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Définition des principaux concepts retenus en lien avec la question

3. Chapitre 3 : Cadre conceptuel de la recherche

3.2. Définition des principaux concepts retenus en lien avec la question

la question

Dans le but de clarifier chacun des concepts compris dans la question de recherche, ces derniers sont repris séparément et sont précisés. Les éléments retenus pour chacun des concepts sont tirés de la littérature dont les chapitres 1 et 2 ont précédemment fait état.

3.2.1. Cadres intermédiaires

Les cadres intermédiaires représentent la population ciblée par cette étude. Parce que les niveaux hiérarchiques sont très variables d’une organisation à l’autre, la définition principale retenue est plutôt large, avec quelques précisions. Il s’agit de celle de Stewart (1976) selon laquelle un cadre est une personne au-dessus d’un certain niveau hiérarchique, en contrôle de personnel ou non, qui fait partie de la hiérarchie de gestion pour la sélection, la formation et la promotion. Le cadre est un travailleur qui occupe le statut de cadre dans une organisation (de Geuser, 2005), excluant le plus haut dirigeant (Mispleblaum Beyer, 2006). La catégorie de cadres ayant des fonctions d’encadrement est retenue (Carballeda et Garrigou, 2001).

3.2.2. Sujet

Le cadre est d’abord une personne avec une subjectivité. C’est un sujet au travail, tout comme un sujet moral.

101 Le sujet tel que conçu par la psychodynamique du travail est un sujet au travail, doté d’affectivité et de sensibilité. Le vécu subjectif au travail est au cœur de ce sujet (Dejours et Abdoucheli, 1990). Ce dernier est toujours confronté à la souffrance, qui est une expérience subjective inhérente au travail, faisant souvent irruption sous la forme de la peur et qui mobilise la rationalité subjective (Dejours, 1998a; 2009a). Cette souffrance est causée par la résistance du réel de travail, qui confronte affectivement le sujet à l’échec. Selon Marché Paillé (2011), deux destins se présentent alors : l’un favorable à la construction de la santé et l’autre morbide. D’une part, le sujet ayant un désir de reconnaissance, peut tenter de sublimer la souffrance en créativité en mettant à profit son intelligence rusée pour trouver de nouvelles façons de faire son travail et soumettre au regard de l’autre son apport unique et original. D’autre part, devant l’impasse de la reconnaissance en raison des conditions de l’organisation du travail qui briment la possibilité du sujet de rendre visible son travail, il peut aussi se défendre en adoptant certaines stratégies visant à produire un déni de perception de ce qui fait souffrir (Dejours, 1980). La reconnaissance est une forme de rétribution symbolique attendue par le sujet et qui contribue fortement à la construction de son identité et de sa santé. La reconnaissance est tributaire du jugement que les autres portent sur l’utilité et la beauté du travail accompli. (Dejours, 1993). Le sujet au travail est également en relation avec d’autres sujets, on parle alors de relations intersubjectives dans le travail. Ces relations peuvent être verticales. Il s’agit alors généralement des liens hiérarchiques de coordination. Ces relations peuvent également être horizontales, correspondant aux liens de coopération, ceux qui régissent les collectifs de travail. À travers ces liens intersubjectifs dans l’organisation se trouvent des règles et des normes informelles, des espaces de paroles pour délibérer sur le travail et ses difficultés, ainsi que des possibilités de reconnaissance pour le sujet.

Le cadre est également un sujet moral, avec une capacité d’agir autonome (Ricoeur, 1996), un sujet doté d’une certaine autonomie morale subjective (Jouan, 2008; Pharo, 1996). L’action moralement autonome ne découle pas uniquement de sa seule raison, mais relève aussi de sa subjectivité, de son affectivité (Jouan, 2008). Son autonomie morale subjective est fondée sur la compassion et la sensibilité lui permettant une compréhension empathique de la souffrance de l’autre (Pharo, 1996). Ce sujet moral est doté d’un sens moral et ne se laisse donc pas uniquement guidé par sa raison. Le sens moral, selon la tradition issue de

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Locke, serait la faculté permettant à une personne d’éprouver un sentiment d’approbation ou de condamnation des actions morales, en lien avec sa perception personnelle de ce qui est bien et de ce qui est mal (Baertschi, 1996). Les valeurs sur lesquelles le sujet fonde son sens moral lui proviennent des différentes influences qui se sont exercées sur son développement tout au long de son histoire personnelle (Christman, 1991).

