Section 1: La Grande Région Saar-‐Lor-‐Lux, un espace aux enjeux multiples
3. Vers une région métropolitaine polycentrique transfrontalière en Grande Région ?
La stratégie « Metroborder » lancée en 2008 part d’un double constat. La Grande Région ne possède pas de métropole capable de rivaliser avec les principaux espaces métropolitains en Europe. Elle doit pourtant faire face à des interdépendances fonctionnelles transfrontalières inédites. Par ailleurs, ses structures de gouvernance nécessitent d’être consolidées (Sommet, 2009 : 7 ; ESPON, 2008 : 5-‐6). Sous le vocable, « région métropolitaine polycentrique transfrontalière », il s’agit de reconnaître les interdépendances entre les partenaires institutionnels pour miser sur leurs complémentarités (polycentrisme) tout concentrant les efforts sur un vocable porteur au niveau national et européen (métropolitain). Le soutien européen étant essentiel dans le contexte transfrontalier, mobiliser un discours porteur et compatible avec les objectifs européens est essentiel. La stratégie Metroborder vise à installer un mode de gouvernance ciblant l’ensemble de ces objectifs.
Dans cette perspective, l’une des questions clé posée par ce projet est de déterminer si un potentiel métropolitain existe dans cet espace et si son expansion peut être renforcée avec une coopération accrue et coordonnée (ESPON, 2008 : 5). C’est dans cette perspective que les participants du Sommet intermédiaire du 19 novembre 2008 ont décidé de lancer une démarche auprès du programme ESPON. Elle devait leur permettre de bénéficier d’une analyse ciblée sur les potentiels à la fois fonctionnels et institutionnels de la Grande Région. En tant que tel, l’usage du programme ESPON pour effectuer cette analyse est symptomatique de l’état du débat en Grande Région :
− Le choix de faire appel au programme ESPON témoigne tout d’abord du positionnement original du Luxembourg. En 2007, ESPON entrait dans sa deuxième période de programmation avec des moyens plus que triplés8. Afin de répondre plus directement aux questions des décideurs politiques régionaux et nationaux, une nouvelle priorité («
8 Doté de 14 millions d’euros entre 2002 et 2006, le programme s’est vu accordé 47 millions d’euros pour la période 2007-‐2013 (Source: espon.eu)
targeted analysis ») a été mise en place. En tant qu’autorité de gestion de ce programme, il importait au Luxembourg de montrer la plus-‐value de cette nouvelle priorité. Si les résultats de l’analyse se révélaient utiles pour la Grande Région, le programme ESPON en serait conforté et la Grande Région bénéficierait encore plus directement d’informations sur son positionnement européen. A fortiori, cela pouvait permettre de renforcer la visibilité et la plus-‐value du programme ESPON au Luxembourg. En ce sens, le positionnement du Luxembourg en tant qu’état souverain lui a permis de proposer à ses partenaires en Grande Région de s’appuyer sur un programme européen pour répondre à certaines questions de recherche régionales. La politique régionale européenne contribue ainsi directement au rapprochement entre les différentes échelles de gouvernance. Enjeux régionaux, transfrontaliers et européens se retrouvent pêle-‐mêle intégrés dans une même stratégie.
− Retenir le programme ESPON comme cadre pour effectuer cette analyse permettait de contourner le difficile obstacle de l’ouverture d’un financement. Le programme ESPON a financé la recherche ciblée tandis que les partenaires institutionnels se sont engagés à respecter le cadre de ce programme. Ils ont investi en personnel interne pour assurer le suivi de l’équipe de recherche en créant un groupe de travail spécifique.
− Enfin, les acteurs de la Grande Région avaient déjà coopéré dans le cadre de projets INTERREG pour mieux connaître les interdépendances économiques de la région (projet eBird). Mais cette étude ESPON dénote le besoin général dans le contexte transfrontalier, de bénéficier de données socio-‐économiques transfrontalières. Au-‐delà, si ces données existent et sont exploitables, il est essentiel pour les différentes parties prenantes de bénéficier d’une analyse indépendante. À cet égard, le caractère de projet de recherche appliquée effectué par des universitaires a certainement joué un rôle dans l’appréciation des résultats. Comme l’étude devait constituer la base d’une nouvelle stratégie transfrontalière, les enjeux étaient importants pour les acteurs qui ont suivi très activement ce processus. En dernier lieu, la comparaison de la Grande Région avec d’autres espaces transfrontaliers en Europe permet également une projection extérieure qui se révèle être de plus en plus intéressante pour les parties prenantes.
Ce constat fait, nous proposons d’analyser le processus de construire une « Région métropolitaine polycentrique transfrontalière au sein de la Grande Région » (Sommet, 2009 :7) sous l’angle de la construction d’une région, tel qu’explicité dans le chapitre conceptuel. Nous proposons de structurer notre analyse à travers trois postulats de recherche.
