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Réflexions suscitées par les trois approches théoriques retenues par rapport aux conduites des

2. Chapitre 2 : État des connaissances et approches théoriques

2.4. Vers le développement d’un cadre conceptuel : Synthèse des approches théoriques et

2.4.2. Réflexions suscitées par les trois approches théoriques retenues par rapport aux conduites des

À partir des trois approches théoriques de référence, il apparaît que le cadre peut être considéré comme un acteur, avec des rôles plus ou moins bien définis et ayant à répondre à certaines attentes de l’organisation en tenant compte des contraintes que celle-ci comporte. Il peut aussi être reconnu en tant que sujet moral, sensible, responsable de l’autre et libre de penser et d’agir. Et enfin, il peut être considéré comme un sujet au travail, ayant un besoin de s’accomplir et de se sentir reconnu pour son apport singulier et pour ses efforts déployés dans le travail, mais qui se défend contre la souffrance occasionnée par une organisation du travail qui ne permet plus la sublimation de la souffrance en plaisir et en créativité.

Dans cette sous-section, certaines réflexions seront développées sur les liens entre le sujet moral autonome, le sujet au travail aliénable par l’organisation du travail, et les enjeux sur les conduites. Au regard des apports du courant de l’éthique comme pratique, on peut comprendre que les conduites des cadres en réponse à des situations difficiles résultent d’un compromis que le cadre opère entre d’une part, son sentiment de responsabilité à l’égard de l’autre et sa capacité d’agir de façon libre et d’autre part, le contexte organisationnel dans lequel la situation se déroule. Dans la section suivante, nous allons pousser plus loin les réflexions théoriques suscitées par la mise en commun des trois perspectives théoriques retenues en regardant ce qui est en jeu dans l’expérience subjective du cadre dans sa rencontre avec le réel de travail qui résiste et comment ses conduites peuvent en être influencées.

2.4.2.1. L’influence de l’organisation sur les conduites des cadres : les risques de l’aliénation

Dans la section sur le travail et son organisation, il a été vu comment les formes d’organisation du travail pouvaient amener les cadres à se défendre de la souffrance et de la

87 peur et à adhérer à une idéologie qui bloque les affects et la capacité de penser le travail et les enjeux de leurs conduites. Selon de Gaulejac (2005), tout cadre doit faire face à une tension majeure entre sa fonction dans l’organisation et son éthique personnelle. En effet, selon cet auteur, la gestion ne peut pas être morale parce que les grands principes à la base de la gestion dans les nouvelles formes d’organisation conduisent à traiter la personne comme un moyen, un facteur et une variable. Cela ne signifie pas pour autant que les cadres n’ont pas de sens moral qui leur est propre et ne veulent pas agir de façon éthique. Ainsi, certaines formes d’organisation du travail positionnent les cadres dans des situations qui comportent des enjeux éthiques : évaluation au rendement plus ou moins juste, mise à pieds, licenciement, prescription d’une charge de travail excessive, etc. Ces situations peuvent mener certains cadres à vivre une souffrance éthique, c’est-à-dire une souffrance qui résulte d’un zèle à répondre à des prescriptions impliquant de façon implicite d’adopter des conduites dont les conséquences peuvent être nocives pour la santé d’autrui (Dejours, 1998a). La souffrance éthique provoque de la honte vis-à-vis de l’idéal de soi, de même qu’une culpabilité à l’égard de l’autre qui est victime de cette injustice. Dans sa thèse portant sur le travail des dirigeants d’entreprise, Marisa Wolf Ridgway (2010) met en évidence comment ces derniers doivent trouver des astuces et des moyens de se battre ou de développer une « couenne » pour évacuer leurs doutes et évincer les conflits éthiques. Dejours (2001 b, p. 201) explique d’ailleurs que « le clivage est, en effet, ce qui permet au sujet de “s’arranger” avec l’éthique, c’est-à-dire d’éviter l’épreuve affective de l’éthique. Grâce au clivage, la discussion éthique peut rester un exercice intellectuel sans conséquence subjective ». Pour se défendre de cette souffrance éthique, les cadres peuvent adopter des stratégies pouvant mener au clivage de soi (le sujet fonctionne selon deux modes différents) et à l’aliénation (Dejours, 1998a). Le clivage et l’aliénation occultent la pensée : on répond aux prescriptions sans réfléchir aux implications pour soi et pour les autres personnes. De plus, la division du travail entrave la compréhension de la finalité globale des actions individuelles (Dejours, 1998a; Molinier, 2006).

