• Aucun résultat trouvé

5.3 La réflexivité manifestée (les entrevues et les rapports synthèse)

5.3.2 La réflexivité manifestée dans les rapports synthèse

Alors que le patron général des manifestations des modes de pensée était similaire pour les deux types d’entrevue, il en est allé autrement pour la rédaction des rapports synthèse. En effet, la mise en œuvre des différents modes de pensée suit un tout autre schéma puisque c’est la pensée métacognitive qui dominait avec plus de la moitié des séquences (56%), suivie de la pensée logique (29%) puis de la pensée responsable (10%) et, finalement, de la pensée créative (5%). Cette répartition des modes de pensée stimulés nous apparaît liée aux types de questions et consignes qui ont guidé la rédaction des rapports synthèse. En effet, la majorité des questions demandaient à l’étudiant de faire un retour sur son expérience, comme nous l’avons précédemment montré, ce qui s’est traduit le plus souvent par des descriptions, articulées au « je », de ce qui a été fait et ponctuellement et de ce qui pourrait être fait en vue d’améliorer l’intervention pédagogique.

Deuxièmement, la rédaction des textes réflexifs constituants chacun des rapports synthèse est un travail individuel rédigé en vue d’une évaluation. Dès lors, il est évident que l’absence d’interaction avec les pairs et l’évaluation des textes par le superviseur de stage conduisent la ou le stagiaire vers la logique universitaire qui est de démontrer qu’il sait enseigner et qu’il ne fait pas d’erreurs. Il sera donc moins porté à présenter des situations nouvelles ou des éléments d’auto correction qui l’exposeraient à la critique, préférant ainsi démontrer sa compétence à l’enseignement en présentant des situations qui lui ont donné le sentiment d’être compétent (Gremion, 2012).

Finalement, l’importance de l’interaction dans la mobilisation d’une pensée critique (intersubjective) est renforcée par l’analyse des rapports synthèse, rédigés de manière individuelle, qui a montré une nette domination de la perspective égocentrique pour trois des modes de pensée (85% de la pensée logique, 70% de la pensée métacognitive et 96% de la pensée créative). En ce qui a trait à la mobilisation de la pensée responsable dans les rapports synthèse, elle s’inscrit principalement dans une perspective relativiste (97%) centrée sur le souci de l’élève qui est orienté, dans la majorité de ces rapports, vers les questions de sécurité. Ce souci traduit donc l’importance que revêt la sécurité dans l’enseignement mais aussi pour notre société (Voisard, 2009). En effet, comme le souligne Voisard (2009), la sécurité est devenue un enjeu de société majeur et le milieu éducatif subit beaucoup de pression en lien avec cet élément et notamment lors des cours d’ÉPS. Par conséquent, il n’est pas étonnant que cette préoccupation domine les écrits (mais aussi le discours) des étudiantes et des étudiants.

Tout en reconnaissant toute l’importance du rapport de stage dans le processus de formation initiale, les résultats d’analyse nous conduisent à nous interroger sur leur forme actuelle (rédigé seul et centré sur l’expérience personnelle) dans un objectif d’évaluation de la réflexivité critique des stagiaires, alors que la formation universitaire offre différentes formes et périodes d’interaction et de dialogue (discussion en dyades et triades, retours réflexifs collectifs lors des séminaires, analyse de pratiques et de planifications dans le rapport de stage, etc.) permettant la mise en place d’un climat plus propice à la mise en œuvre d’une réflexivité critique. Le rapport synthèse, ne pourrait-il pas être construit sur un principe d’interaction avec le superviseur?

Dans un premier temps, les résultats de cette étude nous permettent de mettre en évidence les limites de la réflexivité manifestée, ce qui renforce l’idée déjà évoquée que l’adoption d’une réflexivité critique n’est pas naturelle ni spontanée et qu’il faut guider plus étroitement les futurs professionnels de l’enseignement afin de développer chez eux un habitus de réflexivité critique (Beckers, 2011; Daniel, 2005a, 2007a, 2007b; Daniel et al., 2003; Daniel et al., 2005; Golding, 2009; Perrenoud, 1998, 2003).

Dans un deuxième temps, les résultats indiquent que les modes créatif et responsable restent à stimuler en formation initiale. En effet, les résultats de la présente recherche montrent que ces deux modes de pensée sont peu mobilisés autant dans les entrevues (individuelles et de groupe) que dans la rédaction des rapports synthèse. Or, c’est par le biais du mode créatif que le processus de pensée critique se met en branle puisque c’est la divergence de perspectives qui suscite des conflits cognitifs, lesquels motivent l’esprit à douter, à questionner, à évaluer, etc., puis à proposer des avenues nouvelles (Daniel, 2007b; Dewey, 1910, 1916/1983; Ennis, 1985b). C’est aussi par le biais du mode responsable que la pensée critique se fait constructive et qu’elle est en mesure de contribuer à l’amélioration de l’expérience individuelle et sociale, dans une perspective de Bien commun (Farr Darling, 2006; Paul, 1993).

Dans un troisième temps, les résultats indiquent que c’est lors des échanges entre pairs (entrevue de groupe) que les modes de pensée se sont mobilisés de la manière la plus complexe (perspective épistémologique reliée à l’intersubjectivité). De ce fait, nous sommes d’avis, comme Bevan (2009) et Chaubet (2010), entre autres, que le dialogue entre pairs devrait être considéré comme un moyen de formation au même titre que la transmission de connaissances. En effet, depuis Dewey, il est reconnu que les interactions entre pairs contribuent non seulement à la construction de la personnalité des élèves (Le Cunff, 2003), mais qu’elles contribuent également à stimuler leur réflexion (Auriac-Slusarczyk, 2010; Chaubet, 2010; Collin, 2010) et à complexifier leur façon de concevoir le monde (Daniel, 2007a, 2007b; Daniel & Gagnon, 2011; Lipman, 2006).

C’est pourquoi notre position est à l’effet de stimuler les étudiantes et les étudiants de manière plus systématique à l’aide du dialogue qui va permettre des interactions entre les pairs susceptibles de conduire à une évaluation constructive des connaissances acquises, des valeurs

scolaires, des visées éducatives, etc. (comme le propose la première compétence du référentiel de compétences professionnelles) et ce, dans une intention d’amélioration de l’expérience individuelle, scolaire et sociale. La mise en œuvre de ce moyen (le dialogue) aurait parallèlement pour effet de stimuler la rigueur intellectuelle chez les futurs enseignants (McCollister & Sayler, 2010) et de modifier leur conception quant à leur rôle dans l’éducation (Cherubini, 2009); ils pourraient ainsi non plus se concevoir comme des récepteurs passifs qui seront évalués sur leurs connaissances (Hébert et al., 1993) mais comme des personnes critiques (Celuch et al., 2009; Gaudet, 1995) possédant le pouvoir et la responsabilité de contribuer à l’amélioration de l’éducation et de la société.