• Aucun résultat trouvé

Chapitre III : Adaptation des entérobactéries à l’environnement, réponse au stress et ARN régulateurs

A. L’enveloppe cellulaire des entérobactéries

2. OMP, adressage et rôles divers

De nombreuses protéines membranaires sont d’une importance majeure pour la physiologie cellulaire. De même, leur adressage correct est essentiel pour qu’elles puissent assurer leurs fonctions. Il existe divers mécanismes d’adressage des OMP et des protéines de membrane interne. Plutôt que d’aborder la plupart de ces protéines et voies d’adressage d’une façon succincte, j’ai choisi de m’attarder sur les OMP car elles ont un lien plus évident avec le travail effectué au cours de cette thèse.

a. OMP et physiologie de la cellule

La plupart des OMP ont des régions transmembranaires constituées de feuillets β dont l’organisation forme des tonneaux β (Horne and Radford, 2016). Les résidus hydrophobes de ces feuillets β font ainsi face à la partie interne hydrophobe de la membrane, tandis que les résidus hydrophiles sont situés à l’intérieur des tonneaux β. De cette manière, l’intérieur de ces tonneaux forme un conduit perméable à l’eau et à divers nutriments ou molécules spécifiques de chaque protéine membranaire. C’est par leur intermédiaire qu’est assurée l’immense majorité des échanges de molécules entre la bactérie et l’environnement.

83

Représentation tridimensionnelle de diverses OMP présentes chez les bactéries à Gram négatif, dans leur conformation fonctionnelle au sein de la membrane externe (OM – « outer membrane »). Sont également représentés les différents partenaires protéiques du complexe BAM, en interaction avec l’OMP BamA (en vert). Les flèches colorées au sein des structures protéiques représentent des feuillets β, dont l’assemblage forme des tonneaux β traversant la membrane. D’après (Horne and Radford, 2016).

Chez les entérobactéries, on compte parmi les OMP majeures les porines OmpC, OmpF et OmpA, qui font certainement partie des protéines les plus abondantes de la cellule. Si les porines OmpC et OmpF ont des spécificités relativement larges – c’est-à-dire qu’elles laissent transiter un nombre important de solutés différents – on note cependant que leur spécificité se dirige plus vers les cations que vers les anions (Nikaido, 2003). De plus, OmpF peut laisser transiter des solutés d’une taille plus importante qu’OmpC, ce qui pourrait expliquer les régulations de ces deux protéines dans diverses conditions par le système EnvZ-OmpR (Hall and Silhavy, 1981; Nikaido, 2003) (voir Introduction III.B.1). En effet, en condition de forte pression osmotique, une trop grande perméabilité risque d’aboutir à la mort de la cellule qui requiert des concentrations en ions bien précises. Si le rôle d’OmpA en tant que porine est plus discuté, il s’agit d’une protéine exprimée constitutivement chez les entérobactéries (Nikaido, 2003). Cette protéine pourrait toutefois être impliquée dans le processus de formation de biofilms, lors duquel elle est particulièrement abondante (Orme et al., 2006). Ces porines sont par ailleurs suffisamment importantes dans la physiologie des bactéries pour que la délétion de leur gène cause une réduction significative de la virulence, notamment chez des souches pathogènes d’E. coli (Hejair et al., 2017).

Néanmoins, la composition de la membrane externe en protéines ne se limite pas à des porines. Il existe par exemple de multiples transporteurs et récepteurs qui ont une spécificité beaucoup plus grande et permettent généralement l’import d’une seule molécule ou complexe de molécules. Ainsi BtuB est un transporteur ayant une grande affinité pour la vitamine B12, tandis que FepA est un récepteur très spécifique des complexes fer- entérobactine (Nikaido, 2003) (voir Introduction III.C.2.b et III.C.3.b). Ces diverses OMP sont d’ailleurs souvent également des récepteurs utilisés par les phages pour infecter les bactéries, et la résistance d’une bactérie à un phage donné passe fréquemment par la mutation de l’OMP ciblée par le phage. Enfin, certaines OMP ont d’autres fonctions que le transport de molécules, à l’image de la protéase OmpT ancrée à la membrane externe. OmpT est notamment impliquée dans la réponse au stress via la dégradation de protéines dénaturées dans le

84 périplasme (Kukkonen and Korhonen, 2004) et dans la résistance à des toxines transitant par la membrane externe (Duche et al., 2008).

b. Adressage des OMP à la membrane externe

L’adressage des OMP à la membrane est un processus conservé non seulement chez les bactéries à Gram négatif, mais également chez certaines organelles eucaryotes telles que les mitochondries et les chloroplastes. Cet adressage consiste en une succession d’évènements détaillés ici, assurés par une série de complexes protéiques pour la plupart essentiels (Fig. 26).

