Section 1: La Grande Région Saar-‐Lor-‐Lux, un espace aux enjeux multiples
3. La méthode Delphi
3.2. Application au cas d’étude
3.2.1. Intérêt de la méthode Delphi
La méthode Delphi se montre particulièrement adaptée tant au projet Metroborder qu’à l’analyse empirique de cette thèse. Cette méthode a été mobilisée pour plusieurs raisons:
• constituer un « forum d’idées » (Turoff, 1970) en recensant les différentes analyses en présence face à un processus politique particulièrement complexe. Ce faisant, elle devait permettre d’envisager les conséquences d’une option et finalement de mettre en avant les ressorts d’un processus politique en construction.
• Associer au processus de consultation un grand nombre d’acteurs ancrés dans des contextes variés, des niveaux de responsabilités différents.
• Garantir à chaque expert consulté la confidentialité de son analyse tout en lui permettant d’interagir indirectement avec l’ensemble des experts. Il s’agissait de s’assurer autant que possible de l’authenticité et de la sincérité des réponses fournies. L’anonymat devait permettre de gérer les relations interpersonnelles, interculturelles, hiérarchiques au sein du groupe d’experts.
• Associer plusieurs types d’acteurs : impliquer les personnes directement associées aux processus décisionnels en GR et les acteurs « périphériques » non directement associés au processus de décision mais disposant d’une expertise sur la Grande Région.
• Interroger l’expertise individuelle plutôt qu’institutionnelle, dont les positions peuvent être connues par une analyse des documents officiels.
• Obtenir des résultats quantitatifs et qualitatifs.
3.2.2. Le statut d’expert
La définition du statut d’expert est un élément crucial de la méthode Delphi. Pourtant, cette catégorie est difficile à définir. Ce statut est davantage lié à une compétence personnelle qu’à une affiliation institutionnelle. « The notion of « expert » is primarily, in its application, a sociological rather than logical category, depending as much as it does on reputation, influence, skills in managing interpersonal relations etc. » (Kaplan et al., 1950: 94). Dans le contexte de cette étude, l’expert est défini comme ayant une bonne connaissance des
enjeux fonctionnels, institutionnels et identitaires auxquels la Grande Région fait face.
Avec cette définition, l’objectif est donc de privilégier les personnes ayant une connaissance globale de la coopération plutôt que des personnes ayant une interprétation purement technique ou sectorielle des dossiers (ESPON/Metroborder, 2010a ; Häder, 2000).
L’écueil de cette définition est qu’elle peut très bien n’associer que les personnes gérant le contexte transfrontalier dans son quotidien en participant à différents groupes de travail. Ce type d’expertise est nécessaire mais certainement insuffisante dans le contexte de cette étude pour deux raisons :
• Les décisions pouvant être prises dans le contexte transfrontalier sont largement tributaires d’enjeux locaux, régionaux, nationaux et européens qu’il convient de prendre en compte. Les experts tels que définis précédemment peuvent certainement rendre compte de ces enjeux. Toutefois, intégrer des personnes dont les décisions affectent le contexte transfrontalier sans qu’ils n’y soient directement partis prenante permet d’obtenir un diagnostic plus nuancé.
• L’étude Metroborder est large et revendique d’importantes implications pour l’ensemble de la région. Il est donc important de disposer dans l’étude Delphi de l’angle d’analyse de personnes connaissant ce contexte mais ne participant pas directement à la prise de décision transfrontalière.
