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2.3 Modèle analytique de ségrégation

2.3.1 Prise en compte de la turbulence à l’échelle de la CLS

2.3.1.1 Analyse en ordres de grandeur modifiée

On se propose donc de modifier l’analyse en ordres de grandeur proposée par Garandet et al. [41] et détaillée dans la section 1.1.3, afin de corriger le modèle analytique. Si l’on écarte l’hypothèse d’une couche limite solutale plus fine que la sous-couche visqueuse, il est nécessaire de prendre en compte les termes associés à la turbulence dans l’équation de transport du soluté. Le transport par la turbulence peut être modélisé par un terme de diffusivité turbulente Dt. L’équation de transport est alors donnée par la relation (2.11). Pour une configuration 1D en régime stationnaire cette équation s’écrit :

D 2CL ∂z2 + ∂z Dt ∂CL ∂z ! + (VI− w)∂CL ∂z = 0. (2.17)

Il est nécessaire d’étudier le terme Dt(∂CL/∂z) pour poursuivre l’analyse. À l’interface solide/liquide il n’y a pas de diffusion turbulente, Dt est nulle. À la frontière extérieure de la couche limite solutale Dt est positive et le gradient de concentration ∂CL/∂z est négatif. On a donc :

- Dt(∂CL/∂z) = 0 en z = 0. - Dt(∂CL/∂z) < 0 en z = δ.

Ces observations montrent que le terme Dt(∂CL/∂z) est négatif et globalement décroissant dans la couche limite solutale. Sa dérivée ∂[Dt(∂CL/∂z)]/∂z est donc négative pour z allant de 0 à δ. Il est logique que ce terme soit négatif puisqu’il modélise le transport convectif par la turbulence, qui permet d’évacuer le soluté qui diffuse depuis l’interface. Afin de confirmer cette analyse, les profils de diffusion turbulente Dt et de gradient de concentration ∂CL/∂z

Dt(∂CL/∂z) pris au centre de la cavité pour la configuration ReL = 105 et une hauteur solidifiée de 2 cm. L’épaisseur de la couche limite solutale δ est repérée par une ligne discontinue. On observe que le terme Dt(∂CL/∂z) est bien nul à l’interface solide/liquide (zL= 0) et décroissant dans la coucle limite solutale. Ce terme devient ensuite croissant en dehors de la couche limite puisque le gradient de concentration tend vers 0. On peut d’ores et déjà rappeler que le tracé dépend du modèle de turbulence choisi pour la simulation numérique. Ainsi, on peut s’attendre à ce que le minimum de la courbe varie sensiblement d’un modèle à l’autre. L’allure globale de cette courbe sera néanmoins la même pour tous les modèles classiques.

Figure 2.20 – Profil normal à l’interface du flux Dt(∂CL/∂z) pour la configuration ReL= 105. Le profil est pris au centre de la cavite, pour une hauteur solidifiée de 2 cm.

On considère que l’ordre de grandeur des variations de concentration dans la couche limite solutale est donné par ∆c = CI

L− C

L. L’épaisseur caractéristique de la couche limite solutale δ est définie par la relation (1.18). En termes d’ordre de grandeur l’équation de transport (2.17) s’exprime alors par :

D∆c

δ2 − Dt∆c

δ2(VI − w)∆c

δ = 0. (2.18)

En simplifiant par ∆c/δ on obtient une nouvelle équation permettant d’estimer δ en ordre de grandeur, en tenant compte de la diffusivité tourbillonnaire :

D

δDt

δ = VI− w. (2.19)

Pour résoudre cette équation il faut définir les profils de vitesse et de diffusivité turbulente au sein de la couche limite solutale. Considérons l’expression générale d’un profil de vitesse moyenne tangentielle dans la couche limite :

u(z) = f(z). (2.20)

Comme dans la section 1.1.3, on considère que la longueur caractéristique des variations de

u dans la direction horizontale est donnée par L et que la distance à la paroi z représente la longueur caractéristique des variations de w dans la direction verticale. La relation de continuité (1.43) nous permet alors d’écrire :

w

z ∼ −u

L, (2.21)

soit :

En définissant la diffusivité turbulente à partir de la viscosité tourbillonnaire νt et du nombre de Schmidt turbulent Sct, on obtient une relation générale de la forme :

D

δνt(δ)

Sctδ = VI+ δ

Lf(δ). (2.23)

Il faut à ce stade choisir un profil de vitesse moyenne et un modèle de turbulence pour expliciter f(z) et νt/Sct en z = δ. Les simulations numériques montrent que l’épaisseur de la couche limite solutale dépasse plus ou moins celle de la sous-couche visqueuse en fonction de la diffusivité moléculaire. Mais pour les configurations étudiées δ reste nettement inférieure à la limite de la zone tampon z+ ≈50. On peut alors décrire le profil de vitesse à l’aide de la formule de Rannie :

u+(z) = A tanh z+

A

!