Des chercheurs en sociologie et en psychosociologie du travail se sont particulièrement intéressés à l’idéologie gestionnaire qui domine dans les organisations (Eraly, 1993; de Gaulejac, 2005). Une idéologie est une forme d’aliénation culturelle au sens où l’entend Sigaut (1990), puisqu’elle coupe à la fois l’Ego et autrui de la réalité en créant un système

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de pensée illusoire. Analysant les discours du néomanagement contenus dans les livres à succès de formation en gestion, Eraly (1993) a fait ressortir des éléments discursifs qui pourraient être liés à une idéologie gestionnaire. Selon lui, la montée du néomanagement comme il le nomme, serait caractérisée par les discours sur soi au niveau des cadres. Les principaux ouvrages de gestion recensés par l’auteur évoquent des concepts psychanalytiques qui ouvrent sur les dimensions inconscientes et spontanées des actions humaines. Cependant, on forme les cadres à réfléchir sur leur propre personne, mais cette réflexion n’est pas orientée vers la découverte de soi, mais davantage sur l’action sur soi. Les cadres sont incités à changer leurs croyances afin de changer leurs comportements. Suivant un courant cognitivo-comportemental, le cadre ne cherche pas à retrouver les causes de ses peurs et de sa souffrance, il doit plutôt modifier ses comportements pour modifier ses émotions. Il y a donc un paradoxe dans les formations sur soi en gestion : on s’appuie sur des principes psychanalytiques d’inconscient, tout en soutenant l’illusion d’un sujet souverain qui peut « gérer son inconscient » (Eraly 1993, p. 37). Les travaux en management renvoient l’image du cadre avec des pouvoirs importants sur soi, comme sur les autres. « Dire le pouvoir personnel, c’est dire la responsabilité individuelle : s’il est en mon pouvoir de changer et si je ne change pas, j’en suis responsable » (Eraly 1993, p. 34). Aussi cette idéologie qui sous-tend les formations en gestion mise sur les capacités des cadres à développer des techniques de communication qui visent à manipuler implicitement les gens à qui ils s’adressent. Toujours selon l’auteur, l’idéologie présente dans le discours gestionnaire s’enracine dans des pratiques concrètes de gestion, venant par le fait même valider socialement le bien-fondé de ses fondements. C’est en quelque sorte la prophétie qui s’autoréalise. « Ainsi que le disait Durkheim à propos de la religion, le néomanagement est sans doute, à bien des égards, une sorte de délire, mais un “délire fondé” » (Eraly 1993, p. 42).

De Gaulejac (2005) traite aussi de cette idée d’idéologie gestionnaire qu’il définit comme « un système de pensée qui se présente comme rationnel alors qu’il entretient une illusion et dissimule un projet de domination; illusion de la toute-puissance, de la maîtrise absolue, de la neutralité des techniques et de la modélisation des conduites humaines; domination d’un système économique qui légitime le profit comme finalité » (de Gaulejac, 2005, p. 47). Selon cette idéologie, la gestion se fonde sur un souci d’objectivation où tout doit

