Chapitre 3: La construction d’un leitmotiv métropolitain pour une
2. De l'espace au territoire transfrontalier?
2.2. Le Mandatsraum, espace souple vecteur d’une appropriation matérielle
2.2. Le Mandatsraum, espace souple vecteur d’une appropriation
matérielle interrégionale
2.2.1. Appropriation transfrontalière ou régionalisée de l’espace
transfrontalier ?
Dans le but de concrétiser la stratégie Metroborder, appelée « stratégie de développement métropolitaine », le dernier Sommet des Exécutifs a décidé de « réaliser un programme d’actions territorial concerté (…) qui se fonde sur quatre piliers : Economie, Territoires, Hommes et Gouvernance » (Sommet, 2013b : 4).
Sur le moyen terme, la méthode employée est donc la concertation. Par cet accord, les acteurs s’engagent à continuer d’appréhender l’espace transfrontalier en commun. Ils s’engagent à continuer d’échanger sur les enjeux de cet espace. La concrétisation des décisions à prendre sera soumise à une négociation commune. Le mot « concertation » laisse par ailleurs supposer que le mode de réflexion et de prise de décision s’effectue largement au niveau interrégional, pour permettre in fine une mise en œuvre régionale ou nationale des projets décidés en commun. En ce sens, l’action commune sur un espace-‐ territorialité commun s’organiserait en deux temps. Tout d’abord, la fonction d’observation, de diagnostic territorial (appropriation cognitive) pourrait être transfrontalière et interrégionale, comme l’analyse précédente semble le montrer. Ce diagnostic territorial transfrontalier permettrait d’observer, d’analyser et de prendre la mesure des potentiels et interdépendances de cet espace. Ensuite, le Sommet servirait de plateforme à la concertation transfrontalière avant que la mise en œuvre des décisions prises en concertation ne se développe régionalement. L’appropriation matérielle demeure régionale ou nationale, dans le cas du Luxembourg. Dans ce contexte, le Mandatsraum cristallise à la fois le diagnostic territorial transfrontalier (élément fonctionnel) et l’interprétation idéelle qu’en font les acteurs associés à la coopération.
2.2.2. Le Mandatsraum, espace transfrontalier « souple » (Allmendinger,
& Haughton, 2007)
Le Sommet de 2009 avait explicitement précisé sa volonté de développer une « RMPT au sein de la GR », laissant ainsi équivoque l’éventuelle volonté d’institutionnaliser un Mandatsraum. Le Sommet de 2013 semble nuancer ou préciser la construction politique que pourrait être le Mandatsraum :
« Si les fonctions métropolitaines supérieures situées dans le noyau central de la Grande Région constituent le moteur de cette stratégie, il convient d’intégrer tous les territoires de l’espace de coopération institutionnelle afin de contribuer à un développement territorial structuré et équilibré. (Sommet, 2013a : 4).
Est ainsi reconnue l’existence d’un noyau central jouant un rôle moteur pour le développement fonctionnel de l’espace. Par contre, il est précisé que celui-‐ci n’existe que dans son contexte institutionnel et à la condition qu’il implique dans son développement l’ensemble de cet espace. La Mandatsraum résulte de l’espace institutionnel et de la territorialité de ses membres. Il exerce par ailleurs une fonction d’entraînement de l’ensemble de l’espace transfrontalier. La vision politique continue de concevoir l’espace noyau comme moyen de positionnement de l’espace transfrontalier dans un contexte européen. Ainsi, Mandats et Vertragraum sont indissociables. Le Mandatsraum constitue la vision territoriale du moteur de la coopération institutionnelle. Il constitue le moteur de la « voiture » Grande Région. Cette interprétation semble confirmée par un entretien.