, (2.24)

où A = 14.53 est une constante empirique. Cette formule est certes moins célèbre que le profil logarithmique de Prandtl et Taylor [4], mais présente l’avantage de décrire le profil de vitesse à l’aide d’une expression unique, simple et dérivable pour toutes les valeurs de z+ comprises dans l’intervalle [0 ; 27.5]. La viscosité tourbillonnaire peut être exprimée à l’aide d’un modèle de longueur de mélange : νt = l2 ∂u ∂z , (2.25)

où la longueur de mélange l peut être définie grâce à l’expression de Van Driest qui reste valable dans la sous-couche visqueuse :

l = κz

1 − e−z+/c

, (2.26)

où c = 26 est également une constante empirique et κ = 0.4 est la constante de Von Karman. Là encore, d’autres modèles de turbulence peuvent être envisagés. Celui-ci présente l’intérêt d’être suffisamment simple pour permettre une approche analytique relativement poussée. Le gradient de vitesse ∂u/∂z peut être estimé en ordre de grandeur par :

∂u

∂zu

zf(z)

z . (2.27)

En introduisant la formule de Rannie et le modèle de longueur de mélange dans l’équation générale (2.23), et en supposant un nombre de Schmidt turbulent Sct uniforme, on obtient :

D

δκ

2

Sct



1 − e−δuτ/(νc)2Auτtanh δuτ

! = VI+ δ LAuτtanh δuτ ! . (2.28) Cette équation peut être résolue numériquement pour déterminer l’épaisseur de la couche limite solutale. Afin d’estimer l’influence des différents paramètres on peut chercher à linéariser les termes de convection et de diffusion turbulente. Pour cela on introduit un développement limité du premier ordre au voisinage de 0 :

Auτtanh δuτ !u 2 τ ν δ, (2.29)  1 − e−δuτ/(νc)2 Auτtanh δuτ !u 2 τ ν uτ νc 2 δ3. (2.30)

On notera que le développement limité à l’ordre 0 du profil de Rannie nous ramène au profil linéaire de vitesse de la sous-couche visqueuse. En introduisant les paramètres adimensionnels ∆ et B l’équation (2.28) devient : 1 − ∆ − B∆3κ c 2 Sc SctRe 2 VIB24 = 0. (2.31) Un terme de degré 4 associé à la diffusion turbulente vient s’ajouter à l’équation du troisième ordre obtenue par Garandet et al. [41], qui pour mémoire s’écrit de la manière suivante :

1 − ∆ − B∆3 = 0. (2.32)

On s’intéresse aux régimes fortement convectifs. Le terme d’ordre 1 en ∆ de l’équation (2.31) peut donc être négligé en considérant que la vitesse d’interface VI est négligeable devant la vi-tesse de convection w. On définit le paramètre ψ = (κ/c)q

Sc/SctReVI. Le régime asymptotique lorsque B tend vers l’infini est ainsi donné par :

∆ = (ψB)−1/2

. (2.33)

En introduisant la relation (2.33) dans l’équation (2.32) il est possible de définir une valeur critique Bc à partir de laquelle le transport par la turbulence devient non négligeable :

Bc= 1

ψ 1 + 1

ψ

!2

. (2.34)

La figure 2.21 présente l’évolution de Bcen fonction du paramètre ψ. Elle met en avant les deux régimes asymptotiques en Bc≈ ψ−1 pour ψ >> 1 et en Bc ≈ ψ−3 pour ψ << 1. Cette valeur critique borne le domaine de validité du modèle analytique proposé par Garandet et al. [41]. Lorsque B est inférieur à Bc la couche limite solutale est correctement décrite par l’équation (2.32). Au delà de cette valeur le transport par la turbulence ne peut plus être négligé. L’épais-seur de la couche limite solutale peut alors être calculée par résolution numérique de l’équation (2.28) ou estimée à l’aide de la relation (2.33).