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Régime du testament nuncupatif dans le code civil neuchâtelois Le code civil neuchâtel ois définissait le testament nuncupatif comme le

Le testament oral en droit suisse et dans l'ancien droit neuchâtelois

II. Le testament oral dans l'ancien droit neuchâtelois (testament nuncupatif)

2. Régime du testament nuncupatif dans le code civil neuchâtelois Le code civil neuchâtel ois définissait le testament nuncupatif comme le

tes-tament «qui est reçu par cinq témoins auxquels le testateur fait connaître ver-balement ses volontés» (article 716 al. 1 CCN). Reprenant le plan retenu pour l'examen du régime du testament oral en droit suisse et dans le droit coutu-mier neuchâtelois, je traiterai, tout d'abord, des circonstances autorisant le recours à un tel testament section a), puis, de la procédure (sous-section b).

a) Circonstances extraordinaires

Dans le code civil neuchâtelois, le testament nuncupatif a été clairement codifié comme un testament exceptionnel permis dans les seuls cas de nécessité (cf.

article 720 al. 1 CCN) et qui n'a d'effet que si le testateur meurt dans les six semaines dès la confection du testament (cf. art. 720 al. 2 CCN). On retrouve ici des conditions très semblables à celles du droit suisse (cf. article 506 al. 1 CC). Il fallait, d'une part, que le testateur se trouve «dans un danger imminent de mort», et d'autre part, qu'il soit dans l'incapacité de tester dans l'une des formes ordinaires, c'est-à-dire le testament public ou le testament olographe: «sans pouvoir ni écrire ses volontés, ni appeler un notaire pour les recevoim (art. 720 al. 1 CCN).

A noter que, dans un arrêt du 6 septembre 1864, la Cour d'appel neuchâteloise a interprété cette disposition d'une manière pour le moins extensive en admettant la validité d'un testament nuncupatif dans lequel un notaire était témoin81

80 La lecture du Rapport du Conseil d'Etat est instructive: «Il en est de même de la matière des testaments et donations: nous avons reproduit les textes français quand cette reproduc-tion répondait à nos idées, mais nous nous sommes essentiellement attachés à exprimer la coutume du pays, familière à chacun, simple et bonne en elle-même, et qui répond com-plètement à nos besoins. Nous avons seulement précisé la forme jusqu'ici un peu vague, un peu inceriaine des testaments nuncupatifs, et nous avons fait en sorte de donner à ces actes une consistance qui, selon nous, leur manquait dans certains cas» («Rapport du Conseil d'Etat à la commission législative au sujet du projet de code civil», in Bulletin de la dis-cussion du code civil de la République et Canton de Neuchâtell853-1855, Neuchâtel1857, p. 57).

81 Cf. arrêt de la Cour d'appel du 6 septembre 1864, in Recueil des arrêts de la Cour d'appel de la République et Canton de Neuchâtel, tome VII, Neuchâtel-Fleurier 1864, pp. 122-137, 137.

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Par ailleurs, le testament nuncupatif était soumis à une clause de cadu-cité, non pas de deux semaines comme dans le droit suisse actuel (cf art.

508 CC), mais de 6 semaines, consacrant en cela une pratique suivie sous la coutume neuchâteloise: «Il est nul de plein droit, alors même qu'il n'aurait point été révoqué, si le testateur a vécu plus de six semaines après le jour où le testament a été fait» (cf. art. 720 al. 2 CCN). La sanction consistait donc en une nullité de plein droit.

b) Procédure

La procédure prévue dans le CCN contenait certaines similitudes avec la pro-cédure retenue par la suite dans le code civil suisse, mais aussi des différen-ces importantes. Selon 1' article 717 CCN, le testateur «doit exprimer lui-même ses volontés en présence des 5 témoins. Ensuite, à l'image du droit suisse, les dernières volontés du testateur devaient être rédigées par écrit par les té-moins, puis transmises immédiatement entre les mains du juge de paix. La procédure différait cependant quelque peu du régime du droit suisse dans la mesure où les témoins déposaient le document écrit immédiatement après avoir entendu les dispositions orales du testateur, mais n'attestaient de son contenu qu'après le décès du testateur, alors qu'en droit suisse, la procédure est sim-plifiée: dépôt et attestation étant concomitants (cf. article 507 al. 1 CC).

Ainsi, dans un premier temps, après «avoir entendu les dispositions du testateur, les témoins [devaient], mais hors de sa présence, les rédiger par écrit, les signer, les dater, les fermer et les sceller, et en effectuer le dépôt immédiatement entre les mains du juge de paix» (atticle 718 CCN). Cette rédaction ne pouvait être signée par le testateur lui-même, sous peine de nullité (cf. art. 718 CCN). Le CCN ne précisait pas dans quel délai ces diverses opérations devaient être effectuées. JACOTTET estimait qu'il fallait appliquer le principe de l'unité d'action (unitas actus), seul à même de garantir «l'exac-titude complète des souvenirs des témoins et de leur rédaction»82Dans une décision rendue en 1857, la Cour d'appel neuchâteloise a pour sa part inter-prété d'une manière très large la procédure prévue à l'article 718 CCN. Elle a en effet admis la validité d'un testament nuncupatif dans lequel les témoins n'avaient rédigé les dispositions du testateur que le lendemain. De plus, l'un des témoins n'était pas présent à cette rédaction et ne l'avait signée qu'après coup. Enfin, la rédaction avait été faite par un parent du testateur qui ne pouvait compter comme témoin83

82 Cf. JACOTTET, Le droit civil (n. 38), p. 636.

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Le testament oral en droit suisse et dans l'ancien droit neuchâtelois

Dans un second temps, au moment de l'ouverture de la succession, l'ar-ticle 719 CCN prescrivait que «les témoins seront appelés devant le juge com-pétent et attesteront, sous la foi du serment, en présence des intéressés, que le testament, tel qu'ils l'ont rédigé, est l'expression libre et sincère des vo-lontés du testateur, qu'ils les ont entendu exprimer par sa propre bouche et que le testateur leur a paru sain d'esprit».

