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La référence aux proches dans le droit actuel et futur de la protection des adultes

1. Propos introductifs

L'on sera peut-être surpris de voir ressurgir ici un thème dont l'intérêt peu paraître à première vue d'autant plus douteux que l'individualisme semble régner en maître dans nos sociétés post-industrielles occidentales, la référence aux proches ayant plutôt des relents passéistes. Cette perception de l'évolu-tion est trop unilatérale, en ce sens qu'elle ne tient pas suffisamment compte d'une autre réalité qui est celle du développement croissant du besoin d'échap-per à l'emprise de l'intervention des organes de l'Etat pour tout ce que l'on considère appartenir au champ de la sphère privée. C'est ainsi que l'on as-siste à la naissance de nouvelles institutions destinées à programmer par an-ticipation le sort que l'on entend se réserver pour le jour où l'on serait privé de son autonomie en raison d'un état passager ou durable d'incapacité de discernement. Qu'il s'agisse du mandat d'inaptitude, de la représentation pour les actes médicaux ou du souci de faire respecter des directives anticipées, le cercle des proches est ici le premier visé.

Si la grande famille réunissant autour d'une même table des représentants de plusieurs générations a depuis longtemps éclaté, l'on ne saurait pour autant en déduire que le besoin de relations de proximité aurait lui aussi été sacrifié sur l'hôtel du chacun pour soi. Le sentiment d'insécurité qui peut être lié à la condition de la personne seule ou à celle de la famille monoparentale engendre parfois une aspiration d'autant plus forte à développer et à entretenir des rapports de confiance privilégiés avec un proche en particulier, sans qu'il ne s'agisse nécessairement du tout d'un membre de la famille.

Devenue la confidente, la personne élue sera jugée plus apte à assumer des

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missions de représentation ou de défense d'intérêts personnels qu'un tiers anonyme désigné par un organisme public ou privé chargé de la protection des adultes.

Lorsque l'on s'interroge sur les rôles qui peuvent être assumés par des proches, il convient d'avoir à l'esprit que les instances officielles ont de tout temps entretenu des rapports assez ambigus avec eux. Selon que les expé-riences enregistrées dans des cas particuliers se sont révélées positives ou négatives, le degré de confiance ou de méfiance manifesté à leur égard peut être des plus variables. L'absence de toute étude d'envergure consacrée à ce domaine rend évidemment aléatoires toutes les tentatives d'appréciation de portée générale.

II. La

notion

Dans le droit pénal, la notion repose exclusivement sur l'existence des liens conjugaux ou de parenté. C'est ainsi que selon l'mt. 110, ch. 2 CPS, les pro-ches (die Angehorigen) d'une personne sont le conjoint de cette personne, ses parents en ligne directe, ses frères et sœurs germains, consanguins ou utérins, ses parents et enfants adoptifs.

Dans le droit civil, l'on ne trouve nulle pmt une définition de la notion, ce qui explique que la doctrine et la jurisprudence ont évolué de façon rela-tivement désordonnée.

1. Des contours juridiques imprécis et à géométrie variable

Longtemps, la notion de proches a été assimilée aux membres de la famille plus ou moins élargie. C'est ainsi que l'on a vu apparaître l'expression de la famille et d'autres proches. Aujourd'hui plusieurs auteurs semblent opposer la notion de proche à celle de la famille. C'est ainsi que D. BERTRAND1 et D. MANAe évoquent «la famille ou les proches», approche selon laquelle le terme fait référence à des relations privilégiées entretenues avec des person-nes hors des liens du mariage, de la filiation ou de l'alliance. L'absence de critère fotmel rend alors très délicate la question de savoir à partir de quel moment il est légitime d'intégrer une personne dans le cercle des proches.

Cf. Consentement à l'acte médical et refus de traitement, in: Médecin et droit médical, Genève 1998 p. 53.

