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2.3 Modèle analytique de ségrégation

2.3.3 Réponse aux instationnarités

Comme on l’a vu dans les sections 1.1.3 et 2.3.1, le modèle analytique fait intervenir une hypothèse de quasi-stationnarité. Or, des instationnarités liées aux variations temporelles de la convection et de la vitesse de solidification interviennent lors des procédés de solidification dirigée. L’objectif est ici de déterminer dans quelle mesure un modèle en régime quasi-permanent est suffisant pour capturer la physique de ces procédés.

2.3.3.1 Instationnarités liées à la convection

La première cause de fluctuations que l’on peut identifier dans nos simulations numériques est liée à la convection par l’écoulement de cavité entraînée. Cet écoulement est influencé par l’élancement H/L de la zone liquide qui évolue au cours de la solidification. On observe donc des changements de tailles et de positions des différentes recirculations au cours du procédé. La compréhension de ces phénomènes transitoires est importante pour la suite de l’étude puisque ce type de fluctuation intervient également lorsque l’on s’intéresse au brassage mécanique (voir chapitre 3). En effet, la réduction de la hauteur de liquide entraîne une modification de l’écou-lement généré par l’agitateur. Par ailleurs, la rotation des pales provoque des fluctuations rapides du régime de convection à l’interface solide/liquide. Ce dernier point est traité dans la section 3.2.3.3.

La figure 2.25 présente l’évolution de la contrainte moyenne hτi à l’interface solide/liquide en fonction de la fraction solidifiée, pour un régime laminaire (ReL= 103, 2.25.A) et un régime turbulent (ReL= 105, 2.25.B). La figure 2.26 présente la variation temporelle du paramètre convecto-diffusif moyen à l’interface. Les courbes rouges représentent les résultats obtenus nu-mériquement. Comme on pouvait s’y attendre, h∆numi varie en sens inverse de hτi. Le temps caractéristique de la diffusion à l’échelle de la couche limite solutale est défini par la relation :

tc= δ2

D. (2.35)

Ce temps est de l’ordre de 100 s pour le cas laminaire et de 10 s pour le cas turbulent. La durée du procédé de solidification simulé est de 4 heures. Cela montre que les fluctuations de hτi et h∆numi sont lentes devant tc. L’hypothèse de quasi-stationnarité utilisée dans la formula-tion analytique semble donc bien adaptée à ce type de configuraformula-tion. Les courbes bleues de la figure 2.26 présentent les résultats obtenus par le modèle analytique à partir des valeurs instan-tanées de hτi. Dans le cas du régime turbulent, les variations obtenues sur h∆thisont identiques à celles de h∆numi. Le modèle analytique permet donc de décrire l’influence des variations du régime de convection sur la ségrégation lorsque le transport des impuretés reste principalement convectif. Pour le régime laminaire on observe également une bonne correspondance des ré-sultats numériques et analytiques, excepté lorsque la fraction solide est comprise entre 75% et 85%. Cet intervalle correspond à un changement de régime d’écoulement avec le confinement de la recirculation secondaire. Il faut noter que le caractère laminaire de l’écoulement limite l’homogénéisation du liquide. La recirculation secondaire est alors plus concentrée en impuretés que la recirculation principale et son confinement provoque un enrichissement de l’interface et une augmentation de l’épaisseur de couche limite solutale (voir figure 2.15). Ce type de phé-nomène ne peut être correctement décrit qu’en modélisant le transport de soluté dans toute la cavité. Cela nécessiterait de coupler le modèle analytique à une résolution de l’équation de la concentration dans le bain. Ce cas laminaire n’étant pas représentatif des configurations de brassage que l’on souhaite étudier ici, nous n’avons pas poussé l’étude plus loin.

A - ReL= 103 B - ReL= 105

Figure 2.25 – Évolution de la contrainte moyenne à l’interface au cours de la solidification pour le régime laminaire ReL= 103 (A) et le régime turbulent ReL= 105 (B).

Figure 2.26 – Évolution du paramètre convecto-diffusif moyen à l’interface au cours de la solidifica-tion pour le régime laminaire ReL= 103 et le régime turbulent ReL= 105. Comparai-son des résultats numériques h∆numi et analytiques h∆thi.

2.3.3.2 Fluctuations de la vitesse de solidification

Nous nous intéressons maintenant à l’influence de fluctuations de la vitesse de solidification. Dans une configuration de solidification dirigée, la vitesse de solidification est contrôlée par les conditions de température dans le four. L’inertie thermique du procédé permet de limiter les fluctuations à des fréquences faibles, contrairement à des configurations de tirage Czochralski où les fréquences des fluctuations peuvent être élevées (et source de striation de concentration dans les lingots). La fréquence de ces fluctuations doit en fait être comparée au temps caractéristique de la diffusion des impuretés à l’échelle de l’épaisseur de la couche limite solutale tc (équation (2.35)). Il est alors possible de définir un nombre adimensionnel F q pour caractériser le régime fréquentiel [35] :

F q= tcωf = ωfδ2

D , (2.36)

où ωf représente la pulsation des fluctuations de vitesse (rad·s−1). L’influence d’oscillations périodiques de la vitesse de solidification a été étudiée analytiquement par Garandet [35] et numériquement par Haddad et al. [45, 46]. Ces deux études ont permis de montrer l’influence

de la fréquence des fluctuations de vitesse sur l’amplitude et le déphasage des fluctuations de ségrégation. Elles mettent notamment en évidence l’existence d’un régime basse fréquence où les variations de vitesse sont suffisamment lentes pour que la couche limite solutale s’y adapte sans déphasage. Ce régime basse fréquence est obtenu lorsque F q tend vers 0 et la transition entre haute et basse fréquence se passe à F q = 1. L’hypothèse de quasi-stationnarité utilisée dans le modèle analytique de ségrégation peut donc être justifiée si l’on reste dans la limite de ce régime basse fréquence. Afin de simuler numériquement des fluctuations de vitesse, nous imposons dans notre modèle numérique une variation sinusoïdale de la vitesse de solidification :

