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Quelques réflexions sur le minimum vital

III. Conflits de minima vitaux

A. Droit des poursuites aide sociale

On a déjà relevé que les montants de base retenus pour l'aide sociale sur-passent ceux qui sont respectés par les autorités de poursuite. En 1997, la comparaison des lignes directrices émises par la conférence pour l'aide so-ciale et la conférence des préposés aux poursuites faisait apparaître une dif-férence de Fr. 100.- pour une personne seule (111 0 contre 101 0), de Fr. 350.- pour un couple sans enfants (1700 contre 1350) et une différence de Fr. 450.- (2270 contre 1820) pour un couple avec un enfant de plus de 16 ans. Il faut rappeler qu'il s'agit uniquement des montants dits de base auxquels il y a lieu d'ajouter, pour obtenir le minimum vital, des montants calculés (plus ou moins généreusement) sur la base des frais effectifs (loyer, assurances sociales, assurance maladie, etc ... )23

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CHARLOTTE ALFIREv-BIERI, Im Zweifel fiir die Rechtsgeleichheit entschieden, ZeSo 1977, 148.

21 Le cas traité par le TF dans l'atTêt qui a pour la première fois qualifié le droit à une exis-tence digne comme un droit constitutionnel non éctit était justement celui d'un requérant d'asile.

22 Sic: AuEIVMALINVERNIIHOTTELIER, 1513 et 1514.

23 MEIERIZWEIFEUZABOROWSKIIJENT-SORENSEN, p. 56 à 59.

Louis DALLÈVES

Le montant de l'AVS/AI, complété des APG est encore plus généreux.

Or les prestations versées par 1' aide sociale, 1 'AVS/ AI et les APG sont abso-lument insaisissables en vertu de l'art. 93 ch. 8 et ch. 9a LP.

Il en résulte que la personne ayant un salaire saisi à concurrence du mi-nimum vital dispose de moins d'argent (entre 10% et 20%) que l'assisté ou le retraité. Même le juriste qui n'est pas versé dans la théorie économique du droit («law and economies») comprend qu'un tel système n'incite pas à travailler pour rembourser ses créanciers; il est contre-productif.

La question a été soulevée, mais non résolue, lors des délibérations rela-tives au nouvel art. 93 LP. Suivant pmiiellement sur ce point les recomman-dations de 1' étude commandée au prof. Meier, les nouvelles directives de la conférence des préposés aux poursuites du 24 novembre 200024 se rappro-chent des nouvelles directives pour l'aide sociale valable depuis le 1er jan-vier 199825. C'est ainsi que le montant de base calculé par l'OP est relevé à Fr. l'lOO.- alors que l'aide sociale recommandée se situe dorénavant (Grundbedarf 1 + II) entre Fr. 1 '055.- et Fr. 1' 165.-, des chiffres qui sont donc compatibles. Cependant, pour 4 personnes (1 couple+ 2 enfants), l'aide sociale se situe entre Fr. 2'260.- et Fr. 2'495.-, alors que l'Office des pour-suites plafonne à Fr. 2'095.- (moins si enfants en bas âge), de sorte que la situation reste insatisfaisante.

B. Droit des poursuites - droit de la famille

Un autre conflit entre les minima vitaux, déjà signalés par M. Perrin26, ré-sulte d'une divergence persistante entre la jurisprudence de la

ne

Cour civile du TF en matière de pensions alimentaires, et celle de la Chambre des pour-suites et faillites du TF, qui détermine les critères applicables à la détermi-nation du minimum vital en matière d'exécution forcée.

En effet, la Cour civile a consacré dans de nombreux arrêts27 le principe selon lequel, en cas d'insuffisance de revenus, il faut laisser au débiteur de la pension son minimum vital (calculé selon le droit des poursuites), le bé-néficiaire (époux séparé, enfant) devant alors se contenter d'une rente infé-rieure à celle à laquelle il aurait droit.

24 BISchK 2001, 19.

25 ZeSo 1997, 149.

26 PERRIN, p. 439 et ss.

27 Pour ne citer que les deux derniers: ATF 123 lii 1 = JdT 1998 1 39; ATF 121 I 97 = JdT 1997 I 46.

Quelques réflexions sur le minimum vital

La chambre des poursuites et faillites adopte une autre méthode: confrontée à une insuffisance du revenu saisissable dans une poursuite d'un créancier d'aliments qui ne dispose lui-même que du minimum vital, elle réduit pro-portionnellement les minima vitaux du créancier et du débiteur de la pen-sion28. Créancier alimentaire et débiteur sont ainsi réduits l'un et l'autre en dessous du minimum vital fixé par les Directives de la conférence des pré-posés aux poursuites.