Concrètement, pour ce qui est de la première catégorie d’experts, il s’agissait de prendre en compte les personnes associées aux processus décisionnels. Comme les décisions sont prises au niveau de plusieurs instances de coopération travaillant elles-‐mêmes de manière collégiale en impliquant les différents partenaires institutionnels, les principaux participants à ces instances ont été sollicités. Il s’agit des fonctionnaires participant ou associés aux Sommets, des présidents des groupes de travail du Sommet, des personnes impliquées de
manière directe dans les réseaux de villes à l’ampleur de l’ensemble de la GR. Il s’agit encore des présidents des groupes de travail du CESGR. Comme ceux-‐ci exercent des fonctions dans des organisations patronales ou de représentation des salariés, cela permettait d’associer un personnel de la sphère sociale et économique. Dans le présent contexte, le personnel administratif semble particulièrement pertinent pour répondre aux questionnaires. Dans de nombreux cas, ce personnel suit les dossiers transfrontaliers sur une période relativement longue, assurant une continuité que ne peuvent pas toujours fournir les élus. Il dispose lui-‐ même d’une certaine marge de manœuvre dans la mise en œuvre des décisions et connaît parfaitement les ressorts tant administratifs, qu’interculturels et techniques du contexte transfrontalier. Comme le fonctionnement des majorités et priorités politiques lui est familier, le contexte politique est également pris en compte. Cette logique permet d’assurer un parallélisme entre les différents espaces. Dans la mesure où il est moins évident qu’un personnel administratif soit dévolu aux questions transfrontalières à l’échelle communale et locale, davantage d’élus ont été consultés (élus de communes, de communautés de communes, de Kreise) à ces niveaux.
Pour la seconde catégorie d’experts, l’objectif était d’interroger également aux différents niveaux les personnes dotées d’une importante connaissance du contexte transfrontalier. De fait, l’activité de ces personnes peut également être liées aux questions frontalières. Avoir une expertise nécessite d’avoir ou de traiter de ces dossiers. Concrètement, étaient ainsi considérés :
• A l’échelle européenne, les représentations des différentes entités (Wallonie, Lorraine, Luxembourg, Rhénanie-‐Palatinat, Sarre) à Bruxelles ont été consultées afin d’avoir une analyse européenne sur les enjeux transfrontaliers. Volontairement, aucun fonctionnaire de la commission ou du parlement n’a été impliqué dans le questionnaire Delphi. Seul peut-‐être le fonctionnaire à la Commission en charge du programme INTERREG IVA Grande Région aurait pu être concerné. Mais ce programme étant avant tout européen plutôt qu’interrégional, il n’était pas au cœur de notre analyse. Par ailleurs, son expertise aurait été plutôt technique et financière. Enfin, cela aurait nécessité de traduire les deux questionnaires en anglais.
• A l’échelle nationale 10, des fonctionnaires chargés de suivre les dossiers transfrontaliers au niveau des ministères compétents.
• Au niveau régional11, les présidents de commissions régionales ou parlementaires traitant des questions proches de la dimension transfrontalière.
10 Le niveau national comprend dans cette étude, les états allemand, belge, français et luxembourgeois ainsi que la préfecture de la région Lorraine puisque cette dernière a pour mission la représentation de l’état en région.
11 Le niveau régional comprend dans cette étude, du côté allemand, les institutions des Länder de Sarre et de Rhénanie-‐ Palatinat; du côté belge, les institutions de la Région wallonne, des Communautés française et germanophone de
• Au niveau local12, pour des raisons de capacité, il n’était pas possible de consulter l’ensemble des communes de la GR. Cela n’aurait pas non plus été souhaitable puisque l’objectif était d’obtenir l’expertise de l’échelle locale par rapport aux questions transfrontalières d’ampleur grand-‐régionale. Face à ces contraintes, l’approche a été la suivante :
Au niveau des communes, il était complexe de déterminer quelle commune était ap priori impliquée ou intéressée par les questions transfrontalières au niveau de la GR. La démarche a donc été inductive et ont été consultés les maires ou bourgmestres dont la collectivité est adhérente à EuRegio. Cet organisme est le seul représentant des communes de la GR. Il réunit sur une base volontaire les communes qui souhaitent coopérer dans cet espace. De fait, cela permet de déterminer quelles communes revendiquent une implication concrète dans le contexte transfrontalier au niveau de l’ensemble de la Grande Région. Afin d’élargir cet échantillon, les représentations des communes et villes au niveau régional ont été consultées. Aucun équivalent n’existe en Lorraine, mais de nombreux présidents de communautés de communes ont été consultés par ailleurs.
