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4. Chapitre 4 : Méthodologie

4.4. La stratégie d’échantillonnage

Selon Miles et Huberman (1994), échantillonner, c’est « prendre un petit morceau d’un grand univers » (p. 62), mais encore faut-il savoir quel est le bon morceau à prendre. Il est rare dans les études qualitatives de poursuivre un objectif de généralisation des résultats. Pour Kaufmann (1996), le terme d’échantillon est « mal adapté dans une optique qualitative, car il porte en lui-même l’idée de la représentativité et de la stabilité » (p. 44). Pour cet auteur, il s’agit plutôt de bien choisir ses informateurs. En effet, les recherches qualitatives ont pour visée d’interpréter ou de mieux comprendre un phénomène et pour y arriver, les chercheurs qualitatifs vont plus souvent travailler avec des échantillons plus petits de personnes, dans moins de milieux que le font les chercheurs quantitatifs (Huberman et Miles, 1991). Les choix relatifs à l’échantillonnage dérivent du cadre conceptuel et de la question de recherche. Ils dépendent aussi des possibilités liées à la situation du chercheur.

Pires (1997) distingue l’échantillonnage par cas unique, dans lequel on s’intéresse à un acteur, un cas, un événement ou un milieu, de l’échantillonnage par cas multiples qui s’appliquent généralement aux études faisant appel aux entrevues avec plusieurs personnes. Dans le cadre de cette recherche, l’échantillonnage par cas multiple s’est avéré plus approprié, puisque cette stratégie permettait de juxtaposer les expériences individuelles pour en arriver à faire ressortir des éléments communs à tous les cadres rencontrés, ou

121 encore, à repérer certains phénomènes à partir de caractéristiques communes. En effet, selon Bertaux (1997), c’est par la comparaison des différents récits que s’élabore progressivement un modèle et que l’on voit apparaitre des récurrences, des différences et des logiques d’actions semblables.

Il y a deux critères auxquels il faut porter attention selon Pires (1997) dans les choix d’échantillonnage par cas multiples : le principe de diversification et le principe de saturation. Un échantillon diversifié est un échantillon où l’on a accès à une grande variété de situations de manière à obtenir une vision d’ensemble ou un portrait global de la question de recherche. On peut viser une diversification externe (contraste) ou encore une diversification interne (intragroupe), ce qui revient en gros à choisir entre un intérêt pour la comparaison ou un intérêt pour la description en profondeur. Pires (1997) soutient que lorsque le chercheur s’intéresse à la compréhension d’un phénomène pour un groupe restreint et homogène d’individus, comme dans le cas ici des cadres intermédiaires, alors c’est la diversification interne qu’il faut viser. Pour cet auteur, diversifier le choix des individus à rencontrer à l’intérieur du groupe de cadres aide à développer une compréhension plus en profondeur de la problématique que l’on veut étudier chez les cadres. Moins on cherchera à contraster l’échantillon, plus cet objectif de description en profondeur aura de chances d’être atteint. Lorsque l’on juge que les entrevues n’apportent rien de plus à cette description et à la compréhension du phénomène à l’étude, alors on peut prétendre à l’atteinte de la saturation des données (Pires, 1997). Plutôt que de viser l’exhaustivité, comme dans le cas d’une diversification externe, la diversification interne vise à atteindre la saturation empirique.

Dans cette recherche, une plus grande diversification interne de l’échantillon a été visée, tout en ne négligeant pas complètement la recherche de contraste, en raison de l’intérêt pour le contexte organisationnel dans le cadre conceptuel. Toutefois, cette recherche de contraste a été faite en cohérence avec le principe de diversification interne, en ciblant un groupe précis de cadres, puis en allant chercher un contraste au niveau des secteurs d’activités dans lesquels ils travaillent. À la lumière de ces informations, le choix pour un échantillon par homogénéisation s’est avéré le plus opportun (Pires, 1997).

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D’après Huberman et Miles (1991), les choix relatifs à l’échantillonnage portent principalement sur les personnes que l’on va rencontrer, les milieux que l’on va cibler, les événements et les processus que l’on veut étudier. Voici donc comment se sont effectués ces choix pour la stratégie d’échantillonnage de cette recherche.

