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Chapitre III : Adaptation des entérobactéries à l’environnement, réponse au stress et ARN régulateurs

B. Réponse au stress, ARN régulateurs et circuits de régulation

2. Facteurs sigma et ARN régulateurs

Les facteurs σ sont des acteurs majeurs de la réponse au stress non seulement du fait de leurs régulons souvent très étendus, mais aussi parce que les mécanismes qui permettent leur libération et leur action dans la cellule sont très rapides. En effet, ils sont souvent déjà présents dans la cellule au moment du stress et sont simplement libérés d’une interaction inhibitrice avec un anti-σ répresseur, à l’image de σ70 avec l’ARN 6S évoqué précédemment. Cela évite à la cellule d’avoir à synthétiser le facteur σ lui-même lors du stress, au cours duquel une réponse rapide peut s’avérer primordiale. Le fait que les facteurs σ mobilisent l’ARNpol pour la synthèse des gènes de leurs régulons est également très important, puisque cela permet de focaliser l’expression génétique de la cellule sur le besoin le plus urgent de réponse au stress. Je m’attarderai ici sur le facteur σE, qui est un régulateur majeur de la réponse au stress membranaire, puis sur le lien existant entre σE et le sRNA RseX que j’ai étudié au cours de cette thèse. J’aborderai également σS et le sRNA SdsR, qui sont d’importants éléments de la réponse au stress notamment en phase stationnaire de croissance.

a. Réponse au stress membranaire : le facteur σE et le sRNA RseX

Le facteur σE est une protéine essentielle régulant l’expression d’un grand nombre de gènes directement liés à la physiologie de la membrane (Fig. 36). L’accumulation de LPS dans le périplasme (Lima et al., 2013) et d’OMP mal adressées à la membrane externe (Walsh et al., 2003) sont autant de stimuli intégrés par σE. Ces conditions correspondent à des situations de stress membranaire qui provoquent la dégradation de l’anti-σ RseA ancré à la membrane interne, entraînant le relargage de σE dans le cytoplasme (Chaba et al., 2007). σE va ainsi pouvoir activer la transcription de nombreux gènes impliqués dans la réponse au stress

100 membranaire (Grabowicz and Silhavy, 2017). On compte parmi les gènes régulés des protéases périplasmiques qui vont dégrader le surplus d’OMP, mais aussi des chaperonnes permettant un meilleur adressage des OMP. Les gènes du complexe Bam font d’ailleurs partie des gènes régulés par σE (Dartigalongue et al., 2001), et l’augmentation de leur expression permettra également l’intégration plus rapide d’OMP à la membrane externe. Le gène lptD est une autre cible de σE (Dartigalongue et al., 2001) dont l’activation permet un meilleur export du LPS à la membrane externe.

Figure 36 – Le facteur σE et la réponse au stress membranaire

En l’absence de stress, σE est ancré à la membrane via une interaction avec l’anti-σ RseA (encadré de gauche). Cet anti-σ est stabilisé par la protéine périplasmique RseB, qui réprime l’activité protéase de DegS. En cas de stress, des OMP et des LPS non intégrés à la ME (membrane externe) s’accumulent dans le périplasme et activent la protéase DegS, tandis que la protection de RseA par RseB est levée. RseA va donc être dégradée par DegS, ce qui entraîne le relargage de σE. Ce dernier peut alors activer la transcription de nombreux gènes permettant de répondre au stress, y compris trois sRNA. Ces sRNA répriment la synthèse de diverses protéines dont l’accumulation serait délétère pour la cellule. D’après (Guo et al., 2014).

Ce facteur σ induit également la transcription des sRNA Hfq-dépendants MicA, RybB et MicL (Guo et al., 2014; Johansen et al., 2006) (Fig. 36), qui répriment l’expression de gènes dont les produits aggraveraient la situation de stress. Ainsi MicA et RybB contrôlent négativement l’expression de nombreuses OMP, évitant leur accumulation inutile alors que le périplasme regorge déjà d’OMP mal adressées (Gogol et al., 2011). On compte notamment le gène d’OMP majeure ompA parmi leurs cibles communes, tandis qu’ompX est une cible spécifique de MicA et que les gènes ompC et ompF figurent parmi les cibles de RybB. La synthèse de Lpp, une autre protéine d’une grande importance dans la physiologie

101 membranaire, est quant à elle réprimée par MicL (Guo et al., 2014). Lpp est la plus abondante des protéines chez E. coli, et permet de lier la paroi peptidoglycane à la membrane externe. Un mauvais adressage de cette protéine et son accumulation au périplasme entraînent le mauvais adressage à la fois d’OMP et de LPS, d’où la nécessité de réprimer son expression précisément dans ces conditions.