« On ne peut pas encore parler d’un espace RMPT, il n’existe pas, n’a pas été inscrit dans un programme d’action et encore au travers des actions, on va éviter de parler de périmètre. On a à travailler sur des thématiques, de sorte à ce qu’à travers des thématiques chaque territoire soit impliqué à un moment ou à un autre. Dans RMPT, on parle pas de territoire, ce sera forcément celui de la GR à l’heure actuelle. A ce stade de maturation, c’est le périmètre institutionnel actuel qui est la référence » (entretien).
Cette citation montre bien la difficulté à conférer des contours fixes au Mandatsraum. Nous avons déjà évoqué les raisons de cette difficulté. L’élément essentiel résulte de la dimension protéiforme de la coopération. Si la stratégie RMPT circonscrit en partie l’objectif de la coopération, celle-‐ci demeure vaste. Transports, aménagement du territoire, mobilité professionnelle, recherche et innovation sont concernés. L’ambition d’une visibilité européenne impose aussi des thèmes comme par exemple le marketing territorial, l’accessibilité aux grandes métropoles européennes, l’attractivité économique. La plupart de ces thématiques ont une dimension spatiale évidente (Chilla, 2011). Les figer dans une vision spatiale reviendrait à figer l’action transfrontalière. Dans ce contexte, la définition d’un espace souple (« soft space ») permettrait de conserver une flexibilité dans la mise en œuvre du projet politique. Il permettrait de renoncer à des bornes fixes pour préférer des « fuzzy boundaries » (Allmendinger & Haughton, 2009 : 619). L’espace souple est interprété comme « fluide areas (…) between formal processes where implementation through bargaining, flexibility, discretion and interpretation dominate » (Allmendinger, & Haughton, 2007: 306). Il se distingue des espaces « durs », « formal visible arenas and processes, often statutory and open to democratic processes and local political influence » (idem). L’espace ainsi défini s’adapterait aux projets et confèrerait une opérationnalité à l’espace institutionnel. Il représenterait une première étape assurant ainsi à chacun des partenaires la prééminence de « sa » propre territorialité. En revanche, il obligerait les acteurs à une constante négociation de l’espace. L’institutionnalisation de « fuzzy boundaries » pour ce Mandatsraum conforterait le Sommet en tant qu’instance délibérative de référence tout en ouvrant le cadre institutionnel à des partenaires urbains par exemple (chapitre 6). En fonction des thématiques, des projets considérés, la mise en place de groupes de coopération ad hoc pourrait être envisagée, impliquant par exemple les villes pour les questions métropolitaines ou encore les chambres de commerce pour les questions de
marketing territorial. Cela revient in fine à l’idée des « variable geometries ». En ce sens, il n’y aurait pas une territorialité fixe et déterminée, mais plusieurs exercées de manière concomitante, se chevauchant. Elles seraient aussi de fait plus ou moins coordonnées. Le défi réside dans la définition de manière dépassionnée des ambitions de la coopération, des leviers qu’elle offre et des éléments ne pouvant être réalisés dans le contexte transfrontalier. Cela nécessite une certaine stabilité du contexte national pour chacun des partenaires associé, une importante volonté de coopérer, des méthodes de travail communes éprouvées permettant de respecter les sensibilités de chaque partenaire et un grand niveau de confiance dans la coopération. L’ensemble de ces éléments décisifs montre encore que ce processus ne peut résulter que d’une construction ancrée sur la longue durée, une sorte de sédimentation.
Dans ce contexte, le Mandatsraum constituerait un moyen transfrontalier permettant d’opérationnaliser au niveau régional le diagnostic territorial établi dans le contexte transfrontalier. Il catalyserait le passage d’une appropriation idéelle transfrontalière à une appropriation matérielle régionalisée.
Conclusion du chapitre 4
La dimension territoriale joue un rôle primordial dans la construction politique de la stratégie Metroborder. L’espace transfrontalier constitue un élément symbolique essentiel dans la construction de l’image, voire de l’identité de cette région en construction. Il est surtout le lieu de la manifestation tangible, palpable des interdépendances fonctionnelles et de leur impact dans les sphères économique, sociétale et culturelle. Il est donc le point d’ancrage d’un espace régionalisé où la frontière est interface. L’espace transfrontalier est encore vecteur de projections idéelles en ce qu’il symbolise à la fois la construction européenne, un lieu de rencontre entre cultures et langues, mais aussi la possibilité d’un positionnement commun vers l’extérieur.