4.4.1. Le choix des personnes à rencontrer

Cette recherche s’intéresse aux cadres, au sens qu’ils donnent aux expériences qu’ils vivent personnellement lorsqu’ils sont confrontés à des situations difficiles et à la façon dont ils orientent leurs conduites en tenant compte de ce qu’ils sont comme sujet et comme acteur. Toutes les facettes de cet objet d’étude se rapportent donc au vécu des cadres. Ces derniers apparaissent comme étant les mieux placés pour permettre de répondre à la question de recherche. Ce choix est en parfaite cohérence avec le paradigme constructiviste de la recherche et la stratégie narrative, pour lesquels les personnes qui vivent les expériences sont les mieux placées pour parler de leur réalité. Rencontrer d’autres groupes d’informateurs n’aurait pas permis de mieux répondre à la question de recherche. Toutefois, il importait de préciser quelles étaient les caractéristiques recherchées des cadres à rencontrer pour atteindre l’objectif de diversification interne de l’échantillon.

D’après ce qui a été vu dans les deux premiers chapitres, la question de recherche n’avait pas été étudiée spécifiquement dans une catégorie particulière de cadres. Il n’y avait donc aucune limite dans les choix à ce niveau. Puisque l’objet de recherche porte sur des situations difficiles vécues dans le cadre des fonctions de gestion du personnel, il était important de choisir des cadres ayant de telles fonctions. De plus, il s’avérait préférable de préciser un nombre minimum d’employés à charge afin de s’assurer que la fonction gestion du personnel était relativement importante dans le travail des cadres ciblés.

Suivant les propos de Mispelblom Beyer (2006) disant que tout cadre, à l’exception du dirigeant, est un cadre intermédiaire en ce sens qu’il « se débrouille toujours avec et entre deux sources de pressions : celle d’en haut et celle d’en bas » (p. 45), les cadres ciblés devaient avoir une tâche d'encadrement du travail, avec la responsabilité d'organiser le travail des employés et la responsabilité de la performance de ces personnes (Carballeda et

123 Garrigou, 2001). La stratégie d’échantillonnage ayant été privilégiée cible donc des cadres directement confrontés aux personnes qu'ils encadrent et dont ils organisent le travail, parce qu’il s’avérait plus pertinent de veiller à ce que les cadres aient un lien direct avec le réel de travail des employés. Aussi, la majorité des employés à charge devaient être des employés non-cadres, pour s’assurer d’une certaine homogénéisation de l’échantillon et de ce qui était entendu par le concept d’employé. Toutefois, l’échantillonnage n’a pas été limité à un niveau particulier de cadres, à l’exception des plus hauts cadres dirigeants (PDG, directeur général), qui ont été exclus de l’échantillon. En effet, ces derniers n’ont généralement pas de tâches directes de gestion de personnel non-cadre et sont moins soumis à recevoir des prescriptions à l’interne, étant eux-mêmes les « grands patrons ». Pour ce qui est des autres caractéristiques des cadres intermédiaires, un profil plutôt diversifié au niveau du genre, de l’âge, du nombre d’années d’ancienneté et du nombre d’employés à charge a été recherché. L’objectif recherché par la diversification interne n’était pas de pouvoir généraliser les résultats, mais bien d’avoir la chance de pouvoir observer différentes situations susceptibles d’éclairer de manière différente l’analyse et la compréhension du phénomène par la chercheure.

4.4.2. Le choix des milieux

Parce que le cadre conceptuel prévoit de tenir compte de l’organisation du travail et de sa dynamique avec la subjectivité du cadre, il s’avérait important d’envisager un échantillonnage qui prend en considération le milieu de travail des cadres. Toutefois, ce ne sont pas des descriptions objectives de l’organisation qui étaient visées, mais plutôt le rapport subjectif que les cadres entretiennent avec elle; comment ils la perçoivent et la comprennent. Il n’apparaissait donc pas pertinent de se limiter à un nombre déterminé de milieux pour contrôler l’effet du contexte, au contraire, le fait de retrouver différents milieux organisationnels permettait de viser une plus grande diversification interne (Pires, 1997). Toutefois, puisqu’il s’avérait difficile de retrouver l’ensemble des contextes organisationnels possibles dans une étude de nature qualitative, des choix ont dû être faits afin de pouvoir diversifier l’échantillon, tout en évitant de noyer les données dans un océan de données contextuelles trop spécifiques.

