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Dans un premier temps, en portant l’analyse sur l’identification du type de réflexivité présent au sein du référentiel de compétences professionnelles et des indicateurs de compétences, nous cherchions à reconnaître la réflexivité visée tant au niveau ministériel qu’au niveau universitaire. Rappelons que le MELS vise explicitement à développer une « réflexion critique » et que la FSÉ de l’Université de Montréal vise à développer la « pratique réflexive » des étudiantes et des étudiants en formation à l’enseignement de l’ÉPS. L’analyse du référentiel de compétences du MELS (2001) et des indicateurs de compétences de la FSÉ de l’Université de Montréal nous a conduit à estimer que la réflexivité visée était réfléchie mais pas nécessairement critique puisque notre analyse a fait ressortir que les perspectives épistémologiques inhérentes au référentiel de compétences professionnelles et aux indicateurs de compétences se situaient principalement dans le relativisme (le référentiel de compétences) et le chevauchement de l’égocentrisme et du relativisme (la grille des indicateurs). Rappelons que l’égocentrisme est associé à l’énonciation d’expériences personnelles, que le relativisme est associé à la compréhension de l’autre, de ses différences et que l’intersubjectivité est associée à l’évaluation et à la transformation en vue du Bien commun.

Ce premier constat montre un décalage entre la « visée » et « l’opérationnalisation », puisque le MELS indique explicitement qu’il vise le développement d’une pensée critique chez les étudiantes et les étudiants inscrits en formation initiale, en vue d’une professionnalisation de l’enseignement, laquelle vise à permettre aux enseignantes et enseignants « d’exploiter leur aptitude à la réflexion critique et à contribuer de façon active à l’évolution des connaissances relatives à la pratique de l’enseignement » (Ministère de l'Éducation du Québec, 2001, p. 22). Rappelons que le développement d’une pensée critique est un enjeu majeur de la formation universitaire tant au Québec (Conseil supérieur de l'éducation, 1990, 1991, 1995, 1998, 2002, 2004, 2007; Giroux, 2007) qu’au niveau international (Gohier et al., 2000; Maubant et al., 2011; Perrenoud, 2003; Tardif et al., 1998; UNESCO, 1998, 2008, 2009). En effet, le développement d’une pensée critique permet de questionner les croyances, les façons de faire et de participer à l’élaboration et à l’évolution des connaissances (King, 1990, 1992, 2000; King & Kitchener, 1994, 2004; Kitchener, 1986,

2002; Kitchener & Fischer, 1990; Schafersman, 1991). Autrement dit, un penseur critique réfléchit, mais il réfléchit pour conceptualiser ses réflexions (pensée logique), proposer des solutions nouvelles (pensée créative), pour s’auto corriger (pensée métacognitive) et pour questionner les valeurs du milieu et de la société en vue du Bien commun (pensée responsable) (Daniel et al., 2005).

Comment expliquer le décalage entre la visée et l’opérationnalisation? Bien que le développement de la réflexivité et d’une pensée critique fasse consensus sur le plan international (Gagnon, 2011a; Martineau & Maubant, 2011; Maubant et al., 2011; UNESCO, 1998, 2008, 2009), il n’en est pas de même pour sa définition comme en témoigne les différents auteurs présentés dans le cadre théorique de notre recherche ainsi que des recherches récentes sur la réflexivité et son lien avec la professionnalisation comme celles, entre autres, de Gagnon (2011b), de Beauchamp (2006), de Chaubet (2010) ou encore celles de Collin (2010). Le manque de consensus entraîne non seulement un flou au niveau de la définition mais aussi de la terminologie employée qui conduit à des confusions entre pensée critique et pensée réfléchie. Cet état de fait peut nous aider à comprendre pourquoi il y a une différence entre la visée exprimée par le MELS de développer une pensée critique et les moyens mis en place pour opérationnaliser ce souhait tant au niveau ministériel (le référentiel de compétences) qu’au niveau de l’Université de Montréal (les indicateurs de compétences). En effet, en l’absence de définition claire, il est plus difficile d’opérationnaliser un concept puisque l’interprétation peut-être plus éclatée, moins orientée, moins encadrée.

Ce même élément d’interprétation s’amplifie lorsqu’il s’agit de l’élaboration de la grille d’observation des compétences professionnelles (indicateurs). En effet, bien que ces indicateurs soient le fruit du travail d’analyses et de concertations de formateurs expérimentés, les préoccupations de ces derniers demeurent « fondamentalement pédagogiques » et sont donc orientées vers « le besoin de mieux développer leurs interventions » (Legault, 2010, p. 33) et non vers celui de développer leur pensée critique. En effet, comme le souligne Tardif et Gauthier (1998), « les jugements des enseignants sont tournés vers l’agir en contexte […]. Il [l’enseignant] ne veut pas connaître mais agir et faire, et s’il cherche à connaître, c’est pour mieux agir et faire » (p. 228). Il nous apparaît que l’interprétation faite des compétences rejoint cette logique plus pragmatique, laquelle est centrée sur l’agir en vue répondre aux

besoins du quotidien (Martineau & Gauthier, 2003; Perrenoud et al., 2008; Portelance, 2008; Tardif et al., 1998). Par ailleurs, comme le rappelle Legault (2010), « dans le domaine d’intervention […], il existe des tensions entre deux points de vue : celui de l’énonciation de la politique éducative ou du plan d’intervention et celui de son application » (p. 17), ce qui nous conduit au constat « d’un écart quasi infranchissable entre ceux qui énoncent le programme (la vision politique) et ceux qui l’actualisent (la vision pédagogique) » (p. 41). Ainsi, le flou persistant autour de la définition d’une pensée critique et ces deux niveaux d’intention permettent de mieux comprendre pourquoi plusieurs des références à une pensée critique n’apparaissent pas dans la grille d’indicateurs et que la volonté première de développer une pensée critique (intersubjective) s’érode vers une pensée réfléchie (relativiste).

De ce fait, il nous apparaît que, si l’on veut aider les stagiaires à sortir de la seule logique utilitariste des savoirs par le développement et la mise en œuvre d’une pensée critique, il est important que cette intention apparaisse clairement dans les différents moyens pédagogiques (Perrenoud, 1998). Autrement dit, les indicateurs de compétences devraient permettre à l’observateur et aux stagiaires d’identifier non seulement les actions posées pour répondre aux défis de l’enseignement mais aussi le processus de recherche qui a conduit à ces actions ainsi qu’à leur évaluation. Ainsi, les indicateurs de compétences devraient explicitement et systématiquement référer aux actions à poser en lien avec la manifestation d’une pensée critique.

5.2 La réflexivité stimulée (les consignes des rapports synthèse)