89 être mesurable et où tout ce qui ne l’est pas, tels que les sentiments ou les émotions, doit être ignoré par manque de fiabilité et de pertinence. Dans l’idéologie gestionnaire, l’organisation fonctionne comme un système normal dont la finalité est d’assurer sa reproduction en calculant ses niveaux de croissance et de développement. Tout ce qui dévie de la norme et peut nuire à sa croissance est considéré comme des dysfonctionnements qu’il faut éliminer. De Gaulejac (2005) donne l’exemple des conflits interpersonnels qu’il faut sanctionner et éliminer pour ne pas nuire au fonctionnement organisationnel. Aussi, l’idéologie gestionnaire serait sous-tendue par le règne de l’expertise. Ayant comme fondement l’organisation scientifique du travail de Taylor, les sciences de la gestion sont fortement influencées par une rationalité instrumentale qui tend à considérer les travailleurs au même titre que les autres ressources de l’organisation dont les activités doivent être mesurées de façon systématique pour assurer la productivité et le rendement de l’organisation. Dans cette idéologie gestionnaire, toute réflexion et toute action doivent être au service de l’efficacité et de l’économie; on doit laisser tomber les réflexions pour passer à l’action : « Il n’y a pas de problèmes… il n’y a que des solutions! » (de Gaulejac 2005, p. 54). De Gaulejac (2005) résume les fondements de l’idéologie gestionnaire comme découlant des paradigmes qui sous-tendent les sciences de la gestion : l’objectivisme, qui vise à mesurer et calculer pour comprendre; le fonctionnalisme qui considère l’organisation comme une donnée et occulte les enjeux de pouvoir; l’expérimentalisme, dominé par une rationalité expérimentale et selon laquelle l’objectivation de l’humain est un gage de scientificité; l’utilitarisme, dont la réflexion est au service de l’action et des critères d’utilité et enfin; l’économisme, qui sous-tend que l’humain est un facteur de l’entreprise. La description qu’il en fait s’apparente à l’idéologie défensive de la rationalité économique dont parle Dejours (1998a) chez les cadres. De Gaulejac (2005) y pose un regard plus sociologique en montrant comment cette idéologie ne touche pas seulement les cadres, mais s’est étendue à la société en entier. Selon la théorie psychosociologique, l’idéologie gestionnaire est plutôt imposée par le système de gestion, allant de sa théorisation et de sa modélisation, à son enseignement et à son application et ce, dans des visées de domination et de pouvoir. De Gaulejac (2005) porte donc un regard plus sociologique sur la question de l’aliénation, tandis que les explications cliniques de Dejours (1998a) permettent d’approfondir la compréhension des processus subjectifs et intersubjectifs en jeux.

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Néanmoins, elles apportent des explications complémentaires à la question de l’aliénation chez les cadres.

François Sigaut (1990) propose trois formes d’aliénation : l’aliénation mentale, où l’Ego est coupé à la fois du réel et d’autrui, l’aliénation sociale, où l’Ego n’est pas coupé du réel, mais où autrui rejette en bloc et l’Ego, et son réel (ex. du cas d’un génie incompris), et la troisième forme est l’aliénation culturelle, dans laquelle l’Ego et autrui partagent la même illusion, étant tous deux coupés du réel. Avec cette forme d’aliénation culturelle, on peut prendre l’exemple d’un collectif de travail pour qui la solidarité entre les membres est placée au-dessus de la prise en compte du réel et au bout d’un temps, l’idéologie ou la culture du groupe coupe complètement ses membres de la réalité. La psychodynamique du travail s’est intéressé à l’augmentation des suicides, chez les cadres notamment (Dejours et Bègue, 2009) et des problèmes de santé mentale dans les milieux de travail, que Dejours (2006) associe avec les formes d’aliénation amenées par Sigaut (1990). Pour Dejours (2006), les suicides et les pathologies liées aux nouvelles formes d’organisation du travail représentent une forme d’aliénation mentale (au sens psychiatrique), mais pourraient être aussi l’indice de nouvelles formes d’aliénation (sociale et culturelle) dans le travail. L’accroissement des symptômes d’aliénation mentale dus aux nouvelles formes d’organisation du travail dans la population de travailleurs montre qu’il se déroule « un processus de déstructuration du vivre-ensemble et une dégradation en profondeur du monde au sens arendtien du terme, c’est-à-dire de l’espace d’intelligibilité commune où se déploie la pluralité des êtres humains : pathologie de la solitude et de la désolation (Arendt, 1951, 1978) » (Dejours, 2006, p. 128). Plus le désert progresse, au sens où Arendt l’entend, moins les gens se sentent en confiance pour parler des difficultés qu’ils rencontrent dans le réel de travail, ce qui rend l’expérience du réel incommunicable. Sans possibilité de montrer son réel, la dynamique de la reconnaissance est mise en impasse, ce qui est considéré par Dejours (2006) comme une des sources de l’aliénation sociale et culturelle. Le travailleur qui possède un lien authentique avec le réel a alors deux choix : soit il continue de maintenir publiquement sa réalité, seul contre tous et alors, il tombe dans une forme d’aliénation sociale où il maintient un contact avec la réalité, mais cette réalité n’est pas partagée avec autrui; ou soit, il se met à douter de la validité de son expérience parce qu’elle n’est pas reconnue par les autres, et alors il ne peut pas surmonter sa souffrance. Il

