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Chapitre II : Expression génétique et sa régulation par l’ARN chez les entérobactéries

C. Régulation post-transcriptionnelle par les ARN

2. ARNm et structures régulatrices

a. Riboswitches et effets post-transcriptionnels

Si certains riboswitches régulent la transcription, beaucoup agissent au niveau post- transcriptionnel, et contrôlent fréquemment le démarrage de la traduction. En effet, l’accessibilité du RBS est déterminante pour initier correctement la traduction, et de nombreux riboswitches permettent des réarrangements de structure d’ARNm à même d’occulter ou au contraire de libérer le RBS afin que la sous-unité 30S du ribosome puisse le reconnaître et s’y fixer (Fig. 19.A). On trouve ainsi chez E. coli, au sein du 5’UTR des deux ARNm thiM et thiC codant des enzymes impliquées dans la synthèse de la thiamine (ou vitamine B1),

deux riboswitches similaires capables de lier la thiamine (Winkler et al., 2002). En réponse à une forte concentration en thiamine, ces riboswitches changent de conformation pour séquestrer le SD dans une structure secondaire. Cela entraîne une inhibition de la fixation du ribosome, et une régulation négative de l’expression de ces deux gènes.

Cependant, il existe une grande diversité de mécanismes de régulation post- transcriptionnelle par des riboswitches. Par exemple, certains riboswitches sont également des ribozymes, et sont capables de cliver l’ARNm dont ils font partie en réponse à une interaction avec leur ligand glucosamine-6-phosphate, induisant la dégradation de l’ARNm via l’action d’une RNase (Winkler et al., 2004) (Fig. 19.B). D’autres riboswitches se rapprochent des « self-splicing introns » évoqués précédemment, et permettent un épissage de l’ARNm dont ils font partie en réponse au ligand c-di-GMP, libérant ainsi un RBS pour la fixation du ribosome (Lee et al., 2010) (Fig. 19.C).

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Figure 19 – Diversité des mécanismes de régulation post-transcriptionnelle par des riboswitches

Exemples de mécanismes de régulation post-transcriptionnelle impliquant des riboswitches. A. En interagissant avec le ligand, le riboswitch peut changer de structure pour séquestrer le SD ou le libérer d’une structure séquestrant le SD, entraînant respectivement une inhibition ou une activation de la traduction. B. Le ligand peut enclencher une activité ribozyme du riboswitch pour cliver l’ARNm, libérant une extrémité 5’-OH. L’ARNm peut alors être dégradé par une exonucléase telle que la RNase J chez les bactéries à Gram positif. C. En réponse à la fixation du ligand, le riboswitch peut modifier une activité catalytique préexistante pour générer un épissage alternatif, permettant un rapprochement entre une séquence SD et le codon de démarrage de la traduction et activant ainsi la traduction. D’après (Serganov and Nudler, 2013).

D’une façon intéressante, ces riboswitches sont souvent impliqués dans des boucles de rétrocontrôle négatif, à l’image de ce qui a été évoqué pour la régulation transcriptionnelle de l’opéron rib par un riboswitch répondant au FAD chez B. subtilis. Cela suggère que ces riboswitches ont été conservés car ils sont efficaces notamment pour réguler des voies de biosynthèse impliquant plusieurs enzymes, comme dans le cas de la synthèse de la thiamine ou du FAD, des vitamines ou dérivés de vitamines d’une grande importance pour les bactéries mais dont la production peut être coûteuse en ressources. Par ailleurs, leur conservation découle vraisemblablement également du fait qu’ils sont situés en cis des ARNm dont ils

57 régulent la transcription ou la traduction, ce qui augmente la probabilité qu’ils soient conservés de concert avec le restant du gène régulé.

On peut également souligner le fait que ces riboswitchs ont souvent une très grande affinité pour les ligands auxquels ils répondent. Cette caractéristique a certainement été d’une importance majeure au cours de l’évolution, car elle a pu permettre à des ARN catalytiques d’interagir très spécifiquement avec divers métabolites et ions nécessaires aux cellules, et ce avant même l’apparition des protéines. A bien des égards, il est possible de considérer ces riboswitch régulateurs de l’expression génétique comme une adaptation moderne d’ARN catalytiques auparavant impliqués plus directement dans des voies de biosynthèse. Néanmoins, une autre façon d’appréhender l’apparition de certains riboswitches est de considérer que les ARN peuvent très rapidement évoluer pour développer des affinités très spécifiques du moment qu’une pression de sélection appropriée leur est imposée. C’est d’ailleurs cette caractéristique qui est souvent exploitée pour la production d’aptamères – le plus souvent des ARN, ayant une grande affinité pour un ligand – via la technique de SELEX (pour « systematic evolution of ligands by exponential enrichment) (Gold et al., 1995).