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La stratégie de cibler des milieux organisationnels très contrastés s’est donc révélée être une option tout à fait intéressante pour l’atteinte d’une diversification interne et d’une saturation empirique, tout à la fois. Pour y arriver, le choix s’est arrêté sur des secteurs d’activités ayant des finalités contrastées. La référence à la classification nationale des professions du Canada, structurant les professions de la catégorie de gestion, a permis de choisir les secteurs pertinents. Deux finalités sont apparues particulièrement contrastées : la profitabilité et la rentabilité économique d’une part et le soutien et l’accompagnement des personnes d’autre part. Des secteurs qui représentent bien la première finalité sont ceux des services financiers et services aux entreprises, qui couvrent notamment les organisations des secteurs bancaires, de placements financiers et des assurances, ainsi que le secteur des télécommunications, un secteur de pointe où règne une forte concurrence internationale. Pour la seconde finalité, les secteurs qui la représentaient le mieux étaient ceux de la santé et des services sociaux, de l’éducation et des services communautaires. Il apparaît tout à fait cohérent de faire cette diversification des milieux organisationnels en ciblant des secteurs d’activité aux finalités contrastées, non pas nécessairement pour comparer les cadres d’un secteur ou de l’autre, mais surtout pour atteindre la saturation empirique des données.

4.4.3. Le choix des événements et des processus

Le troisième choix relatif à l’échantillonnage, selon Huberman et Miles (1991) a trait aux événements et aux processus. La question de recherche cible des expériences vécues de situations difficiles suscitant le sentiment de responsabilité dans le cadre des fonctions de gestion de personnel. Il pouvait à première vue sembler pertinent de cibler des cadres ayant vécu de telles expériences a priori. Toutefois, selon les écrits de la psychodynamique du travail (Dejours, 1998a) sur les stratégies défensives des cadres, il est possible que des cadres aient vécu de telles situations, mais qu’ils hésitent ou refusent de participer à la recherche pour ne pas dévoiler aux yeux du chercheur, comme aux yeux des lecteurs de la recherche, leur vulnérabilité. Aussi, la conception de la subjectivité au travail renvoi à la question de la souffrance et de la défense. Limiter l’échantillonnage à des cadres qui ont conscience d’avoir vécu de telles expériences pourrait entraîner comme conséquence de ne pas rencontrer de cadres qui seraient peut-être plus soumis à certaines contraintes de l’organisation que d’autres, ce qui limiterait la compréhension du phénomène. Compte tenu

125 de ce risque, il apparaissait plus pertinent de prendre appui sur les auteurs affirmant que les enjeux éthiques font partie intégrante du travail des cadres (Jackall, 1988; Mispleblom Beyer 2006). Toutefois, pour favoriser le recrutement de cadres ayant vécu de telles expériences, il a été décidé de cibler des personnes qui occupaient un emploi de cadres depuis au moins trois ans. Ainsi, il était plus probable que les cadres rencontrés aient vécu au moins une expérience difficile en gestion du personnel ayant soulevé leur sentiment de responsabilité.

4.4.4. Critères d’inclusion et d’exclusion de l’échantillon et de diversification

Ces choix en matière de personnes à rencontrer, de milieux organisationnels et des événements ont permis de préciser les critères d’inclusion et d’exclusion à respecter lors du recrutement. Parmi les critères d’inclusion, les personnes ciblées devaient occuper un emploi avec un statut de cadre depuis au moins trois ans, avoir des fonctions de gestion du personnel d’une équipe d’au minimum dix employés non-cadres, être actuellement à l’emploi, ou l’avoir été au cours de la dernière année, d’une organisation faisant partie de l’un des six secteurs suivants : santé et services sociaux, éducation, services communautaires, services financiers et bancaires, services d’assurances et télécommunications. Les cadres occupant un poste syndiqué ont été exclues, parce qu’en principe, les postes cadres ne sont pas syndiqués. Les critères de diversification recherchés dans l’échantillon sont principalement le genre, les secteurs d’activités, l’âge, le nombre d’années d’ancienneté et le nombre d’employés à charge. Il n’est nullement question de représentativité statistique de ces critères dans l’échantillon, mais plutôt de s’assurer d’avoir un échantillon diversifié comprenant à la fois des hommes et des femmes, d’âge et d’ancienneté variés, en provenance de tous les secteurs d’activités à l’étude, avec des équipes plus ou moins grosses à superviser.

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