91 peut alors dénier la réalité et par conséquent, se couper de celle-ci comme les autres. Il s’agit alors d’une forme d’aliénation culturelle. Selon Dejours (2006), l’origine de l’aliénation culturelle dans le travail serait la domination et le pouvoir que l’on retrouve dans les nouvelles formes d’organisation, plutôt que dans la propriété privée comme le soutien Marx.

2.4.2.2. La possibilité d’une autonomie morale subjective pour guider les conduites des cadres

Les stratégies et les idéologies défensives ont pour effet de bloquer la pensée et font par conséquent obstacle à l’exercice de l’autonomie morale en raison des formes d’aliénation qu’elles peuvent entraîner (Molinier, 1996). Toutefois, le courant « ethics as practice » stipule que malgré les contraintes de l’organisation du travail, les cadres ont toujours une part de liberté pour agir en accord avec leur sens moral (Ibarra-Colado et al. 2006). D’ailleurs, les études sur le thème de la résistance et de la transgression des règles montrent bien qu’il est possible, pour les cadres, de résister aux prescriptions (Babeau et Chanlat, 2008; Brower et Abolafia, 1995). Selon Legrand (1993), la réflexivité et la volonté sont les deux traits intriqués qui spécifient le sujet humain. La réflexivité renvoie à la possibilité d’un retour sur soi et de se remettre en question. La volonté est une capacité d’action délibérée qui suppose d’intégrer dans ses conduites les résultats de son processus de réflexion.

La question qui se pose alors est : si les formes d’organisation du travail dominantes actuellement bloquent la capacité de penser, est-il possible pour les cadres d’être autonomes moralement dans l’orientation de leurs conduites? Dejours (1998a) a argumenté le fait que les pires systèmes ont fonctionné parce que chacun y a mis du zèle. Aussi, les écrits de Foucault mettent de l’avant que même si l'on est sous la gouvernance des institutions, on est toujours libre de penser et de faire des choix éthiques autonomes. Pour Ricoeur (1996), « L’expérience morale ne demande rien de plus qu’un sujet capable d’imputation, si l’on entend par imputabilité la capacité d’un sujet à se désigner comme l’auteur de ses propres actes ». L’idée d’imputabilité, pour Ricœur, renvoi au plan anthropologique à ce qu’il appelle l’homme capable : capacité de parler, de faire, de se

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raconter, l’imputabilité ajoutant la capacité de se poser comme agent. C’est en réunissant la norme objective et l’imputabilité subjective, les deux moitiés du concept de moral, que le concept mixte d’auto-nomie apparait. Prononcer le terme d’autonomie, c’est poser la détermination mutuelle de la norme et du sujet obligé. Cette conception de la morale par Ricoeur est teintée par la morale kantienne. Kant conçoit la moralité comme intégrant constitutivement l’autonomie, ou encore l’autonomie comme étant au principe de la moralité (Jouan et Laugier, 2009). Selon Sartre, est véritablement autonome celui qui a la capacité de reconnaître la responsabilité de ses actions et, reconnaissant celle-ci, il exerce une mesure de son autonomie en agissant (Francis, 1996). Suivant ces philosophes, nous sommes tous autonomes moralement et par conséquent, nous avons tous une responsabilité individuelle à adopter une conduite éthique.