VI(t) = VI[1 + α sin(ωft)], (2.37) où VIreprésente la vitesse moyenne de solidification et α l’amplitude des oscillations. Pour cette simulation nous nous plaçons dans le cas turbulent ReL = 106. Les données numériques nous permettent d’estimer une valeur moyenne de l’épaisseur de couche limite solutale hδi≈52 µm dans le cas d’une vitesse de solidification constante. Nous définissons alors une période de 2000 s pour les oscillations de vitesse, ce qui implique F q≈8.5 × 10−4. Les résultats théoriques montrent qu’un tel régime fréquentiel entraîne un déphasage pratiquement nul entre les fluc-tuations de vitesse et de concentration [35]. Par ailleurs, nous conservons une vitesse de so-lidification moyenne VI = 10−5m·s−1 et l’amplitude des fluctuations est fixée à α = 0.5. La figure 2.27 illustre l’évolution de la vitesse de solidification normalisée VI/VI en fonction de la fraction solidifiée. On voit alors que les oscillations sont périodiques mais pas sinusoïdales. En effet, lors de la première demi-période VI/VI est supérieur à 1 donc la hauteur solidifiée est plus importante que pour la seconde demi-période où VI/VI est inférieur à 1. C’est pour cette raison que sur ce tracé les oscillations avec VI/VI >1 apparaissent plus larges que les oscillations avec

VI/VI <1.

Figure 2.27 – Évolution de la vitesse de solidification normalisée au cours de la solidification.

Afin d’analyser les variations de concentration dans le solide suivant la hauteur du lingot, il est utile de définir une concentration normalisée hCni :

hCni= hCsi − hCsi

hCsi , (2.38)

où hCsi désigne la concentration moyenne dans le solide obtenue pour une vitesse de solidifica-tion constante. Dans cette partie on s’intéresse essentiellement aux ségrégasolidifica-tions longitudinales, c’est pourquoi on travaille avec des concentrations moyennées suivant la largeur. La figure 2.28 donne l’évolution de la concentration normalisée en fonction de la fraction solidifiée. On re-marque que les fluctuations de concentration sont en phase avec les fluctuations de vitesse, ce

qui confirme le régime basse fréquence. On voit également que l’amplitude de ces oscillations n’est pas constante. Pour expliquer ces variations on peut également utiliser le modèle théo-rique proposé par Garandet [35]. Dans le régime basse fréquence, ce modèle donne la relation suivante pour les fluctuations de concentration :

hCni= α sin(ωft) " (1 − k0)h∆i(1 − h∆i) 1 − (1 − k0)h∆i # , (2.39)

où h∆i représente le paramètre convecto-diffusif dans le cas d’une vitesse de solidification constante. Or, nous avons vu dans le paragraphe 2.3.3.1 que les instationnarités du champ de vitesse induisent une variation de ce paramètre durant la solidification. C’est ce phénomène qui est responsable des variations d’amplitude observées sur les oscillations de hCni. Si on consi-dère la valeur moyenne de h∆i≈0.052 (équivalent à hδi≈52 µm avec notre choix de paramètres), la relation (2.39) nous permet d’estimer l’amplitude moyenne des oscillations de hCni :

|hCni|= 2α(1 − k0)h∆i(1 − h∆i)

1 − (1 − k0)h∆i 0.036, (2.40) ce qui correspond aux amplitudes observées sur la figure 2.28.

Figure 2.28 – Évolution de la concentration normalisée dans la phase solide.

Enfin, la figure 2.29 compare les fluctuations du paramètre convecto-diffusif h∆thi obtenu avec le modèle analytique aux résultats numériques h∆numi. h∆thi est calculé à partir des valeurs instantanées de la vitesse de solidification VI(t) et de la contrainte de frottement hτ(t)i moyennée le long de l’interface solide/liquide. Afin de simplifier la comparaison, h∆numi et h∆thi sont normalisés respectivement par h∆numi et h∆thi qui sont les valeurs obtenues avec une vitesse de solidification constante. On remarque tout d’abord que l’amplitude des signaux obtenus est constante, ce qui est en accord avec le modèle théorique [35] pour cette configuration. Par ailleurs, les deux signaux présentent la même amplitude et un très faible déphasage. Cela confirme la capacité du modèle analytique à prédire l’influence de fluctuations à basse fréquence de la vitesse de solidification sur l’épaisseur de la couche limite solutale.

Figure 2.29 – Évolution du paramètre convecto-diffusif h∆i normalisé, au cours de la solidification. Comparaison des résultats analytiques et numériques.

En conclusion, le modèle analytique permet de retranscrire les fluctuations de convection et de vitesse de solidification dans la mesure où celles-ci restent lentes devant le temps ca-ractéristique de diffusion à l’échelle de la couche limite solutale (F q = (ωfδ2)/D << 1). Cette limitation n’est pas restrictive pour l’étude des procédés de solidification dirigée dans la me-sure où l’inertie thermique limite la fréquence des perturbations. L’introduction d’un terme de convection forcée peut néanmoins induire des fluctuations rapides de l’écoulement. Ces fluc-tuations doivent alors être étudiées au cas par cas afin de vérifier la validité de l’hypothèse de régime quasi-permanent.