Dans ce contexte, la stratégie RMPT apparaît pour les acteurs comme un moyen de définir le périmètre d’action pertinent pour résoudre des problèmes communs. Un phénomène de reterritorialisation s’observe dans le sens où les acteurs font le diagnostic d’interdépendances transfrontalières ne pouvant être résolues sans concertation transfrontalière. Le contexte transfrontalier se structure alors comme étant le cadre dans lequel certaines questions peuvent être traitées au mieux. Ainsi, la stratégie politique Metroborder témoigne de l’appropriation collective d’un problème et de la nécessité de lui apporter des réponses dans l’intérêt commun. Ce processus témoigne d’un processus de rescaling ou « Ebenenwechsel » (Chilla, 2011).
La reterritorialisation des interdépendances fonctionnelles, c’est-‐à-‐dire la mise sur pied d’une stratégie commune transfrontalière afin d’y faire face, s’accompagne alors de la tentative de circonscrire dans l’espace la nature et l’ampleur de ces interdépendances. Il s’agit d’une appropriation cognitive et idéelle de l’espace frontalier par l’ensemble des acteurs. La volonté de définir un nouveau cadre permettant d’appréhender des phénomènes transfrontaliers trouve son expression dans le processus de délimitation. Y concourent la mise en place commune d’éléments permettant d’appréhender l’espace transfrontalier avec le même langage. Ce sont notamment des données spatiales, des cartes ou encore le projet ESPON/Metroborder. Ces outils permettent d’initier en commun et de manière objective un diagnostic territorial afin d’asseoir la prise de décision transfrontalière. Il n’est pour le moment pas possible d’identifier une appropriation matérielle de l’espace transfrontalier qui soit exercée en commun, par l’ensemble des partenaires. Un recul temporel avec ce processus se révèle nécessaire. Nous pouvons constater que le Sommet a réaffirmé la concertation entre partenaires et implicitement la mise en œuvre régionale de l’ensemble des décisions communes. En ce sens, il semblerait que le contexte transfrontalier constitue essentiellement une plateforme de concertation au sein de laquelle des engagements sont pris les uns envers aux autres. La mise en œuvre des décisions est effectuée sur une base régionale ou nationale. Ce constat rappelle l’importance de la territorialité nationale et régionale dans le contexte transfrontalier. Ainsi, même s’il est maintenant admis que l’état en tant que réceptacle (« container ») de l’espace social est une construction sociale, il n’en demeure pas moins qu’il encadre largement notre
compréhension du monde (Ó Tuathail & Dalby, 1998). « When we use these categories, they operate as containers into which people and places can unambiguously be grouped as members of the particular category or not » (Jones, 2009a: 184).
Le cas de la Grande Région montre toutefois les limites opérationnelles de la territorialité régionale ou nationale. A cet égard, le Mandatsraum constitue un outil pour tenter d’y pallier de manière pragmatique. Les limites immédiates que nous percevons dans les caractéristiques de cet espace souple sont aussi ses forces. Il est constamment négocié et donc construit par les partenaires, ce qui lui confère un caractère volatile, d’autant plus accentué dans le contexte transfrontalier qu’il se caractérise par le nombre important des partenaires associés ainsi que par la superposition des différents agendas. Par ailleurs, le caractère effectif des décisions transfrontalières est soumis à la mise en œuvre de chacun des partenaires. L’opérationnalité du Mandats-‐ et du Vertragsraum dépend aussi largement du rôle confié aux institutions de coopération. Or, nous l’avons vu, le processus Metroborder a également initié une réflexion sur la gouvernance de cet espace.