La jurisprudence de la Cour civile a donc pour effet de faire supporter au seul créancier de la pension (qui est souvent l'épouse ou son enfant) un dé-ficit de financement et de le contraindre ainsi à faire appel à l'aide sociale, ce que certains trouvent contraire au principe de l'égalité de traitement. Mais la deuxième solution n'est guère meilleure, puisqu'elle entame le minimum vital des deux parties, de sorte que l'une et l'autre doivent parfois faire ap-pel à l'aide sociale, induisant ainsi des frais supplémentaires pour obtenir le même résultat. Entre deux solutions insatisfaisantes, le Parlement a décidé de ne pas choisir. C'est ainsi qu'il a rejeté, lors des délibérations sur le nou-veau droit du divorce, la proposition de la commission du conseil national d'ajouter au

ces

un art. 125bis ayant la teneur suivante:

«En l'absence de moyens permettant de fixer le montant nécessaire pour garantir le minimum vital, le montant manquant est réparti de manière appropriée entre les époux.»29

Cet article avait pour but de consacrer le principe d'égalité de traitement.

On pourrait se demander si le nouveau droit constitutionnel exprimé par l'art. 12 Cst. n'interdit pas aux autorités de poursuite de porter atteinte au minimum vital qu'elles ont elles-mêmes défini. Tel n'est sans doute pas le cas selon l'interprétation minimaliste donnée à la garantie constitutionnelle, puisque 1 'aide sociale, «le filet sous le filet», repêche ceux dont les ressour-ces ne sont plus «décentes».

28 Voir la formule et son commentaire dans G. VoNDER MüHL in Basler Komm. SchKG Art. 93, W 37-40 ainsi que ATF 111 III 13 = JdT 1987 II 79.

29 BOCN 1997, 2697; SuzETTE SANDOZ, Nouveau droit du divorce et LP: rien à signaler ou l'histoire d'un alinéa mort-né, BlSchK 2000, 11.

Louis DALLÈVES

IV. Problèmes relatifs au minimum vital défini par la LP et par les autorités de poursuite

Deux questions- parmi d'autres- seront ici traitées, car il s'agit de ques-tions de principe.

A. Non-inclusion des impôts dans les dépenses prises en compte pour le calcul du minimum vital

Une jurisprudence constante30 refuse d'inclure les impôts à payer dans les dépenses prises en compte pour le calcul du minimum vital, exception faite de l'impôt à la source perçu sur le salaire des travailleurs domiciliés à l'étran-ger31. Le motif invoqué est que l'inclusion de cette dépense- qui n'est pas indispensable à la survie du débiteur ! -privilégierait le fisc par rappott aux autres créanciers, pour autant que les impôts soient effectivement payés. Le législateur n'a pas voulu instituer un privilège du fisc. L'imposition ayant lieu sur le revenu, indépendamment des saisies dont il peut faire l'objet, il résulte de cette décision de principe que le débiteur réduit au minimum vital par une saisie de revenu voit son endettement s'alourdir inexorablement des dettes fiscales impayées. On sait par ailleurs que le fisc est le plus fréquent créancier poursuivant, car il s'agit d'un créancier «involontaire», dans le sens où sa créance résulte de l'application de la loi et non d'une décision auto-nome32 de faire crédit.

Cette situation, décourageante pour le débiteur, a provoqué la fronde de certains tribunaux cantonaux, qui n'ont pas hésité à s'écarter de la jurispru-dence fédérale et des directives, en incluant les impôts courants dans le cal-cul du minimum vitaP3. Pourtant, la jurisprudence du TF a été confirmée à nouveau par deux arrêts récents, qui relèvent que le minimum vital du débi-teur doit de toute façon être respecté34. Encourager le débidébi-teur à sortir de son endettement n'est pas la préoccupation majeure de notre haute instance.

30 ATF 127 III 68; 126 III 353, 95 III 39 = JdT 1970 II 72; voir aussi les Directives, ch. III, BlSchK 2001, 21.

31 ATF 90 III 39 = JdT 1964 II 69.

32 MEIERIZWEIFEUZABOROWSKJ/JENT-SORENSEN, p. 176/177, 179.

33 Aufsichtsbehôrde Solothurn, 6.12.2000, BlSchK 2001, 99 avec note V ONDER MüHL.

34 ATF 126 III 353; ATF 127 III 68.

Quelques réflexions sur le minimum vital

B. Condamnation à vie au minimum vital

Selon l'art. 93 al. 2 LP, la saisie de salaire et d'autres revenus ne peut avoir lieu que pour la durée d'un an. Toutefois, à la fin de cette période, il est dé-livré au créancier un acte de défaut de biens, qui lui permet de requérir une nouvelle saisie sans avoir à réitérer la phase introductive de la poursuite, lors-qu'il agit dans les 6 mois (art. 149 al. 1 et 3 LP).