Les OMP portent à leur extrémité N-terminale un peptide-signal d’environ 25 aa qui interagit avec une chaperonne nommée « trigger factor » (« facteur de déclenchement », FD). Ce peptide-signal est ensuite être reconnu et pris en charge par les chaperonnes SecB puis SecA, qui permettent l’adressage des OMP au système de translocation (ou translocon) SecYEG ancré à la membrane interne (Paetzel, 2014). S’il semblerait que les OMP soient maintenues dénaturées par les chaperonnes SecA, SecB ou encore FD jusqu’à la fin de leur synthèse dans le cytoplasme avant l’adressage, il se pourrait toutefois que dans certains cas les OMP puissent être adressées au translocon au cours de leur synthèse. Le mécanisme d’adressage à travers SecY est en revanche mieux compris et requiert l’activité ATPase de SecA (Allen et al., 2016). Après le clivage du peptide-signal par la protéase DegP dans le périplasme, les chaperonnes Skp et SurA prennent le relai pour maintenir les OMP dénaturées (Rollauer et al., 2015). Dans le cytoplasme et le périplasme – des milieux aqueux – les domaines transmembranaires hydrophobes des OMP ont tendance à interagir ensemble, c’est pourquoi tant de chaperonnes sont nécessaires afin d’éviter leur agrégation.

85

Figure 26 – Adressage des OMP à tonneau β via les systèmes Sec et BAM

Lors de la synthèse d’une OMP, le peptide-signal émergeant du tunnel de sortie du ribosome entre en interaction avec la chaperonne FD. Le peptide-signal est reconnu par la chaperonne SecB (1) ou directement par la chaperonne SecA (2), avant d’être adressé au translocon SecYEG. Celui-ci va procéder à l’export de l’OMP à travers la membrane interne (IM, « inner membrane) vers le périplasme (3), où la signal-peptidase DegP va cliver le peptide-signal. L’OMP est de nouveau prise en charge par une chaperonne périplasmique, à savoir SurA (4) ou Skp (5). S’ensuivra alors la reconnaissance de

86

l’extrémité C-terminale de l’OMP par le complexe BAM, qui va intégrer cette OMP à la membrane externe (OM, « outer membrane ») via BamA (6). D’après (Horne and Radford, 2016).

Une fois en interaction avec Skp ou SurA, les OMP doivent encore être intégrées correctement à la membrane externe. Pour la plupart des OMP à tonneau β, cette fonction a été attribuée au complexe BAM il y a une dizaine d’années (Kim et al., 2007; Wu et al., 2005) Ce complexe inclut BamA, la seule autre OMP essentielle chez les bactéries à Gram négatif avec LptD mentionnée précédemment, mais aussi les protéines BamB, BamC, BamD et BamE qui semblent toutes importantes pour un adressage optimal des OMP. La structure du complexe BAM a été entièrement résolue plus récemment (Bakelar et al., 2016) (Fig. 25 et 26) et a permis aux auteurs d’imaginer un mécanisme d’intégration des OMP à la membrane externe d’une grande sophistication (Fig. 27).

Figure 27 – Modèle de mécanisme d’intégration des OMP à la membrane externe par le complexe BAM

Après l’adressage de l’OMP (en jaune) vers le périplasme par le biais du translocon Sec (1), celle-ci est prise en charge par une chaperonne telle que SurA (2) ou Skp. Elle sera alors adressée au complexe BAM via son extrémité C-terminale qui porte un signal β (en bleu) impliqué dans l’interaction avec BAM (3). L’OMP va ensuite être intégrée à la membrane externe par additions successives de ses feuillets β au tonneau β de BamA (4, 5), et ce grâce aux changements de conformation de BamA imposés par l’ensemble du complexe BAM. Enfin, le complexe BAM va joindre les premier et dernier feuillets β de l’OMP (6), permettant à la nouvelle OMP de se défaire de son interaction avec BamA (7). D’après (Noinaj et al., 2017).

Ainsi, des changements de conformations successifs de BamA permettraient l’intégration des OMP feuillet β par feuillet β au sein du tonneau β de BamA. Puis, lors d’un ultime changement de conformation, les premier et dernier feuillets β de l’OMP à avoir été intégrés seraient rapprochés l’un de l’autre. L’ensemble du tonneau β de l’OMP nouvellement

87 formée serait ensuite éjecté vers la membrane externe tandis que BamA retrouverait sa conformation initiale (Noinaj et al., 2017) (Fig. 27). Un second modèle a également été proposé par les mêmes auteurs, où le complexe BAM pourrait imposer une torsion ou un rétrécissement local à la bicouche phospholipidique, permettant l’intégration spontanée de certaines OMP à la membrane externe. BamA est donc une protéine essentielle à l’adressage des OMP à la membrane externe chez les bactéries à Gram négatif. Si sa régulation transcriptionnelle par le facteur σE est connue (Dartigalongue et al., 2001), peu d’informations existent sur sa régulation post-transcriptionnelle, qui sera abordée dans ce mémoire.