3.2.3. Acteur

Les cadres sont également des acteurs au sein d’une organisation, représentant un certain statut hiérarchique et auxquels divers rôles sont attribués. Ils sont en lien avec d’autres acteurs avec leurs rôles et leurs enjeux propres. Ils sont des prescripteurs du travail, parce qu’ils délimitent les conditions de l’activité des autres employés, tout en étant à la fois soumis à des prescriptions provenant des hauts dirigeants, des instances qui judiciarisent les règles liées au travail et des conventions collectives (Mispleblom Beyer, 2006). Leurs pratiques de gestion ont des effets sur la santé mentale et le bien-être des employés sous leur responsabilité (Brun et Cooper, 2009).

Leur rôle d’acteur soumet les cadres à diverses difficultés, notamment des situations complexes dans leur travail de gestion du personnel et sur lesquelles ils ont comme rôle d’agir. Ils sont dotés d’un rôle de traduction, consistant à articuler les différentes prescriptions et attentes avec les enjeux des réalités du terrain. Ce rôle leur permettrait notamment d’articuler les logiques contradictoires au sein de l’organisation et de leur donner un sens (Desmarais et Abord de Chatillon, 2010). Les contraintes de leur travail découlent des formes d’organisation du travail et présentent un risque pour la santé des cadres lorsqu’elles ne permettent pas de sublimer la souffrance en plaisir et en créativité dans la rencontre avec le réel. Il s’agit de contraintes lorsque les conditions de l’organisation du travail nuisent à la dynamique de la reconnaissance, à la coopération et à la santé (Dejours et Molinier, 1994).

103 3.2.4. Conduites

Les conduites correspondent aux attitudes et aux comportements adoptés par les cadres en réponse à la situation. Dans les sciences herméneutiques, les conduites sont guidées par le sens que les personnes construisent à propos d’une situation donnée. Cette thèse s’appuie sur la vision d’Habermas (1987) selon laquelle il n’existe pas de conduites paradoxales dans le travail, ces dernières possédant toutes une rationalité, peuvent être comprises dans leur contexte. Les conduites des cadres sont envisagées sous l’angle social parce qu’elles sont mises en œuvre dans le travail, qui par définition est social. Toute conduite est compréhensible au regard du contexte dans lequel elle est produite et est orientée en fonction de la référence à des rationalités, de celui qui agit. Habermas comprend la « rationalité comme une disposition propre à des sujets capables de parler et d’agir. Elle se traduit dans des modes de comportements pour lesquels de bonnes raisons peuvent à chaque fois être exhibées » (Habermas, 1987, p. 38). La rationalité instrumentale est mobilisée par le succès et l’atteinte des buts dans le monde objectif des objets matériels. Les critères de validation de la rationalité instrumentale pour justifier les actions, sont le vérité et l’efficacité. La rationalité axiologique est mobilisée par les normes et les valeurs reconnues comme légitimes qui guident le monde social. Les critères de validation propres à cette rationalité sont la justice et l’équité. S’appuyant sur une théorie du sujet au travail, souffrant et ayant besoin de la reconnaissance des autres pour s’accomplir et construire son identité, Dejours (1993; 1995 b; 1998a; 2009a) enrichit la théorie d’Habermas dans le contexte particulier des conduites dans le travail. La psychodynamique du travail postule que le monde subjectif est mobilisé par les besoins de préservation de soi (santé mentale et physique) et d’accomplissement de soi (construction subjective de l’identité). Dejours (2009a) nomme la rationalité subjective, celle qui est associée au monde subjectif dans une théorie du travail et amène ainsi son apport à la conception d’Habermas à l’égard de la rationalité par rapport à la présentation de soi. En effet, la rationalité subjective inclut les questions de confiance et de méfiance dans les relations intersubjectives au travail et ce que le sujet accepte de dévoiler aux yeux des autres. Toutefois, dans le contexte du travail, la rationalité subjective permet d’adjoindre la dimension affective et éprouvée du travail et de prendre en compte les conduites défensives dans le travail (Wolf Ridgway, 2010). Ainsi, de manière à être davantage en cohérence avec le cadre théorique du travail humain et

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subjectif de référence, la conception de la rationalité subjective sera privilégiée à celle de la présentation de soi d’Habermas (1987).

