Section 1: La Grande Région Saar-‐Lor-‐Lux, un espace aux enjeux multiples
1. Les enjeux méthodologiques
Avant de rentrer dans le détail des méthodes développées pour analyser notre problématique, revenons sur certaines modalités du projet ESPON/Metroborder, cadre dans lequel nos recherches se sont concrétisées.
1. Les enjeux méthodologiques
Le développement du projet ESPON/Metroborder a été marqué par le contexte du programme ESPON qui comporte depuis 2007 des projets basés sur la demande des utilisateurs du programme. La priorité 2 (« targeted analysis based on used demand ») a pour objectif d’apporter à une demande politique des éléments de recherche appliquée. Ces projets présentent essentiellement deux caractéristiques.
1.1. Le contexte du projet ESPON/Metroborder
Tout d’abord, le consortium de chercheurs travaille en interaction avec les praticiens, dénommés « stakeholders ». Le programme ESPON donne l’opportunité à des organes locaux, régionaux et nationaux d’initier eux-‐mêmes des projets de recherche. Le cahier des charges est rédigé à quatre mains, par le programme et les praticiens sélectionnés. Ils sont aussi tous deux associés au suivi du projet pendant sa durée, notamment en faisant part de leurs remarques sur les différents rapports de recherche. Dans le cadre du projet ESPON/Metroborder, deux groupes d’acteurs ont été particulièrement impliqués en plus du programme ESPON. Le « comité de consultation » qui était à l’origine de la proposition réunissait des acteurs nationaux (Ministères en charge de l’aménagement du territoire en Allemagne, Belgique, France, Luxembourg et en Suisse). Le « comité de suivi » avait été spécialement mis en place au niveau de la GR pour assurer le suivi de la démarche politique Metroborder. Si ce dernier n’avait pas d’impact formel dans le processus de suivi du programme ESPON, celui-‐ci s’est fortement impliqué dans le processus en rendant des avis et en organisant des réunions de concertation sur les rapports soumis (pour une visualisation de cette structure, voir Annexe IV, p.244). Une analyse du contenu de ces échanges est disponible dans l’habilitation de T. Chilla (2011). Cette structure complexe montre l’engagement de la Présidence luxembourgeoise du Sommet qui avait lancé cette initiative. Dans son rôle de Présidence du groupe de travail « Comité de suivi Metroborder », elle s’assurait que les remarques effectuées par son groupe soient prises en compte dans les observations faites par le programme au groupe de chercheurs. Intervenant au niveau national, elle était aussi la seule à siéger dans les deux groupes de praticiens.
Les projets d’analyse ciblée ont par ailleurs la spécificité de recouvrir une dimension européenne et transnationale. L’objectif de ces projets est en effet d’offrir un diagnostic des
forces et faiblesses d’une région dans le contexte européen. A cette fin, la région d’étude est comparée avec d’autres espaces similaires et replacée dans le contexte européen. Cela permet tant de disposer d’un diagnostic scientifique que d’offrir aux acteurs politiques une plateforme de discussion avec d’autres régions européennes. Dans le cas du projet Metroborder, Grande Région et Rhin supérieur étaient comparées tandis que et des analyses plus générales sur sept autres espaces métropolitains frontaliers européens ont été effectuées (ESPON/Metroborder, 2010a : 4). Le comité de consultation a aussi eu l’occasion d’organiser des échanges plus structurés avec d’autres acteurs politiques ou administratifs participant à la réflexion sur ces espaces (ex. MOT, AEBR, MORO). Ce type de projet se veut donc facteur d’échanges transnationaux, qu’ils soient politiques ou scientifiques.
Dans ce contexte, l’analyse sur la dimension institutionnelle de la coopération transfrontalière en Grande Région a fait face à plusieurs défis :
• Analyser deux cas d’étude en parallèle tandis que ceux-‐ci présentent des similarités, mais aussi des différences importantes (ESPON/Metroborder, 2010a).