b. Thermosenseurs

Les thermosenseurs sont parfois assimilés à des riboswitches dans la mesure où ce sont des éléments en cis d’ARNm répondant à un stimulus en changeant de structure, conduisant à une régulation de l’expression génétique. Ils en diffèrent néanmoins, du fait qu’ils n’interagissent avec aucun ligand, et sont au lieu de cela sensibles à la température (Nocker et al., 2001). Il faut porter ici une attention particulière au fait que toute structure d’ARN est sensible à la température et peut être dénaturée par la chaleur. Les thermosenseurs ont cela de particulier qu’ils sont sensibles à des températures très spécifiques, ayant une répercussion physiologique pour la bactérie. Par exemple, on comprendra qu’une augmentation de la température de 30°C à 37°C peut correspondre à l’entrée en contact avec un hôte humain pour une bactérie commensale ou pathogène. Bien entendu, d’autres températures peuvent avoir un sens physiologique pour des bactéries adaptées à d’autres milieux et soumises à des variations de température différentes.

58 Si certains thermosenseurs peuvent avoir un effet d’atténuation transcriptionnelle, d’autres agissent au niveau post-transcriptionnel. C’est par exemple le cas d’un élément en cis de l’ARNm prfA codant un facteur de virulence chez la bactérie à Gram positif Listeria monocytogenes, une bactérie pathogène pour l’être humain (Johansson et al., 2002). Les auteurs démontrent ainsi qu’une structure de cet ARNm entravant l’accès au RBS à 30°C est dénaturée à 37°C, permettant la traduction à cette température. Il pourrait s’agir d’un moyen de contrôler l’expression de ce facteur de virulence pour ne l’exprimer qu’à des températures signalant une potentielle interaction avec un hôte.

c. Autres structures ayant un impact sur l’expression génétique

D’autres éléments en cis de l’ARNm peuvent former des structures secondaires affectant l’expression génétique au niveau post-transcriptionnel. Si ces structures n’ont pas d’effet régulateur à elles-seules, certaines pourraient être ciblées par divers régulateurs. Ainsi, l’altération de ces structures peut entraîner des effets importants sur l’expression génétique.

On peut ainsi souligner le cas d’une tige-boucle trouvée chez E. coli en amont de la séquence epsilon du gène fis, qui est impliqué dans la formation du nucléoïde, c’est-à-dire la région du cytoplasme bactérien contenant l’ADN chromosomique. Ce gène est exprimé à partir de l’opéron dusB-fis, et la tige-boucle en question ainsi que la séquence epsilon sont toutes deux incluses à la fin du gène dusB (Fig. 20), respectivement 50 nt et 31 nt en amont du codon de démarrage du gène fis, qui semble par ailleurs dépourvu de séquence SD.

De façon surprenante, les auteurs démontrent qu’une majorité de mutations provoquant l’ouverture de la tige-boucle entraîne une diminution importante de l’expression de fis, tandis que des mutations compensatoires restaurant la structure restaurent systématiquement l’expression génétique. Les auteurs se sont également assurés que l’effet était strictement post-transcriptionnel à l’aide de fusions transcriptionnelles et traductionnelles de fis avec le rapporteur lacZ. Si le mécanisme de régulation n’est pas élucidé, les auteurs proposent que cette structure participe au démarrage de la traduction de concert avec la séquence epsilon, peut-être via une interaction avec la protéine S1, et ce malgré la position lointaine de la tige-boucle vis-à-vis du codon de démarrage de fis. Il serait par ailleurs

59 particulièrement intéressant de savoir si des ARN régulateurs ou d’autres facteurs en cis ou en trans peuvent cibler cette structure afin de réguler la synthèse de la protéine Fis.

Figure 20 – Une structure activatrice de la traduction en amont du RBS de fis

L’opéron dusB-fis est exprimé depuis un promoteur en amont de dusB ; les flèches bleues correspondent aux ORF des deux gènes. Le détail des structures primaire et secondaire de la fin du cistron dusB et de la région intergénique est représenté ici jusqu’au le codon de démarrage du gène fis (codon « start »). Les éléments de séquence impliqués dans l’expression de fis sont encadrés en vert, tandis que le codon « stop » de dusB est encadré en rouge. La position des nt est indiquée par rapport à la position du codon de démarrage de fis. Sont respectivement encerclés en noir ou en gris les nt de la tige boucle activatrice affectant fortement ou faiblement l’expression de fis lorsqu’ils sont mutés. Les accolades correspondent aux groupes de mutations introduites par les auteurs. D’après (Nafissi et al., 2012).