Il existe cependant d’autres sRNA liés à la réponse au stress membranaire σE- dépendante, à l’image du sRNA Hfq-dépendant RseX (Fig. 37). La surexpression de ce dernier permet ainsi de supprimer la létalité d’une délétion de degS (Douchin et al., 2006). Cette délétion entraîne une forte stabilisation de RseA et rend impossible la libération de σE en cas de stress membranaire (Fig. 36). Les auteurs de cette étude démontrent qu’en réprimant la synthèse d’OmpA et OmpC, la surexpression de RseX rend cette mutation viable, tout comme une double délétion des gènes ompA et ompC. Cela suit une logique intéressante puisque σE réprime également indirectement la synthèse de ces deux OMP via l’action de micA et de rybB. On peut donc en déduire que ces effets répresseurs sont d’une grande importance en conditions de stress, et qu’en l’absence d’un facteur σE actif une trop forte expression d’ompA et ompC devient létale pour la cellule, ce qui a été démontré par la suite (Gogol et al., 2011; Papenfort et al., 2006).

Figure 37 – Le sRNA Hfq-dépendant RseX

Locus du gène rseX (en rouge) sur le chromosome d’E. coli et des entérobactéries apparentées (A) : ce gène est situé dans la région qui sépare les gènes codants hypothétiques yedR et ompS1 (en bleu), dont la fonction n’est pas connue à ce jour. Le promoteur de rseX proposé par (Douchin et al., 2006) est indiqué avec les séquences consensus -35 et -10 ainsi que le TSS en caractères gras et soulignés. La séquence ainsi que la structure de RseX prédite par le programme mfold (Zuker, 2003) sont représentées

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en (B), avec les paires de bases G-C en rouge, les paires A-U en bleu et les paires de base Wobble G-U en vert. D’après (Douchin et al., 2006).

Si l’effet de RseX est indéniablement lié à la physiologie de la membrane externe, sa propre régulation n’est toujours pas élucidée à ce jour. L’expression de cet ARN à partir de son locus chromosomique n’a d’ailleurs jamais pu être observée par la technique classique de Northern Blot. On peut cependant noter avec intérêt que ce sRNA est l’un des plus fortement exprimés chez des salmonelles infectant des fibroblastes de rat (Ortega et al., 2012). J’ai étudié au cours de ma thèse la question de la régulation de RseX, qui sera discutée dans la partie Résultats II.B.2.

b. Phase stationnaire de croissance : le facteur σS et le sRNA SdsR

Le facteur σS est avec σE l’un des facteurs σ les plus étudiés ; il est conservé chez la plupart des β-, ϒ- et δ-protéobactéries. Si sa présence n’est pas essentielle, il est considéré comme le régulateur majeur de la réponse au stress, notamment en stress thermique, en cas de dommages à l’ADN chromosomique ou encore en phase stationnaire de croissance (Battesti et al., 2011; Hengge, 2011) (Fig. 38). Si cette phase stationnaire correspond à des conditions de culture liquide au laboratoire, on peut considérer qu’elle se rapproche de conditions de stress fréquemment rencontrées par les bactéries. En effet, elle peut se comparer à l’épuisement de l’essentiel des ressources nécessaires à la croissance, à commencer par la ou les sources de carbone. Dans de telles conditions, il est notamment nécessaire de préparer la cellule à des conditions de stress prolongé. On trouve ainsi dans le régulon de σS des gènes impliqués dans la réponse au stress oxydatif, protégeant notamment la cellule contre des molécules causant des dommages à l’ADN, ou encore des gènes de la voie de biosynthèse du glycogène, une molécule permettant le stockage de l’énergie sur le long terme (Hengge, 2011). Cependant, vue l’étendue du régulon de σS qui comprend à peu près 10% des gènes chez E. coli, il semble évident que bien d’autres fonctions sont affectées par ce régulateur, à l’image de l’adhésion des cellules (Mika and Hengge, 2014).

Contrairement à σE, σS n’est pas constitutivement présent dans les cellules et sa synthèse est activée au niveau transcriptionnel et traductionnel en réponse à divers stimuli. De nombreuses cascades de régulation aboutissent ainsi à la synthèse de σS et à son association à l’ARNpol (Fig. 38), impliquant divers SDC mais aussi d’autres régulateurs de

103 l’expression génétique, tels que l’alarmone ppGpp, un nt modifié également important dans la réponse globale au stress. On remarque avec intérêt que de nombreux sRNA Hfq- dépendants interviennent dans la régulation de la synthèse de σS, à savoir DsrA, ArcZ, RprA et OxyS (Fig. 38, voir Revue n°1). Plus étonnamment, de nombreux processus régulent la stabilité de la protéine σS, ce qui constitue une voie inhabituelle de régulation (Fig. 38).

Figure 38 – Rôle central du facteur σS dans la réponse au stress

Schéma simplifié des voies de régulation de σS. Ce facteur σ répond à de nombreux stimuli (en bleu) à la fois lors de sa transcription, de sa traduction, de son association avec l’ARNpol ainsi que lors de sa dégradation. Certains nucléotides modifiés (ppGpp, cAMP), sRNA (DsrA, ArcZ, RprA, OxyS) et protéines (CRP, Crl, Rsd, ClpXP, RssB, IraP/B/M) sont indiquées respectivement en vert ou en rouge selon qu’elles agissent positivement ou négativement sur l’un de ces processus. Adapté de (Hengge, 2011).