• Trois langues de travail (anglais pour les rapports, français et allemand pour les cas d’étude).
• La durée relativement courte du projet (deux ans, de décembre 2009 à décembre 2010) compte tenu du nombre de rapports à soumettre (inception, interim, draft final et final reports) et de l’intensité des échanges avec les praticiens (Chilla, 2011). • La phase analytique du projet a initié une phase interactive de soutien à la prise de
décision durant les derniers moins du projet (« strategy building », ESPON/Metroborder, 2010a).
Afin de faire face à ces exigences et dans le but de conduire l’analyse empirique de la présente étude, plusieurs choix méthodologiques ont été effectués. Pour ce faire, les étapes suivantes ont été suivies.
1.2. Circonscrire l’objet, l’espace ainsi que les institutions et
acteurs de coopération
La première étape méthodologique a pris la forme d’une recherche documentaire afin de déterminer les principales caractéristiques du cas d’étude. Cette recherche documentaire effectuée dans la littérature académique et dans les textes de la coopération transfrontalière s’est accompagnée d’exercices d’ « institutional mapping » (Chilla et al, 2012). Ces premières analyses ont permis de préciser la direction de l’analyse compte tenu des trois dimensions à l’étude.
1.2.1. Déconstruire les objectifs de la RMPT
Comme la RMPT est un projet des acteurs de la coopération institutionnelle en GR, l’objectif de notre étude a été non seulement de mettre à jour les ambitions de ce projet, mais aussi
de révéler comment il participe à la construction de la coopération transfrontalière. Pour ce faire, il nous fallait mettre sur pied des méthodes :
-‐ permettant de cerner l’état de la coopération au moment de l’étude ;
-‐ mettant en lumière les objectifs associés au projet Metroborder et donc les ambitions que ce projet nourrissait chez les acteurs.
L’étude empirique ne s’est donc pas concentrée sur le projet Metroborder, mais elle avait pour but de dresser un diagnostic de la coopération politique. Comme le projet Metroborder s’articule autour du potentiel métropolitain du cas d’étude, nous avons décidé de mener l’analyse empirique sous cet angle d’analyse. Cela a permis de mettre en lumière les ambivalences de cette ambition. La Grande Région est hétérogène. Si un processus de métropolisation est à l’œuvre dans certaines zones (Sohn et al., 2012), cet espace est aussi marqué par l’importance des zones rurales (parc naturel dans chaque région associée, voir annexe IX, p.87, importance du secteur primaire en Wallonie). Il est aussi marqué par la reconversion de friches industrielles en Sarre et en Lorraine.
1.2.2. L’espace de coopération : entre le centre et la périphérie
La Grande Région est réputée « trop grande » dans nombre de discours, qu’ils soient journalistiques ou institutionnels. Si une dynamique transfrontalière claire s’affiche « à proximité des frontières », celle-‐ci semble moins prégnante aux « périphéries » de cet espace. L’étude empirique avait donc aussi pour objectif d’interroger la réalité de cette dualité.
1.2.3. La dimension institutionnelle face à une double dynamique :
transfrontalier / domestique – local / régional
Transfrontalier / Domestique : si nous étudions la structuration d’une gouvernance dans
l’espace frontalier, celle-‐ci se structure également, voire en grande partie, dans le contexte des intérêts domestiques des acteurs associés. D’ailleurs, contrairement au Rhin Supérieur où les instances de coopération semblent disposer d’une certaine marge de manœuvre, les partenaires institutionnels jouent en GR un rôle essentiel. Dans le même temps, d’importantes asymétries les différentient : elles sont tantôt issues de l’échelle locale, régionale ou nationale, tantôt ancrées dans un état centralisé, tantôt fédéral (Chilla et al., 2012). Il s’agit donc de se demander comment l’agenda régional structure-‐t-‐il le contenu et le calendrier de l’agenda transfrontalier.