Au niveau des plus grandes villes ou communautés urbaines, les maires et/ou délégués aux affaires transfrontalières ont été consultés.
Afin de disposer également d’une perspective plus rurale, les personnes en charge des questions transfrontalières dans le domaine des parcs naturels ont été consultées.
Enfin, plusieurs personnes issues du monde de la recherche, travaillant dans des fondations ou des associations relatives à la coopération transfrontalière en Grande Région ont été sollicitées.
Enfin, si les coopération bilatérales ne sont pas considérées directement dans le cadre de cette étude, certains experts ont tout de même été consultés, soit parce que la coopération leur confère une expertise également sur le contexte de l’ensemble de la GR, soit parce que leur coopération bilatérale est importante pour la coopération dans la GR en général. Ainsi, des collaborateurs de l’association Saar-‐Moselle-‐est ont été consultés, de même que certains dans le cadre de la coopération Belval-‐Alzette. Cette coopération étant toutefois plus récente et encore peu institutionnalisée fin 2009, ce sont essentiellement des acteurs politiques qui ont été consultés.
12 Le niveau local comprend dans cette étude, du côté allemand la Gemeinde, la Verbandsgemeinde, le Kreis, la Plaunungsregion, du côté belge, la commune et la province, du côté français, la commune, la communauté de communes ainsi que toute autre associations ou syndicats de communes, comme les communautés urbaines ainsi que les départements, du côté luxembourgeois, les communes. Cette répartition a pour but de mettre sur le même plan des institutions aux compétences comparables, même si cette comparaison ne peut être que relative dans le contexte transfrontalier.
3.2.3. Mode opératoire
3.2.3.a. Le support technique
Nombreuses sont les plateformes sur internet permettant de conduire un sondage en ligne (equestionnaire, Online-‐Umfrage, wufoo). Aucun d’entre eux ne s’est toutefois révélé capable de supporter des questions très variées (fermées, ouvertes, avec commentaire, à choix simple et multiple ou encore pouvant inclure une carte). Afin de s’assurer également que chaque participant ne serait pas découragé de participer en devant télécharger en ligne un nouveau logiciel et la plupart des ordinateurs étant équipés d’Adobe, il a été décidé d’envoyer le questionnaire sous forme d’un document PDF. Cette formule permettait un envoi personnalisé par email. Les experts pouvaient y travailler hors ligne, l’enregistrer sur leur propre ordinateur et répondre directement par courriel en cas de problème technique. Cette démarche permettait aussi aux experts de travailler avec un logiciel familier.
3.2.3.b. Communication avec les experts
Nombre des experts sollicités connaissaient l’existence du projet Metroborder. Afin de retenir l’attention de l’ensemble des experts, un courrier leur a été envoyé environ un mois avant l’envoi du premier questionnaire. Ce courrier mettait en avant les objectifs de l’étude, son mode opératoire. Il insistait sur le statut personnel et non institutionnel de l’expert. Le deuxième questionnaire a suivi deux mois après l’envoi du premier. En effet, les experts avaient deux semaines pour renvoyer leur réponse et deux relances ont été effectuées systématiquement. Les résultats partiels du premier tour de l’étude ont été communiqués dans le rapport intermédiaire (28 février 2012), les résultats de l’ensemble de l’étude dans le draft final report (31 octobre 2010).
3.2.3.c. Questionnaires
Deux questionnaires ont été envoyés. Pour des raisons de temps, il n’aurait pas été possible d’engager un troisième tour. Par ailleurs, le matériel recueilli à l’issue du second tour était très riche. La conception des questionnaires a suivi les lignes directrices exposées plus haut. Afin de mieux exposer comment les questions de recherche, puis les postulats ont été opérationnalisés dans les deux questionnaires successifs, un tableau récapitule ces étapes (Annexe VI, p.246). Les deux questionnaires sont aussi disponibles en annexe (Annexe VII, p.248 et Annexe VIII, p.259).