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Les difficultés liées à la position intermédiaire et au rôle d’intermédiaire

1. CHAPITRE 1 : Contexte

1.3. Le travail des cadres

1.3.2. Les difficultés liées à la position intermédiaire et au rôle d’intermédiaire

Malgré un intérêt croissant pour la santé mentale au travail, les courants en santé au travail se sont très peu intéressés à cette population de travailleurs (Barbier et al. 2011; de Geuser, 2005; Wolf Ridgway, 2010). Or, certaines études dévoilent des résultats inquiétants sur la santé des cadres, qui viennent soutenir le fait que ces derniers méritent davantage d’attention. Selon Tessier (2006), le stress professionnel vécu par les cadres français serait un phénomène en pleine effervescence et les cadres intermédiaires seraient principalement touchés par ce problème. En Grande-Bretagne, les résultats du « Quality and working life project » amènent les auteurs à conclure que l'intensification et l'extensification du travail qui ont eu lieu au cours des dix dernières années ont eu un impact négatif considérable sur

23 la vie professionnelle et la vie hors travail des cadres britanniques (Worral, Jones et Cooper, 2003). Au Québec, dans une enquête menée par l’Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail du secteur des affaires municipales (APSAM), les résultats révèlent que parmi les répondants cadres et cols blancs confondus, 44,3 % présentent un taux de détresse psychologique élevé, comparativement à la moyenne nationale de 20,09 %, et 84,5 % d’entre eux associent leurs symptômes à leur travail (APSAM, 2004).

Au cours des dernières années, les pratiques de gestion des ressources humaines se sont décentralisées et les cadres supérieurs ont dévolu une large part de cette responsabilité aux cadres intermédiaires, lesquels jouent maintenant un rôle beaucoup plus actif au niveau des prises de décisions relatives à la gestion du personnel (Hales, 2006; McCarthy, Darcy et Grady, 2010; Stoker, 2006). L’activité de travail des cadres ayant des fonctions de gestion de personnel a ceci de particulier qu’elle définit les conditions d’exercice du travail d’autres personnes (Bolduc et Baril-Gingras, 2010). Leur travail prescrit consiste donc à prescrire le travail des employés. Par conséquent, certains auteurs soulignent que l’activité d’interprétation des informations descendantes et montantes constitue le travail réel des cadres (Carballeda et Garrigou, 2001). En effet, ils doivent trouver le moyen de composer à la fois avec les objectifs de la haute direction, qu’ils ont à décliner à leurs employés (la prescription du travail), et les difficultés exprimées par ces derniers pour appliquer les règles formelles et réaliser les objectifs dans les conditions réelles de travail (le réel de travail). Carballeda et Garrigou (2001) expliquent qu’une des difficultés des cadres intermédiaires est de construire du sens et de la cohérence dans leur interprétation des informations descendantes et montantes. Cette difficulté est liée au fait de devoir constamment affronter l’écart entre le travail prescrit par la direction et le travail réel des employés. D’une part, ils doivent prendre en compte la réalité des situations de travail rapportées par les travailleurs qui tentent de faire reconnaître leurs difficultés à réaliser les objectifs fixés, qui demandent de nouvelles ressources ou encore refusent d’appliquer certaines règles qu’ils remettent en cause. D’autre part, les cadres intermédiaires ont tendance à traiter les difficultés des travailleurs à leur niveau et à ne pas en faire part à l’échelon supérieur.

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Une autre difficulté liée au travail des cadres concerne la gestion des changements et des incertitudes. Les milieux de travail évoluant constamment et rapidement, les cadres sont amenés à devoir gérer des changements. La gestion de l’interface entre les changements émanant du haut et ceux du bas a été identifiée comme particulièrement difficile pour les cadres, en raison des contradictions et des tensions engendrées (Conway et Monks, 2011). Ils se heurtent également à des incertitudes qui découlent, notamment, des changements d’orientations stratégiques par la haute direction, dont les cadres sont de plus en plus exclus des processus de décisions. Aussi, selon leur formation et leurs expériences, ils auraient parfois une méconnaissance des métiers exercés par les personnes se trouvant sous leur responsabilité (Bolduc et Baril-Gingras, 2010; Carballeda et Garrigou, 2001).

Bien que l’autonomie soit perçue comme un des bénéfices liés à ce statut, la réalité est souvent toute autre, les cadres ayant généralement très peu de marges de manœuvre en raison que ce rôle est lui-même extrêmement encadré (Mispelblom Beyer, 2006). Que ce soit au niveau des lois du travail et des conventions collectives, des lois et des règlementations publiques touchant leur secteur spécifique d’activité, des politiques, des règles de fonctionnement et des procédures à l’interne, les cadres doivent exercer leurs fonctions en tenant compte de toutes ces limites, ce qui réduit leur autonomie décisionnelle. Une autre difficulté vécue par les cadres se rapporte aux décisions éthiques qu’ils doivent prendre concernant les personnes qu’ils encadrent (Carballeda et Garrigou, 2001; Mispelblom Beyer, 2006). En fait, les situations à caractère moral occupent une part importante du travail des cadres (Jackall, 1988; Muller, 1996; Wolf Ridgway, 2010). Selon Gaignard (2001), les cadres sont particulièrement enclins à vivre des conflits éthiques puisqu’ils doivent incarner l’organisation. Ces conflits éthiques surviennent notamment lorsqu’il y a une tension entre les convictions personnelles du cadre et ce que l’organisation exige qu’il fasse. De Geuser et Fiol (2004) affirment que les cadres se retrouvent fréquemment dans des situations ingérables dont ils ont l’obligation de savoir les gérer. Ce qui accentue ce problème, c’est qu’ils ont de plus en plus à répondre à des demandes contradictoires, en raison de nombreux paradoxes auxquels ils se heurtent dans l’organisation (Péretsz, Bouilloud et de Gaulejac, 2011). De plus, les nouvelles formes d’organisation du travail accroissent le nombre de situations dans lesquelles les cadres

25 rencontrent des enjeux éthiques : licenciements, précarisation du lien d’emploi, sous-

traitance, intensification et flexibilisation du travail, en sont des exemples. Selon Mispelblom Beyer (2006), les cadres ont une conscience professionnelle, à laquelle s’ajoutent des principes moraux personnels qui les amènent à se demander : est-ce que je pourrai encore me regarder dans le miroir? Est-ce que je pourrai regarder mes enfants en face après avoir posé une telle action? En effet, les cadres sont régulièrement aux prises avec des situations qui soulèvent ce type de questions morales, notamment lorsque les actions sont demandées de la part de leurs supérieurs. Toutefois, on dénote une absence de délibération sur les questions d’ordre moral, ce qui a pour conséquences de laisser les cadres intermédiaires se débrouiller seuls avec ces dimensions, pour lesquelles la prise de décision est difficile (Carballeda et Garrigou, 2001).