’ARNm (Fig. 17.B), à l’image de l’asRNA RNAIII avec l’ARNm plasmidique repR chez B. subtilis (Brantl et al., 1993). Du fait de cette complémentarité parfaite, les asRNA peuvent également avoir des effets post- transcriptionnels qui seront abordés par la suite (voir Introduction II.C.3.a).

49 Ce regard sur les divers modes de régulation transcriptionnelle de l’expression génétique laisse déjà entrevoir les nombreux mécanismes de régulation impliquant les ARN. Une considération intéressante vis-à-vis des régulations transcriptionnelles par l’ARN est qu’elles sont nécessairement apparues après la transcription elle-même au cours de l’histoire évolutive. Cette catégorie d’ARN régulateurs a donc vraisemblablement évolué au fur et à mesure que la transcription devenait un mécanisme de plus en plus important au sein des organismes. Des ARN préexistants ont ainsi pu acquérir de nouvelles fonctions régulatrices, tandis que d’autres ont pu voir le jour à partir de promoteurs plus ou moins cryptiques à proximité de gènes codants, à l’instar de certains asRNA. Les ARN actuels ne sont donc pas cantonnés aux fonctions héritées des origines de la vie et sont également évolutivement adaptés à de nouvelles fonctions, notamment régulatrices, au sein des cellules.