On retrouve un autre exemple de structure secondaire ayant une influence positive sur l’expression génétique au niveau post-transcriptionnel dans une étude caractérisant l’effet de l’insertion de structures à proximité ou dans le RBS de divers gènes (Paulus et al., 2004). L’équipe en question cherchait ici à favoriser la synthèse de protéines hétérologues, c’est-à- dire provenant d’autres espèces, chez E. coli ou par la machinerie traductionnelle purifiée d’E. coli. Les auteurs ont donc modifié le 5’UTR de ces ARNm hétérologues afin qu’ils contiennent les éléments d’un RBS classique chez E. coli, et inséré des structures en tige-boucle à des positions différentes en aval du codon de démarrage pour en étudier les effets. (Fig. 21). Les auteurs ont pu démontrer ainsi qu’en fonction de la position d’insertion de la structure secondaire, mais aussi de sa stabilité, elle peut avoir des effets bien différents.

En résumé, à proximité directe du codon de démarrage de la traduction une tige- boucle devient inhibitrice quand son énergie libre atteint -7,8kcal.mol-1, soit l’équivalent d’une

60 tige-boucle parfaite de 6 paires de bases (pb). L’insertion d’une tige-boucle parfaite de 8pb réprime quant à elle l’expression génétique pour autant qu’elle soit située à moins 13 nt en aval du codon de démarrage de la traduction (+13). Inversement, cette insertion semble devenir légèrement activatrice à partir de la position +16 et au-delà. Il est difficile de juger de l’effet exact de ces tiges-boucles du fait de l’absence de mutants démontrant que l’effet provient uniquement de la structure et non des codons insérés. Les auteurs ont cependant démontré que l’insertion de séquences riches en nt A-U – généralement simple-brin – entre le codon AUG et la tige-boucle favorise la traduction indépendamment de l’usage des codons. D’après cette étude, une expression optimale est obtenue grâce à l’insertion d’une structure en aval du 6ème codon, soit au nt +19, précédée d’une séquence riche en A-U et simple-brin.

Cette configuration offrirait un contexte optimal pour le démarrage de la traduction, en limitant la formation de structures inhibitrices de la traduction entre le RBS et des régions en aval de l’ARNm (Fig. 21), bien que cette hypothèse ne soit pas explorée dans le détail.

Figure 21 – Effet hypothétique d’une tige-boucle au début d’une séquence codante

ARNm chimérique proposé par (Paulus et al., 2004). L’ajout d’une séquence riche en nt A-U simple brin suivie d’une tige boucle (en bleu) permettrait d’éviter la formation de structures secondaires de l’ARNm séquestrant les séquences SD et AUG et réprimant la traduction. Adapté de (Paulus et al., 2004).

Il existe également quelques exemples de structures détectées dans les ORF qui semblent provoquer un changement fréquent de cadre de lecture (Kim and Tinoco, 2016), permettant l’expression de deux protéines différentes à partir d’un même ARNm ou provoquant l’apparition prématurée d’un codon de terminaison de la traduction. Par ailleurs et comme indiqué précédemment, quand des tiges boucles sont incluses dans la séquence

61 codante, elles peuvent entraîner des pauses dans la traduction (Fluman et al., 2014; Wen et al., 2008). Il semble toutefois s’agir de cas exceptionnels, et la forte activité hélicase du ribosome (Takyar et al., 2005) ainsi que l’analyse de l’ensemble des structures d’ARNm adoptées in vivo – ou structuromes – chez E. coli (Del Campo et al., 2015) et Yersinia pseudotuberculosis (Righetti et al., 2016) suggèrent que les structures capables de générer des pauses dans l’allongement de la traduction sont peu fréquentes. Enfin, une étude récente s’intéressant aux structures des ARNm polycistroniques d’E. coli révèle que ces ARNm sont structurés par ORF (Burkhardt et al., 2017). Ainsi, des structures secondaires se forment au sein de chaque ORF beaucoup plus fréquemment qu’entre différentes ORF du même ARNm, y compris pour les structures secondaires entre des régions distantes au niveau de la structure primaire. Cette structuration ORF-dépendante pourrait conférer un taux de traduction différent à chaque cistron de certains ARNm polycistroniques, ce qui permettrait par exemple un ajustement stœchiométrique de la synthèse des protéines issues des ARNm.

Pour conclure, il convient de rappeler que dans la grande majorité des cas recensés, des tiges-boucles à proximité du RBS ont un effet inhibiteur de la traduction tout simplement parce qu’elles empêchent la fixation du ribosome en limitant l’accès au SD, comme cela a été décrit précédemment (Johansson et al., 2002; de Smit and van Duin, 1994; Winkler et al., 2002). Cela permet de supposer qu’il existe une forte pression de sélection pour l’absence de structures dans les RBS, au moins dans le cas des gènes relativement bien exprimés, et cette absence de structures est une caractéristique bel et bien observée chez les bactéries (Ignatova and Narberhaus, 2017; Scharff et al., 2011).