2 Cf. «Le droit des proches du patient dans la prise de décision médicale», Ibidem p. 58.

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2. Des concepts voisins

Au sens du droit pénal, les familiers (die Familiengenossen) d'une personne sont ceux qui font ménage commun avec elle (art. 110, ch. 3 CPS). L'ex-pression n'est guère usitée en droit civil, bien que l'existence d'un ménage commun entre deux ou plusieurs personnes puisse aussi entraîner des liens juridiques spécifiques qui découlent directement d'une situation de fait. Que l'on songe par exemple à l'enfant appelé à contribuer équitablement à son entretien parce qu'il vit avec ses père et mère tout en exerçant une activité rémunérée (art. 323, al. 2 CC). Le ménage commun de couples non unis par les liens du mariage a lui aussi de nombreux effets sur le plan juridique, les rapports découlant de l'institution très répandue du concubinage faisant l'objet d'une attention toujours plus grande; l'évolution se traduit aussi par l'intro-duction progressive dans les législations cantonales de l'institution du par-tenariat enregistré ouverte aux deux sexes. Le critère du ménage commun sera souvent l'un des éléments à prendre en compte lorsqu'il s'agit de déter-miner le cercle des proches d'une personne sur la base des liens autres que ceux qui découlent du mariage ou de la filiation.

Dans les dispositions relatives à la privation de liberté à des fins d'assistance, le législateur a par ailleurs introduit le cas de figure de laper-sonne qui est proche d'une autre (eine nahestehende Persan) sans qu'elle fasse nécessairement partie du cercle de ses proches (art. 397d, al. 1 CC).

Pour en appeler au juge, il suffit que la relation de proximité se caractérise par l'aptitude à faire valoir les intérêts bien compris de la personne dont on se sent proche, ce qui peut étendre considérablement le cercle des personnes concemées: «ln diesem Sinne erscheint ais nahestehende Person neben na-ben Verwandten, wie Vater und Mutter, auch der vertraute Freund und die vertraute Freundin, ausserdem der Lehrer, der Pfarrer, der Arzt, der Psycho-loge, der Jugendgruppenleiter, der Sozialarbeiter, wenn er beruflich mit der eingewiesenen Person in engen Kontakt gekommen ist und sich in seiner mitmenschlichen Verantwortung fiir diese betroffen fiihlt. Dabei muss genü-gen, wenn diese Beziehung glaubhaft gemacht wird»3

Il arrive aussi que le terme utilisé en référence à une relation de proxi-mité ne soit pas exactement le même dans les deux langues. C'est ainsi qu'à l'art. 477, ch. 1 CC, disposition traitant des conditions de l'exhérédation, le texte français évoque le cas de l'infraction pénale grave commise contre l'un

3 Cf. HEGNAUER C., «Zum Begriff der nahestehenden Person im Sinne von Art. 397d ZGB», Revue du droit de tutelle 1984 (I) p. 28.

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des proches du défunt, alors que l'allemand parle de «eine diesem nahe verbundene Person», concept qui enrichit encore la palette des nuances, tout en rendant d'autant plus complexe la recherche de dénominateurs communs.

3. Une notion condamnée à rester floue et dépendante du contexte Dans le souci de faciliter la compréhension entre Suisses alémaniques et Suisses romands, l'on pourrait peut-être en revenir à une interprétation de la notion de proches selon laquelle celle-ci comprendrait en tous les cas les membres de la famille entre lesquels il existe un lien fondé sur le mariage ou la filiation (die Familienangehôrigen). Mais il paraît difficile d'aller au-delà d'un tel acquis commun, car les conceptions divergent dès qu'il est question d'étendre le cercle des proches à des alliés, des concubins, des partenaires, des amis de longue date, etc.