Dans cette théorie, toute conduite découle d'un compromis entre les différentes rationalités. Le compromis, c’est la solution qui apparaît la plus acceptable pour le cadre au regard des différentes rationalités. Ce compromis peut avoir été réfléchi et pensé, comme il peut l’avoir été très peu. Il peut aussi avoir été délibéré ou non avec d’autres personnes.

3.2.5. Situations difficiles de gestion du personnel

L’intérêt est porté sur des situations vécues par les cadres, notamment pour répondre aux lacunes des études dans le domaine de l’éthique organisationnelle basées sur des scénarios, plutôt que sur des situations vécues. Les situations sont définies comme un « ensemble d’événements, de circonstances, de relations concrètes au milieu desquels se trouve quelqu’un » (dictionnaire Larousse). Les situations visées doivent être jugées difficiles par les cadres, en lien avec les écrits de Bauman (1993) affirmant que l’expérience éthique est toujours une expérience difficile pour les personnes qui la vivent. En ce qui concerne la gestion du personnel, puisque la théorie du travail sur laquelle s’appuie la thèse soutient qu’une partie du travail est invisible, la conception retenue se veut aussi large que possible afin de laisser une grande place à l’émergence de matériel au niveau des types de situations, plutôt que d’enfermer le concept de gestion du personnel dans une définition trop spécifique et prescriptive. Ainsi, il s’agit de situations vécues au travail, dans le cadre de leurs rôles d’acteur et touchant au moins un employé sous leur responsabilité.

3.2.6. Sentiment de responsabilité

Au niveau du travail des cadres, la question de la responsabilité est centrale.

Dans le langage commun, le terme responsabilité, outre son emploi dans le contexte de l’imputabilité, se réfère souvent à des devoirs ou obligations liés à un statut. Lorsqu’une personne occupe un rôle social ou une fonction, on la dit responsable du bien-être des personnes ou de l’exécution des tâches dont elle a la charge, en ce sens qu’elle est supposée se conformer aux devoirs et obligations liés à son statut. (Neuberg, 1996, p. 1680).

105 Les organisations tendraient davantage à promouvoir une responsabilité fonctionnelle dans les pratiques de gestion des cadres (Baker et Roberts, 2011). La conception de l’éthique sur laquelle repose cette thèse est une éthique sensible et affective qui relève de la subjectivité et non uniquement de la raison (Bauman, 1993; Jouan, 2008;). C’est pour cette raison que le terme de sentiment est retenu, parce qu’il réfère à la responsabilité ressentie par la personne. Le choix de cette conception de l’éthique est soutenu par certains articles récents dans le domaine de l’éthique organisationnelle s’intéressant aux pratiques des cadres (Baker et Roberts, 2011; Clegg et al. 2007; Keleman et Peltonen, 2001; Pérezts et al. 2011). La responsabilité peut donc prendre le sens de devoir, mais elle peut aussi prendre le sens de responsabilité à l’égard de l’autre. Le cadre théorique de l’éthique organisationnelle qui a été retenu pour cette thèse postule qu’il n’y a pas d’éthique absolue. Au contraire, celle-ci est une construction sociale de la réalité et c’est à travers l’analyse du processus de construction par les personnes qui œuvrent dans les organisations que l’on peut révéler comment se pratique l’éthique (Ibarra-Collado et al. 2006). Ainsi, la conception éthique de la responsabilité sera interprétée théoriquement par une analyse inductive des résultats, à la lumière du sens donné à ce sentiment par les cadres et dans les conduites révélées par ces derniers.