Cette question d’autonomie morale s’est aussi posée en sociologie. Pour Durkheim, une véritable autonomie morale doit être conçue comme une éventuelle rupture avec les obligations imposées par une société particulière, si celles-ci ne sont plus conformes aux idéaux de la morale (Pharo, 2004). Les réflexions qui sous-tendent la question de l’autonomie morale subjective ont porté, par exemple, sur des actions posées durant la Deuxième Guerre mondiale, notamment celles d’Eichmann qui sont à l’origine de la théorie de la violence d’Hannah Arendt et de ses réflexions sur la banalité du mal (Molinier, 1998). Eichmann est le ministre allemand sous le régime nazi qui a coordonné les convois de trains des Juifs déportés dans les camps de concentration et qui affirmait qu’il ne faisait que répondre aux ordres (Arendt, 1966). À l’inverse, d’autres exemples dans l’histoire prouvent qu’un exercice moral individuel est possible (Molinier, 1998). Pharo (1996), dans son livre,

L’injustice et le mal, discute des conditions de possibilité d’une autonomie morale

subjective. Il commence en faisant une critique des différentes théories en psychanalyse et en sociologie qui postulent que la censure sociale est à l’origine de la conscience morale. Il affirme que la théorie de la censure sociale « demeure incapable d’expliquer […] comment l’individu pourrait résister au mal lorsque celui-ci est une prescription sociale, ou en d’autres termes lorsque l’autorité est immorale » (Molinier, 1998, p. 56). Selon Pharo (1996), pour être qualifié de moral, le sujet doit être en mesure de résister à l’emprise sociale. L’autonomie morale subjective est un exercice intellectuel « et appartient au domaine des vertus dianoéthiques », c’est-à-dire qu’elle est propre à son éthique interne à

93 soi (Molinier, 1998, p. 58). L’autonomie morale subjective est intimement liée à la responsabilité éthique au sens de Gilligan (1982), parce qu’elle vise le souci à l’égard de l’autre et la sensibilité morale. D’après les écrits de Pharo (1996), l’autonomie morale subjective correspond à la compréhension empathique de la souffrance d’autrui. Selon Molinier (1996), l’enjeu théorique inhérent à la question de l’autonomie morale subjective est de doter le sens moral d’un caractère inaliénable. Le sens moral, selon la tradition issue de Locke, serait la faculté permettant à une personne d’éprouver un sentiment d’approbation ou de condamnation des actions morales, en lien avec sa perception personnelle de ce qui est bien et de ce qui est mal (Baertschi, 1996). Les valeurs sur lesquelles le sujet fonde son sens moral lui proviennent des différentes influences qui se sont exercées sur son développement tout au long de son histoire personnelle (Christman, 1991).

Par rapport aux conduites dans le travail, la question de l’autonomie morale subjective a été abordée par la psychodynamique du travail (Molinier, 1996; 1998; 2006; Dejours, 2009a). C’est en constatant que le travail peut mener à des actions immorales telles que le mensonge, le harcèlement, l’humiliation, la violence, la duperie ou la manipulation, que la question de l’autonomie morale subjective se pose, parce que ces actes ne provoquent pas nécessairement une souffrance éthique pour tous ceux qui posent ou qui sont témoins de ces actes (Molinier, 1998). Or, comment est-il possible d’agir de cette façon ou de fermer les yeux devant de tels actes sans en ressentir une culpabilité, une souffrance éthique ou mettre sa santé mentale en jeu? Ou encore, si l'on regarde la question de l’autre côté, comment peut-on se tenir debout devant une situation que l’on juge injuste ou immorale, refuser de la commettre ou la dénoncer, au risque de perdre son emploi ou d’être rejeté par ses pairs? Pour Molinier (1998), l’autonomie morale subjective permet de lutter contre les illusions, le clivage et l’aliénation, qui sont souvent des conséquences des stratégies collectives de défense de la souffrance. Toutefois, il s’agit d’un exercice difficile parce qu’il génère l’angoisse et le doute : qui suis-je, quelles sont mes convictions? Suis-je prêt à assumer la responsabilité de ce que je sais? Suis-je prêt à me faire rejeter par mon collectif de travail et par mes supérieurs?

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Le dégagement des illusions peut provoquer de la déception ou du désespoir de découvrir le monde différent de ce que l’on croyait, mais l’autonomie morale subjective peut également