L'art. 93 al. 2 LP n'a donc pas pour but de libérer le débiteur au bout d'une année, mais bien de permettre à d'autres créanciers, le cas échéant, de participer à leur tour à la saisie de revenus.

Il est des cas où le surendettement du débiteur est inémédiable, le mon-tant saisissable au-delà du minimum vital ne couvrant même pas les frais de poursuite, les intérêts et les impôts. Le législation n'a prévu dans de tels cas, qui sont souvent liés au crédit à la consommation, aucune possibilité de li-bération - au moins à terme - de la dette, de sorte que le débiteur est ainsi

«condamné à vie» au minimum vital. D'autres législations, telles que la lé-gislation allemande (Restschuldbefreiung)35 ou américaine (Discharge )36 ont au contraire jugé nécessaire d'accorder au débiteur un «fresh start» à des con-ditions plus ou moins strictes37La législation suisse ne prévoit qu'un «rè-glement amiable des dettes», qui est une procédure peu efficace car non contraignante38, que certains ont qualifié d'«avortom>39Cette législation de-vrait être réexaminée.

V. Conclusions

Les développements qui précèdent, aussi sommaires soient-ils, inspirent deux réflexions, qui serviront de conclusion.

35 § 304 ss InsO.

36 Bankruptcy Code, chapter 7, chapter 13.

37 De nombreuses études ont été publiées à ce sujet. Pour un résumé: MEIER!ZwEIFELI ZABOROWSKIIJENT-S6RENSEN, chap. 3 et les références citées.

38 L. DALLÈVES, Règlement amiable des dettes selon la LP révisée, AJP/PJA 1995, 1564; du même auteur: Un «fresh start» pour les communes surendettées? SJ 2001, 169.

39 P.R. GILLIÉRON, Règlement amiable des dettes: avorton ou embryon? in: Schuldbetreibung und Konkurs in Wande1, Bâle 2000, p. 419.

Louis DALLÈVES

A. Définition unique du minimum vital

L'art. 12 Cst. est prudemment intitulé «Droit d'obtenir de l'aide dans des situations de détresse». L'aide ainsi promise peut revêtir des formes variées.

Le texte de l'article garantit à chacun le droit de recevoir «les moyens indis-pensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine».

Il est déconcertant de constater que diverses lois cantonales et fédéra-les - ont de cette dignité humaine une conception qui se traduit par des cri-tères d'appréciation et donc par des chiffres différents. Il en résulte des iné-galités de traitement, par exemple entre les personnes nécessiteuses au sens retenu pour l'aide sociale, et celles qui sont réduites au minimum vital par l'office des poursuites.

Sans doute faut-il être pragmatique et h·ouver à des situations différentes des solutions adaptées. Ainsi, la situation d'un demandeur d'asile n'est-elle pas semblable à celle d'un invalide nécessiteux. Toutefois, les notions de «mi-nimum vital» et de «dignité humaine» devraient faire l'objet d'un consensus et d'une définition de principe, même s'il est ensuite possible et même sou-haitable de moduler les chiffres effectivement pris en compte.

B. Incitation à sortir de l'insolvabilité

Deux exemples de situations contre-productives ont été signalés ci-dessus.

Il est tentant de ne plus travailler, au seul profit des créanciers, lorsque l'aide sociale insaisissable procure un revenu meilleur. La quasi-certitude d'êh·e réduit au minimum vital sa vie durant n'incite pas le débiteur à augmenter son re-venu.

D'autres solutions existent. La libération des dettes résiduelles, après un temps durant lequel le débiteur est tenu de foumir un effort de remboursement maximum, peut être bénéfique au créancier comme au débiteur. L'aide sociale ne doit pas êh·e une altemative préférable au travail. Enfin, on pounait admettre que le débiteur qui fait l'effort d'augmenter ses revenus puisse conserver, à titre incitatif, une partie de cette augmentation, au lieu de la remettre intégra-lement à l'office. La théorie économique du droit devrait faire son enh·ée dans le domaine de l'exécution forcée40

40 L'étude réalisée sous la direction du Prof. MEIER (note 4) va dans ce sens, mais n'a pas été suivie pour l'instant. Il est vrai que certaines réformes, par exemple la libération pour le solde, relèvent du législateur. Mais d'autres (par ex. la définition des critères du minimum vital) poutTaient être réalisées par la jurisprudence.

Le testament oral en droit suisse