Ensuite, l’instance de coopération dont les décisions sont les plus discutées et commentées est le Sommet des Exécutifs. Pourtant, celui-‐ci fait face à des défis spécifiques, comme par exemple le nombre de partenaires impliqués. Il s’agira donc d’évaluer le poids effectif du Sommet par rapport aux autres institutions de coopération et par rapport aux entités le composant.
Enfin, le programme INTERREG IVA Grande Région reste largement défini par le contexte européen. Aussi, nous ne le considérons dans le contexte de cette étude que dans la mesure où il est utilisé par les acteurs politiques pour remplir certaines des fonctions dévolues à la RMPT.
Local / Régional-‐national : la stratégie Metroborder est initiée par le Sommet9. Toutefois, ses ambitions métropolitaines peuvent prendre des accents locaux. L’étude devra mettre en évidence comment les acteurs locaux s’approprient la stratégie Metroborder. A l’inverse, quelle importance prend l’échelle locale pour les acteurs régionaux ?
Sur base de ce diagnostic, des entretiens d’experts ont été lancés afin d’affiner ou de revenir sur ces premiers éléments d’analyse. Les résultats des entretiens ont permis ensuite de lancer une étude Delphi.
2. Entretiens d’experts
La méthode de l’entretien d’expert individuel a été choisie dans le but de vérifier la pertinence des questions de recherche précédemment mentionnées et de leur apporter des premières réponses.
2.1. Mode opératoire
Sur base de ces premiers éléments de recherche, des questions ont été opérationnalisées et développées dans le cadre d’un guide d’entretien adapté à chaque expert interrogé. L’approche suivie pour mener les entretiens était celle d’un entretien semi-‐direct afin d’obtenir des réponses couvrant le plus de thématiques possibles mais aussi afin de laisser une certaine liberté à l’interlocuteur et de ne pas exclure a priori des éléments qui n’auraient pas été détectés dans la première phase de l’analyse. Pour des raisons de temps, mais aussi du fait que ces entretiens étaient exploratoires, ceux-‐ci n’ont pas été retranscris. Une synthèse a été systématiquement effectuée après chaque entretien. Celles-‐ci ont servi de base au développement de l’étude Delphi.
2.2. Sélection des experts
La sélection des experts a été effectuée afin de balayer l’ensemble des dimensions mentionnées ci-‐dessus, sans pour autant prétendre à l’exhaustivité compte tenu de la variété et de l’ampleur des échelles, domaines et acteurs potentiellement concernés. L’objectif était de rencontrer au moins un représentant par échelle de compétence et par région et de conserver un équilibre concernant les responsabilités des interlocuteurs (entre
9 Par commodité, nous nommons dans cette étude coopération régionale les institutions associant une majorité d’acteurs régionaux (ex. Sommet, CESGR), les acteurs agissant au niveau communal et de l’association de
représentants politiques, fonctionnaires, personnes travaillant pour un organisme transfrontalier ou ayant une affiliation régionale, personnes travaillant dans la société civile ou des représentations professionnelles, voir liste des experts Annexe V, p.245. Après le projet Metroborder, notre implication dans un autre projet ESPON, le projet TERCO (traitant de la coopération territoriale) nous a permis de mener d’autres entretiens d’experts. Etudiant notamment le GECT INTERREG IVA Grande Région, ce projet a permis d’interroger des experts sur l’articulation de ce programme dans la gouvernance de la Grande Région. Dans ce contexte, d’autres entretiens d’experts ont été réalisés à l’automne 2011. Tout en répondant aux exigences de ce projet, l’objectif était dans le cadre de cette thèse de déterminer dans quelle mesure le GECT était interprété comme un outil permettant potentiellement de déléguer des compétences gérées habituellement au niveau régional. Les entretiens ont donc largement contribué à notre troisième postulat. Les experts ont principalement été choisis compte tenu des responsabilités qu’ils exerçaient dans la mise en place, dans la gestion et la supervision du GECT. L’Annexe V présente une synthèse des personnes rencontrées en 2009 et en 2011.