Dans le domaine de la représentation des personnes incapables de discer-nement, la notion de proches n'aura pas nécessairement la même significa-tion selon que l'on s'intéresse plutôt à l'exercice des droits strictement per-sonnels, tels que le consentement à des actes médicaux, ou à celui des droits patrimoniaux, tels que la gestion de biens. Le contenu de la relation de proxi-mité peut aussi dépendre de la nature et de l'intensité des liens préexistants et des prestations fournies dans le passé; c'est ainsi que les parents de l'en-fant handicapé mental devenu majeur peuvent faire état de rapports tout à fait spécifiques découlant de l'exercice de l'autorité parentale durant toute la minorité, dépendance qui n'est guère comparable à celle qui s'établit en-tre des frères et sœurs, quand bien même ceux-ci auraient tout partagé du-rant leur enfance.

III. Les critères de mesure de l'intensité des liens personnels Selon P. TERCIER, «il serait faux et vain de vouloir proposer une définition rigide de la notion de «proches», puisque son contenu dépend toujours du contexte dans lequel elle est employée. Il n'empêche qu'elle ne peut être fon-damentalement différente d'une norme à une autre, s'il s'agit de tenir compte de l'intensité des liens personnels»4

4 «Qui sont nos «proches»?» Mélanges B. Schnyder, Fribourg 1995 p. 810.

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Pour déterminer le cercle des proches, l'auteur cité opère avec deux pré-somptions générales. La première, l'existence de liens de parentf:S, permet de présumer la qualité du proche du point de vue formel, alors que la seconde, l'existence du ménage commun, lui donne ancrage du point de vue matériel.

Selon que les présomptions sont réalisées cumulativement ou alternativement seulement, le juge admettra plus ou moins facilement le qualificatif de «pro-ches» et les conséquences juridiques qui lui sont liées dans un cas déterminé.

Dans le droit de la protection des adultes, les critères de la parenté et du ménage commun méritent certainement aussi attention, mais ils doivent être élargis à d'autres paramètres qui peuvent jouer un rôle tout aussi important, sinon déterminant, suivant les missions particulières que l'on entend confier ou les assouplissements qu'il est question d'accorder à des proches par rap-port à la surveillance dont s'accompagne 1 'exercice de leur mandat. L'on songe en particulier à 1 'assistance personnelle foumie à la personne à protéger, aux liens affectifs établis avec elle et aux aptitudes à gérer la relation de proxi-mité dans un rapport de dépendance.

1. L'assistance personnelle

La place accordée à ce volet de la protection des adultes dans la doctrine et la jurisprudence s'est considérablement étendue au cours de la seconde moitié du vingtième siècle. Dans le processus de révision, le souci de valoriser le critère de l'assistance personnelle foumie à la personne à protéger se situe au centre des préoccupations du législateur: «dans l'échelle des priorités, la sauvegarde des intérêts personnels occupe une place plus importante que ce n'est le cas aujourd'hui»6

S'agissant du degré de l'autonomie qui peut être laissée à la personne disposée ou appelée à assurer l'encadrement d'un membre de la parenté ou du partenaire, la question de savoir jusqu'à quel point l'on peut véritable-ment compter sur sa disponibilité pour lui foumir l'assistance personnelle dont elle a besoin est tout à fait centrale. Si les garanties offertes pour l'ave-nir ne peuvent souvent se mesurer qu'au regard de ce qui a été fait dans le passé, ni la relation de parenté, aussi étroite soit-elle, ni l'existence d'un ménage commun ne sont à elles seules, des garants d'une prise en charge personnelle optimale.

5 Par lesquels l'auteur entend aussi bien ceux qui sont fondés sur l'union conjugale que ceux qui reposent sur le rapport de filiation.

6 Cf Révision du droit de la tutelle, Rapport explicatif avec avant-projet relatif à une révi-sion du Code civil (protection des adultes}, Beme juin 1998 p. 5.

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Le critère de la vie commune est d'autant plus problématique que la survenance d'un état de dépendance s'accompagne souvent de la nécessité d'un placement hors du foyer familial. Il serait pour le moins surprenant que le crédit et les pouvoirs accordés au conjoint d'une personne devenue dura-blement incapable de discemement soient dépendants de la question de sa-voir si son état permet un maintien à domicile ou s'il nécessite une prise en charge institutionnelle.