Apparemment, étaient considérées comme des personnes intéressées au sens de l'article 719 CCN tous les gens qui avaient intérêt à ce que le testa-ment nuncupatifne déploie pas d'effet, c'est-à-dire les prétendants ab intes-tat ou en raison d'un autre testament84Par ailleurs, l'attestation des témoins ne pouvait être opposée qu'aux personnes intéressées en présence desquel-les elle avait été rendue, ce qui signifiait qu'elle pouvait être amenée à être répétée devant tous les prétendants qui le demandaient dans les délais légaux85 En synthèse, nous constatons que le régime du testament nuncupatif du code civil neuchâtelois (art. 716-720 CCN) compmiait de nombreuses simi-litudes avec le régime adopté dans le code civil suisse par le législateur fé-déral un demi-siècle plus tard (mi. 506-508 CC). Dès lors que l'on connaît l'attachement d'Eugen HUBER à l'histoire du droit privé suisse, ainsi que sa parfaite connaissance des anciens droits cantonaux, on peut considérer que le testament nuncupatif neuchâtelois, au même titre d'ailleurs que le testa-ment nuncupatif fribourgeois, a été un modèle d'inspiration de premier or-dre du testament oral helvétique86.

Conclusion

Le survol historique que nous avons effectué nous a permis de voir 1' émer-gence, en droit romain préclassique d'un testament oral, effectuée au moyen d'une nuncupatio, c'est-à-dire d'une déclaration orale selon laquelle le tes-tateur nomme ses héritiers. Le testament nuncupatif a été utilisé durant toute l'époque classique et l'époque post-classique comme une forme ordinaire de tester. Faisant suite à la renaissance du testament comme mode usuel de disposer du de cujus, le testament oral est globalement usité dans tous les

83 Cf. arrêt de la Cour d'appel du 7 avri\1857, in Recueil des arrêts de la Cour d'appel de la République et Canton de Neuchâtel, tome IV, Neuchâtel 1857, pp. 152-163, 162s.

84 Cf. JACOTTET, Le droit civil (n. 38), p. 634.

85 Cf. JACOTTET, Le droit civil (n. 38), p. 634.

86 Sur le testament oral dans les anciens droits cantonaux, cf. Eugen HuBER, System und Geschichte des Schweizerischen Privatrechtes, tome Il, Bâle 1888, pp. 193-198.

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ordres juridiques des pays romands à partir du XVIe siècle. La coutume neuchâteloise consacre également l'existence d'un testament oral, appelé testament nuncupatif, par référence au droit romain. Cette forme testamen-taire devient alors une forme subsidiaire, extraordinaire, de tester à laquelle recomt le de cujus sur son lit de mort. C'est en cette qualité de testament de nécessité que le testament oral sera codifié aussi bien dans le code civil neuchâtelois, sous la dénomination de «testament nuncupatif», que dans le code civil suisse, sous l'appellation de «testament oral». Dans les deux cas, le testament oral est soumis à une règle de caducité.

Au travers des siècles, le testament oral a conservé ses caractéristiques propres en ce qu'il est fondé, d'une part, sur la déclaration orale du testa-teur, et d'autre part, sur la déposition des témoins qui agissent comme inter-médiaires entre le testateur et les autorités chargées de la constatation et de l'exécution des dernières volontés du testateur. Avec le temps, le caractère écrit de l'attestation des témoins a pris une part prépondérante par rapport au nombre des témoins devant être présents: pas de document écrit et sept témoins, en droit romain post-classique; rédaction encouragée mais non obligatoire et cinq témoins dans la coutume neuchâteloise; rédaction obliga-toire dans les codes civils neuchâtelois et suisse, avec cinq témoins requis pour le premier, mais plus que deux pour le second.

La loi autorise à certaines conditions une personne en imminent danger de mott à nommer ses héritiers de vive voix au moyen d'un testament oral.

Modifiant le régime ab intestat, le testateur a la possibilité, de cette manière, de procéder aux ultimes arbitrages, de prendre ses toutes dernières décisions, et ainsi de prolonger en quelque sorte sa personnalité après sa mort à travers la répartition de ses actifs. Mais le mourant conserve évidemment le droit de ne pas tester rejoignant en cela un enseignement de Frédéric-Henri MENTHA:

«Quelque chose blesse mon idée de la mort, dans ces ordres que dicte un cadavre. Exerçons de notre vivant, selon notre conscience ou même simple-ment pour notre plaisir, la plénitude de nos droits; mais n'ayons pas la pré-somption d'affmner notre personnalité au moment où l'organisation du monde exige qu'elle disparaisse. Sachons mourir discrètement»87!

87 Frédéric-Henri MENTHA, La morale du testament, Saint-Blaise 1909, p. 12.