On note également que le régulon de σS compte de nombreux sRNA Hfq-dépendants. Parmi les sRNA de ce régulon, on trouve notamment GadY, impliqué dans la réponse au stress acide chez E. coli (Opdyke et al., 2004), mais aussi SdsR (Frohlich et al., 2012). Ce sRNA Hfq- dépendant est tout à fait intrigant dans la mesure où il possède un ARN antisens RyeA dont la fonction reste inconnue à ce jour (Vogel, 2003) (Fig. 39). Par ailleurs, une étude globale indique qu’OmrA serait également moins exprimé dans un mutant rpoS- chez S. enterica (Lévi- Meyrueis et al., 2014), ce qui expliquerait que l’expression d’OmrB s’observe en début de phase stationnaire de croissance tandis que celle d’OmrA s’observe mieux en phase stationnaire avancée (Wassarman, 2001) (voir Résultats II.A.1.b). Cette même étude suggère que l’expression de RyhB, conservé chez les entérobactéries et les vibrionaceae et important en conditions de carence en fer, pourrait également être affectée par σS (Lévi-Meyrueis et al., 2014; Padalon-Brauch et al., 2008).

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Figure 39 – Le sRNA Hfq-dépendant SdsR

A. Locus chromosomique du gène sdsR et de son antisens ryeA (en rouge) chez les entérobactéries. Ces gènes sont situés dans la région séparant le gène codant hypothétique yebY (en bleu) et le gène pphA (en bleu également) codant une phosphatase impliquée dans la réponse au stress thermique. B. Séquence de SdsR ainsi que sa structure secondaire déterminée par (Fröhlich et al., 2016) avec les paires de bases Watson-Crick représentés par des traits pleins et la paire de base Wobble représentée en pointillés. Les nt en gras correspondent à une région de SdsR s’appariant aux cibles ARNm.

Il est connu depuis peu que le régulon du sRNA SdsR est relativement large (Fröhlich et al., 2016) (Fig. 40) et inclut plusieurs OMP, à l’instar de nombreux sRNA cités précédemment, mais aussi des régulateurs globaux tels que CRP et StpA. Ont été étudiées plus en détail la répression de la synthèse de la protéine OmpD, impliquée dans la virulence chez S. enterica (Frohlich et al., 2012), ainsi que celle de MutS chez E. coli (Gutierrez et al., 2013). Cette dernière protéine est d’une grande importance dans la réparation de mésappariements lors de la réplication de l’ADN. Sa répression par SdsR peut donc sembler étonnante alors que SdsR peut être induit par σS précisément dans des conditions où l’ADN est endommagé. Les auteurs suggèrent qu’il s’agirait d’un moyen pour les bactéries de promouvoir la diversité génétique, afin d’augmenter la probabilité d’apparition de mutations bénéfiques dans des conditions précises de stress. Il s’agit d’une hypothèse intéressante du point de vue de l’évolution, dans la mesure où la production de diversité génétique serait dès lors inscrite dans le programme génétique des bactéries. Cela permettrait à ces dernières de survivre dans certains environnements hostiles non seulement via la modulation des gènes exprimés, mais aussi via l’accélération du processus de sélection naturelle.

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Figure 40 – Le régulon du sRNA SdsR

A. Représentation schématique de SdsR et de son régulon d’après une étude transcriptomique chez S. enterica (Fröhlich et al., 2016). Deux régions successives de SdsR (en vert clair et vert foncé) peuvent s’apparier à diverses cibles ARNm, parmi lesquelles on compte des gènes d’OMP (en rouge), des gènes impliqués dans le métabolisme (en jaune) et des gènes de protéines liant l’ADN (en bleu). La paire de ciseaux indique un clivage générant une forme courte de SdsR (en +31 par rapport au TSS). D’après (Fröhlich et al., 2016).

Les sRNA sont donc impliqués dans l’ensemble des voies de réponse au stress et des réseaux de régulation discutés jusqu’ici – il s’agit d’ailleurs plus vraisemblablement d’une règle que d’une exception, comme le suggèrent des exemples de plus en plus nombreux décrits dans la littérature (voir Revue n°2). Par ailleurs, il est intéressant de constater que des protéines membranaires font très souvent partie des régulons de ces sRNA. Cela semble logique dans la mesure où l’enveloppe cellulaire est, comme nous l’avons vu, au cœur de la réponse aux stress. Ainsi, s’il n’est pas certain que l’expression de tout gène soit régulée par au moins un sRNA, il serait tentant de proposer que cela puisse être le cas de l’ensemble des protéines membranaires, au moins chez les entérobactéries et peut-être même au-delà.