3.1. La construction de la RMPT constitue un leitmotiv visant à
positionner la GR sur les scènes nationale et européenne,
tout en structurant une stratégie interne de coopération
Ce premier postulat vise à étudier comment la construction de la stratégie Metroborder en tant que leitmotiv. Il n’a pas seulement pour ambition de réunir l’ensemble des partenaires institutionnels autour d’une même ambition partagée, mais aussi de développer des
éléments d’identification la Grande Région. Cette stratégie viserait le positionnement des partenaires institutionnels sur deux niveaux. D’abord, l’objectif est interne : canaliser et orienter la coopération, lui donner une direction et faire en sorte que celle-‐ci puisse permettre de traiter les questions les plus pressantes, tout en étant porteuse pour le futur. La construction de cette stratégie a pour but de porter un développement territorial équilibré en Grande Région ; le Ministre Halsdorf a pu parler de situation « win-‐win » (discours du 3 mars 2009, Abbaye de Neumünster). Il s’agit donc de mettre de côté les déséquilibres existants entre partenaires pour mettre l’accent sur leurs complémentarités. Les documents de travail de la présidence luxembourgeoise constatent qu’aucun espace en Grande Région ne peut prétendre jouer le rôle de métropole (Présidence du 11ème Sommet, 2009). Ce constat permet aux acteurs de mettre en avant les complémentarités entre plusieurs pôles urbains dans l’espace frontalier, tout en reconnaissant de fait l’importance structurante de Luxembourg-‐ville dans cet ensemble. Il s’agit ainsi de reconnaître les interdépendances transfrontalières et la nécessité de les traiter de manière coordonnée. Le leitmotiv métropolitain permettrait alors de s’interroger sur les différentes fonctions (ex. : économique, scientifique, politique, démographie, culturelle) que peuvent réunir cet espace frontalier, tout en développant un nouveau leitmotiv propre à incarner cette stratégie. Ce leitmotiv a également pour ambition de répondre à des questionnements actuels dans le contexte européen ainsi que dans les différents contextes nationaux. La prégnance du débat sur les métropoles incite Union Européenne et états membres à développer des politiques ciblées en la matière : « placed-‐based policies » et instruments financiers européens sont les éléments qui structurent considérablement le débat actuel au niveau national et européen. Les espaces frontaliers, directement soumis aux exigences communautaires et bénéficiaires de fonds européens sont sensibles à cette évolution et tentent de la prendre en compte dans le développement de leurs stratégies. Ce n’est pas un hasard si les acteurs de la Grande Région – à l’instar de ceux du Rhin supérieur ou de l’Eurométropole Lille-‐Kortrijk-‐Tournai – ont choisi d’axer leur stratégie de développement sur un leitmotiv métropolitain (Chilla et al, 2010).
L’analyse empirique aura pour but d’analyser les ressorts de ce discours et de déterminer si et dans quelle mesure celui-‐ci peut être assimilé à la construction d’un leitmotiv.
3.2. La construction du leitmotiv se concrétise par
l’institutionnalisation d’une territorialité transfrontalière
L’espace de coopération de la Grande Région a progressivement évolué au gré de l’adhésion de nouveaux partenaires institutionnels. Il s’est progressivement défini comme étant la somme des espaces sur lesquels chaque partenaire est compétent. Cet espace résulte donc du hasard des découpages administratifs. Il s’agira de se demander si et dans quelle mesure celui-‐ci peut être considéré comme une territorialité. En s’accordant sur l’inclusion systématique du périmètre institutionnel de chacun, les partenaires institutionnels ne définissent-‐il pas l’appropriation potentielle de la coopération transfrontalière sur cet
espace ? La territorialité devrait permettre d’analyser ce processus de ‘bordering’. Dans le même temps, cet espace ne fait pas toujours l’unanimité. L’enveloppe spatiale de la GR est réputée trop grande : le Sommet se donne pour objectif de structurer « une RMPT au sein de la GR » (Sommet, 2009 : 7), celle-‐ci devant se structurer autour d’un « espace noyau polycentrique » (Sommet, 2011 : 9). Nous nous demanderons si ce processus peut être interprété comme une « territorialisation » de l’action transfrontalière. L’enveloppe institutionnelle et le contenu territorial permettent de s’interroger sur la notion de territorialité à l’heure où les frontières se trouvent relativisées.
3.3. Afin de conserver une influence substantielle, les modes de
régulation interrégionaux sont privilégiés aux instances
suprarégionales
L’institutionnalisation d’un leitmotiv et d’un espace transfrontalier s’accompagne d’un renforcement institutionnel permettant de porter et de mettre en œuvre la vision stratégique. Au niveau transfrontalier, cette institutionnalisation se manifeste par la mise sur pied d’institutions transfrontalières communes porteuses de la stratégie et disposant donc d’une certaine autonomie des particularismes régionaux. Celle-‐ci est analysée par le biais de la dualité interrégional/suprarégional. L’analyse empirique devrait permettre de mettre en évidence si et dans quelle mesure un degré de « suprarégionalisme » existe dans le contexte de la GR. La présentation du cas d’étude a montré que les institutions existantes actuellement reposent sur une stricte représentation de l’ensemble des partenaires qui sont eux mêmes chargés de la conduite des travaux. La coopération institutionnalisée reste profondément interrégionale. Le projet Metroborder semble si important politiquement que les régions associées devraient se révéler réticentes à la mise en place d’institutions suprarégionales de coopération.
Ces trois postulats devront nous permettre dans un dernier temps de faire le point sur le processus d’institutionnalisation d’une région dans le contexte transfrontalier de la GR. Ainsi, nous pourrons évaluer notre cadre conceptuel et revenir sur les trois notions précédemment exposées: territorialité, gouvernance et régionalisation.
Avant d’exposer les éléments de notre analyse, nous développerons maintenant les méthodes de recherche mobilisées pour mettre en œuvre le cadre conceptuel.
Section 2: Les méthodes
Avant de rentrer dans le détail des méthodes développées pour analyser notre problématique, revenons sur certaines modalités du projet ESPON/Metroborder, cadre dans lequel nos recherches se sont concrétisées.