2. Les liens affectifs

Plus que dans tout autre domaine, la proximité de la relation de confiance et de dépendance qui existe entre deux êtres se reflète souvent dans la qualité et l'intensité des liens affectifs. Leur prise en compte se révèle patticulière-ment justifiée lorsqu'ils se sont forgés dans la durée.

Vu que l'on se situe ici sur un terrain peu accessible à l'approche nmma-tive et encore moins à la codification, le législateur peine à accorder à ce facteur la pondération qu'il mériterait au regard d'une échelle capable de quantifier l'impact des éléments dits subjectifs. C'est ainsi que le critère des liens juridiques reste généralement déterminant, quelle que soit la nature des rapports affectifs dont ils sont empreints.

Le dilemme est devenu aigu face à la question de savoir dans quelle mesure le statut d'un proche doit être différent selon que les rapports juridiques qui l'unissent à son ou à sa partenaire sont fondés sur le mariage, le concubi-nage ou le partenariat. La complexité du problème s'intensifiera encore d'un cran le jour où le partenariat sera sanctionné par un cadre juridique qui fa-cilitera en la matière son assimilation à l'institution du mariage, alors que le concubinage continuera à faire figure de corps étranger au motif que des par-tenaires de sexes différents peuvent en tout temps opter pour le mariage.

La référence traditionnelle à 1' étroitesse et à la stabilité des liens fondés sur l'institution du mariage s'est évidemment considérablement fragilisée au travers de l'augmentation spectaculaire du nombre des divorces. Elle rait finir par perdre toute crédibilité si le taux de la divorcialité devait pour-suivre sa courbe ascendante et si la durée moyenne du mariage continuait à se réduire.

3. L'aptitude à gérer la relation de proximité dans un rapport de dépendance Dans l'idéal, la relation de proximité qui relie deux adultes s'accompagne d'une certaine réciprocité, élément généralement déterminant pour assurer des rappmts équilibrés dans un couple. De ce point de vue, la nature des liens

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qui s'établissent entre des proches adultes diffère sensiblement de ceux qui régissent l'exercice de l'autorité parentale des père et mère à l'égard de l'en-fant, lequel se situe dans une relation de totale dépendance durant les pre-mières années de son existence.

Lorsque l'autorité est appelée à se détenniner sur le degré de l'autono-mie qui peut être laissée à une personne dans la prise en charge d'un proche, elle se doit de prêter attention au fait qu'une relation de proximité peut évo-luer de façon inattendue, même entre des personnes très liées entre elles durant des années, quand s'installe un rapport de dépendance étroite de l'une par rapport à l'autre. Cet état engendre parfois des fiustrations au travers des-quelles se développent des perversions du comportement, tels que le besoin de domination, les abus d'autorité ou l'exploitation d'un état de faiblesse.

Cela implique que 1 'on doit se méfier du piège de la confiance aveugle, en particulier lorsque la relation de proximité a pris une toumure quasi-fusionnelle.

Une évaluation de l'aptitude à gérer le rapport de dépendance s'impose de toute évidence lorsque celui-ci est appelé à s'inscrire dans la durée. C'est ainsi que les père et mère de 1' enfant handicapé devenu adulte ne devraient pas être chargés de continuer à assurer sa représentation légale en toute in-dépendance sans que l'autorité ne se soit interrogée sérieusement sur la com-patibilité de cette solution avec le poids exercé, dans le moyen et le long terme, par la dépendance filiale. De même, il conviendra de se montrer ré-servé quant à l'aptitude d'un homme ou d'une femme à assumer la curatelle de son conjoint atteint de la maladie d'Alzheimer si le développement de celle-ci se heurte à trop d'incompréhension.

IV. La fonction et le statut des proches selon la réforme